L’expression de nos prunelles et la perception de celles de nos interlocuteurs influencent les interactions sociales, détaille Sylvie Chokron dans sa chronique, citant des travaux d’une équipe de l’université d’Amsterdam.
Carte blanche. Avec le port du masque, il ne nous reste plus qu’à nous regarder les yeux dans les yeux. Regard fuyant, interrogatif, craintif, dominateur, rieur, charmeur, nous allons devoir apprendre à mieux décoder les émotions dans les prunelles de nos interlocuteurs. Mais lorsque nous discutons avec une personne située à un voire deux mètres de nous, comme l’exigent les règles actuelles de distanciation sociale, il est difficile de percevoir les modifications du diamètre de sa pupille.
C’est bien dommage, car de plus en plus de recherches s’intéressent à la dynamique pupillaire, ce que celle-ci dit de nos états mentaux et comment elle détermine l’interaction entre deux personnes qui se regardent. Ces travaux sont édifiants. Ils révèlent qu’au-delà de ses variations du fait de la luminosité extérieure notre pupille est une véritable fenêtre sur notre activité cérébrale. Elle se dilate lorsque nous sommes bien éveillés, très attentifs, en train de réaliser un effort cognitif important, ou encore lorsque nous montrons de l’intérêt pour ce que nous regardons.
En retour, voir se dilater les pupilles de notre interlocuteur nous renseigne sur l’attention qu’il nous porte. Expression et perception de la dilatation pupillaire influencent donc directement les interactions sociales. Cela constitue l’objet principal des travaux de Mariska E. Kret et de son équipe de l’université d’Amsterdam. Ces auteurs ont notamment montré qu’une pupille dilatée est le plus souvent associée à des émotions positives.
Pour ce faire, ils ont repris un protocole datant de plus de quarante ans. Ils ont montré des dessins de visages, exprimant soit de la joie soit de la colère, dans lesquels il manquait uniquement la pupille. La tâche des sujets était simplement de dessiner et de colorier l’iris et la pupille de ces visages. Les résultats sont sans équivoque. Enfants et adultes ont complété les visages joyeux avec des pupilles plus larges que celles dont ils ont affublé les visages en colère, montrant à quel point la dilatation pupillaire, même si elle est traitée de manière totalement inconsciente, semble être associée à des émotions positives.
Un effet universel
Par ailleurs, intéressés par les phénomènes de contagion émotionnelle et de synchronisation cérébrale entre deux personnes en interaction, ces auteurs se sont demandé si en relation, face à face, nous avions tendance à imiter la taille de la pupille de la personne qui nous fait face. Pour ce faire, ils ont montré à des enfants de 6, 12 et 18 mois, ainsi qu’à des adultes, des pupilles dynamiques (se dilatant ou se rétrécissant) et des pupilles statiques. Si la pupille des adultes se dilate très rapidement en miroir de celle qu’ils regardent, celle des jeunes enfants le fait plus lentement.
Fait important, cette adaptation s’opère pour tous les participants, même si les pupilles présentées appartiennent à des yeux d’une autre ethnie, ce qui laisse penser que cet effet est solidement ancré dans le fonctionnement humain et n’est pas seulement lié au degré de familiarité des visages perçus. L’ensemble des travaux récents sur la dynamique de la pupille laisse ainsi penser que nous avons une nette préférence pour les pupilles dilatées, que nous jugeons au premier regard comme appartenant à des personnes plus belles, plus joyeuses, plus attentives, et à qui nous ferions même plus confiance !
Se fier à la pupille de notre interlocuteur (si tant est qu’on soit suffisamment près de lui) pourrait finalement être une bonne stratégie dans la mesure où sa taille obéit à des mécanismes totalement inconscients et involontaires. Difficile donc de tricher… Sauf à s’injecter de l’atropine, comme le faisaient les femmes italiennes au XVIIe siècle pour s’embellir, ou à se dessiner de larges pupilles comme Bambi ou d’autres personnages des studios Disney, dont les dessinateurs ont compris depuis bien longtemps à quel point les pupilles dilatées étaient appréciées !
Kret, M.E. (2018) The Role of Pupil Size in Communication. Is there Room for Learning ?, Cognition and Emotion, 32 : 5, 1139-1145.
Aktar, E., Raijmakers, M.E.J., Kret, M.E. (2020). Pupil Mimicry in Infants and Parents. Cogn. Emot. 2020 Mar 2 ; 1-11.
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