Dans une étude conjointe présentée vendredi, l’OIT et l’Unicef estiment que plusieurs millions d’enfants supplémentaires pourraient se voir contraints à travailler.
Alors que le nombre des enfants contraints à travailler reculait dans le monde, diminuant de 94 millions depuis 2000 – ils restent 152 millions âgés de 5 et 17 ans –, la pandémie mondiale de Covid-19 risque d’inverser la tendance. Dans un document publié vendredi 12 juin, l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’Unicef estiment que des millions d’enfants supplémentaires risquent de se retrouver forcés à travailler, « ce qui pourrait conduire pour la première fois en vingt ans à une hausse du travail des enfants ».
« Au moment où la pandémie saborde le revenu des familles, beaucoup d’entre elles pourraient recourir au travail des enfants si on ne leur vient pas en aide », estime ainsi Guy Ryder, le directeur général de l’OIT. Même analyse pour la directrice générale de l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, Henrietta Fore, qui juge que, « en temps de crise, le travail des enfants devient un mécanisme d’adaptation pour de nombreuses familles ». « Lorsque les écoles ferment et que la disponibilité des services sociaux est en recul, un plus grand nombre d’enfants se retrouvent poussés vers le monde du travail », déclare-t-elle.
Si les deux institutions internationales ne peuvent pas encore chiffrer cette probable augmentation – elles mettent en place un modèle de simulation pour étudier l’impact du Covid-19 et de nouvelles estimations seront publiées en 2021 –, tous les facteurs sont réunis.
Fermeture des écoles et aide sociale en berne
Avec la pandémie, la fermeture temporaire des établissements scolaires touche plus de 1 milliard de jeunes dans plus de 130 pays. Si de nombreux établissements scolaires ont pu mettre en place des systèmes d’études en ligne, la moitié des habitants de la planète ne dispose pas d’accès à Internet, rappellent les auteurs de l’étude. Les enfants qui n’ont pas l’âge légal de travailler rejoignent les emplois informels et le travail domestique, soumis parfois, rappellent l’OIT et l’Unicef, aux pires formes d’exploitation.
Les jeunes, en âge de travailler mais qui poursuivaient des études, eux, rejoignent alors le marché du travail, avec des formations et des compétences diminuées et sont donc plus vulnérables. A la reprise des cours, redoutent les rapporteurs, « certains parents pourraient ne plus pouvoir se permettre d’envoyer leurs enfants à l’école ».
A cette situation inédite, il faut ajouter la récession économique, l’accroissement du travail informel et du chômage ainsi que la baisse générale du niveau de vie. Dans un rapport publié le 18 mars, l’OIT estimait que la perte générée par cette crise pourrait aller jusqu’à 25 millions d’emplois. Le 7 avril, l’organisation tripartite (qui rassemble les représentants des employeurs, des travailleurs et des gouvernements de 187 Etats membres) enfonçait le clou, précisant que dans la population active mondiale de 3,3 milliards de personnes, plus de quatre personnes sur cinq étaient affectées par la fermeture totale ou partielle des lieux de travail. Et la perte du nombre d’heures travaillées, au deuxième trimestre 2020, équivaudrait à 305 millions d’emplois à plein temps.
Jeunes filles particulièrement vulnérables
Dans ce contexte d’une économie mondiale sinistrée, les jeunes risquent d’être les premières victimes. Plusieurs études, explique le rapport, montrent que « la hausse d’un point de pourcentage de la pauvreté conduit à une augmentation d’au moins 0,7 % du travail des enfants ». Et les jeunes filles sont particulièrement vulnérables, susceptibles d’être exploitées dans les travaux agricoles, le secteur informel ou le travail domestique, et soumises aux violences sexuelles. Parmi les exemples brièvement cités dans le rapport, une jeune du Malawi explique que « dans son quartier, de nombreux parents ont profité de ces “vacances” scolaires pour envoyer leurs enfants vendre des fruits et des légumes à la ville ».
Et quand la pandémie entraîne la maladie ou le décès de l’un des parents, la situation des enfants se dégrade encore plus. Dans les sociétés régies par les rôles traditionnels liés au genre, quand le père est atteint, les enfants sont alors poussés à aller chercher du travail hors du foyer. Si c’est la mère qui décède ou est malade, les filles, la plupart du temps, sont contraintes à prendre en charge les tâches domestiques.
Dans le secteur du travail informel, très présent en Afrique – il regroupe plus de 80 % des emplois sur ce continent –, mais aussi en Amérique latine ou encore en Asie, les travailleurs ne disposent quasiment pas de protection sociale, maladie ou chômage. Ils sont d’autant plus vulnérables quand se conjuguent pandémie et crise économique. La moitié du travail des enfants se situe sur le continent africain. L’agriculture y représente 85 % de ces travaux. Et ce secteur est l’un des trois les plus dangereux pour les enfants, avec le bâtiment et le travail dans les mines.
Pour combattre ce fléau et en juguler la possible extension, l’OIT et l’Unicef avancent un certain nombre de propositions : élargir la protection sociale, notamment dans le secteur informel, faciliter l’accès au crédit des familles les plus pauvres, promotion du travail décent pour les adultes, avec des moyens accrus pour l’inspection du travail. Les enfants doivent bénéficier, eux, de mesures favorisant le retour à l’école, notamment l’élimination des frais de scolarité. « Il est essentiel d’intégrer la question du travail des enfants dans le cadre plus large des politiques en matière d’éducation, de justice, de marché du travail ainsi que des droits humains et des droits du travail », a déclaré Guy Ryder à l’occasion de la publication de cette étude.
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