PAR
COLINE GARRÉ -
PUBLIÉ LE 27/03/2020
Crédit photo : DR
Une cellule de crise « Covid-19 Santé mentale » a été installée la semaine dernière à l'initiative du Comité de pilotage de la psychiatrie, de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), et de la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie. Le Pr Frank Bellivier, à la tête de cette dernière, précise les missions de cette cellule.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir mis sur pied la cellule de crise « Covid-19 Santé mentale » ?
Pr FRANK BELLIVIER : L'objectif est double. Il est d'abord d'aider les équipes à mettre en place des procédures générales de lutte contre le Covid-19 dans les filières de psychiatrie, dans les établissements spécialisés et pluridisciplinaires. Il est aussi d'assurer une remontée d'informations du terrain pour identifier des problématiques ou difficultés spécifiques à la psychiatrie, qui accueille des publics vulnérables.
Quelles sont les orientations générales que vous préconisez à l'adresse des services et établissements autorisés en psychiatrie ?
Nous avons précisé les idées générales dans une première note datée du 22 mars, pour accompagner une déclinaison qui ne peut qu'être locale, en fonction du type d'établissement, de la distance avec les plateaux médico-techniques, des acteurs locaux, etc.
Pour respecter le principe de distanciation sociale permettant d'éviter la propagation du virus, la priorité est de faire sortir les patients qui le peuvent et de réserver le séjour intrahospitalier aux patients qui présentent des états psychiatriques décompensés. En cas d'hospitalisation, les visites et les permissions de sortie sont restreintes, au nom de cette lutte contre la propagation du virus, et la plupart des unités ont restitué les téléphones portables aux patients, et organisent des contacts avec les proches.
En parallèle, les dispositifs ambulatoires doivent se densifier, avec du personnel en renfort, afin d'assurer un suivi rapproché des patients et repérer ceux qui vont se retrouver en difficulté. Les outils dématérialisés doivent être privilégiés (téléphone, vidéo), mais il est possible d'organiser des consultations en présentiel, moyennant des précautions (mesures barrières, réaménagement des locaux), ou des visites à domicile.
Que faire si un patient hospitalisé en psychiatrie est touché par le Covid-19 ?
Les réponses doivent être pensées à l'échelle locale. Les directions doivent s'interroger sur la pertinence de réaffecter certaines unités, pour éventuellement créer un secteur Covid +, Covid - (sans signe de gravité), ou rassemblant les cas suspects. Cela suppose un renfort en médecins somaticiens si des unités pour patients Covid+ symptomatiques sont organisées. Une alternative peut être le transfert des patients psychiatriques vers des plateaux de soins somatiques. Toute cette réorganisation nécessite de bien articuler les filières MCO avec les filières psychiatriques et mettre en place des procédures partagées.
Risque-t-il d'y avoir des fermetures de lits de psychiatrie afin d'accueillir des patients Covid + symptomatiques ?
Cela dépend des endroits. En région parisienne, il y a eu des réorganisations entraînant parfois une relocalisation des moyens en termes de lits ou de personnel pour couvrir les besoins d'unités dédiées au Covid-19. À l'hôpital Fernand Widal, l'équipe de psychiatrie a par exemple mis sur pied une unité Covid + pour malades souffrant de troubles psychiatriques ou d'addictions, avec des psychiatres et des somaticiens.
Mais ailleurs, les lits de psychiatrie ont pu être maintenus… Pour l'instant. Toutes ces réorganisations doivent s'opérer en fonction de la cinétique de l'épidémie. Il s'agit d'être créatif et dans la collaboration… dans le cadre d'une course contre la montre.
Dans le « Monde », un chef de pôle s'émouvait de l'absence de masques en psychiatrie. La spécialité est-elle toujours « le parent pauvre » du système de santé ?
Je n'ai pas d'élément pour affirmer que la pénurie a touché plus spécifiquement les établissements de psychiatrie. La répartition des masques s'est faite sans discrimination, au prorata du nombre de personnel. Et il est toujours possible au niveau local, de s'adresser à son groupement hospitalier de territoire (GHT), destinataire du stock de masques.
Il est vrai qu'il y a une tension majeure sur les FFP2. Nous avons fait valoir que certaines unités de psychiatrie pourraient en bénéficier en priorité, comme celles qui accueillent des patients avec un risque de débordement comportemental.
Dans quelles mesures le monde de la psychiatrie peut-il soutenir les autres soignants ?
La cellule de crise a préconisé dans sa note que les psychologues et psychiatres des filières psychiatriques soient mobilisés pour apporter un soutien aux soignants de première ligne (réanimateurs, urgentistes, soins palliatifs, etc.), dans le cadre de la collaboration entre psychiatrie et soins somatiques.
Mais les modalités doivent se décider au niveau local. Et nous avons en effet observé une grande mobilisation de la communauté psy dans toutes les régions de France avec des initiatives multiples.
À l'hôpital Lariboisière (AP-HP) par exemple, au-delà d'un numéro central de l'AP-HP, tous les chefs de service ont reçu une liste de numéros de téléphone qu'ils pouvaient joindre. Des consultations dédiées ont été mises en place et, pour les personnels qui préféreraient consulter à l'extérieur, un réseau de psychiatres libéraux qui s'engagent à consulter sans dépassements d'honoraires s'est structuré.
Enfin, à l'échelle nationale et pour la population générale, les cellules d'urgence médico-psychologiques (CUMP) sont mobilisées et fédèrent l'ensemble des bonnes volontés qui se sont manifestées en nombre. Elles sont articulées avec le numéro vert national (0 800 130 000).
La psychiatrie était particulièrement sous tension avant la crise du Covid-19. Ne craignez-vous pas « l'après coronavirus » ?
L'ensemble du système de soins était essoufflé. On lui demande aujourd'hui de courir un sprint. Il est difficile de savoir de quoi sera faite la post-crise. Mais aujourd'hui, il faut saluer le niveau de mobilisation impressionnant des soignants, c'est extraordinaire. Malgré la situation de départ, malgré l'appréhension, les équipes sont au front.
Propos recueillis par Coline Garré
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