Photo Loïc Venance. AFP
Forcées de renforcer leurs précautions, les maternités ont dû changer le déroulement des accouchements, générant une grande angoisse chez les futures mères.
En plein état d’urgence sanitaire, elles sont des milliers de femmes enceintes à redouter le jour J. Non pas tant la possible contamination au Covid-19, certaines d’entre elles s’astreignant déjà à appliquer les principes de précaution de base bien avant le confinement. Mais c’est bien la crainte de se retrouver seule pour accoucher qui les taraude. «C’est ma première grossesse, je n’ai pas du tout envie de vivre ça sans mon conjoint», confie Lucie, 25 ans, tout juste en congé maternité et qui habite Amiens. Même réaction chez Marie, 35 ans, confinée en Normandie et qui attend son troisième enfant : «On a besoin d’un partenaire. Mon conjoint est super-impliqué dans ma grossesse et ce n’est pas envisageable qu’il ne soit pas là pour partager les premiers moments du bébé.»
En France, l’épidémie et son expansion ont changé la donne et entraîné, sans surprise, la mise en place de mesures plus restrictives dans les maternités. Aucune recommandation nationale, hormis peut-être celle du Haut Comité de santé publique ; chacune fixe ses propres règles sur le suivi des femmes et la phase d’accouchement au regard de la situation sanitaire de sa région. Et «c’est très disparate sur l’ensemble du territoire, confirme à Libération le Conseil national de l’ordre des sages-femmes. Certaines maternités ont arrêté les consultations de grossesse et réorientent parfois vers des praticiens libéraux comme les sages-femmes» afin de limiter les allées et venues ainsi que les salles d’attente bondées. C’est le cas notamment de la maternité des Lilas, en région parisienne, qui a décidé de stopper les suivis avant la 35e semaine de grossesse. Et elle n’est pas seule à procéder ainsi. Claire, 36 ans, est à Béziers : «Ma préparation à l’accouchement devait démarrer et c’est annulé. Pareil pour l’anesthésiste et l’ostéopathe… Pour le moment, je n’ai pas de consignes et je me débrouille. Heureusement je suis kiné, je connais un peu le corps ! Mais on a l’impression d’être un peu abandonnée. Seule l’échographie du troisième trimestre est maintenue, mais ils m’ont précisé sans le papa.» En outre, d’après Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (Syngof), toutes les activités non urgentes de procréation médicalement assistée (PMA) sont annulées.
Accepter ou interdire les papas ?
Tous ces nouveaux protocoles de consultations (télémédecine comprise) et d’hospitalisations, susceptibles d’évoluer en fonction des annonces gouvernementales, sont parfois même directement inscrits sur les sites internet des maternités, comme celles de Port-Royal (XIVe arrondissement de Paris), des Diaconesses (XIIe) ou des Lilas (Seine-Saint-Denis). Toutes les trois précisent désormais que l’accompagnant de la femme enceinte est admis en salle de naissance seulement s’il est asymptomatique. Et donc, pas toujours autorisé, ni avant, ni après l’accouchement. «Plus vous mettez de gens à l’hôpital, plus il y a des risques de transmission du virus aux patients et aux soignants, argue Philippe Deruelle, secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens de France (CNGOF) et lui-même praticien aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. On peut contaminer les jours qui précèdent l’apparition des symptômes et on sait aussi que le virus peut rester vivant plusieurs jours sur le plastique.» Difficile toutefois pour certaines maternités d’appliquer des règles strictes, faute de moyens matériels et humains. Pour tenter de pallier cela, le gynécologue propose notamment de mettre à contribution les sages-femmes étudiantes, dont les stages ont été annulés, pour aider à filtrer les entrées et éduquer les futurs pères.
Le cas de Colmar
Dans le Grand Est, à Colmar, l’un des gros foyers d’épidémie, un papa est entré en salle d’accouchement avec un masque en cachant ses symptômes aux soignants. Ils ont appris le lendemain que l’homme avait été testé positif au coronavirus. «Ils n’ont pas dû se rendre compte, suppose, conciliant, Richard Kutnahorsky, le médecin chef du service de la maternité de Colmar. Mais certains incivismes nous obligent à resserrer les rangs. C’est pourquoi, on interdit désormais l’accès aux salles d’accouchement aux papas», même s’il conçoit que de telles conditions puissent être stressantes pour les mamans. «On essaie d’avoir le plus d’empathie possible et de prévenir à l’avance.»
Quid des femmes présentant des symptômes du Covid-19 ? Contactées par téléphone, les trois maternités citées plus haut assurent qu’elles sont opérationnelles avec un bloc et une équipe dédiés, voire une phase de dépistage potentielle. Magali a 31 ans. Elle est à huit mois et demi de grossesse et a une suspicion de coronavirus (rhume et perte de l’odorat). «Je dois être testée par l’hôpital mère-enfant du centre hospitalier régional Metz-Thionville qui a mis en place un processus particulier. Ils viennent te chercher sur le parking et c’est comme un parcours fléché avant d’atteindre la consultation.» Précision : «In utero, le coronavirus ne passe pas, précise le médecin Philippe Deruelle. Mais les Chinois ont décrit des signaux postnataux mais pas encore bien établis : le bébé mange moins bien, il est agité et fait de la température.»
Une mesure d’isolement de la mère à son entrée en service de maternité, symptomatique ou non, qui mériterait d’être déployée à l’ensemble du territoire, selon Bertrand de Rochambeau, qui enfonce encore un peu plus le clou : «Vous vous rendez compte, on a à peine de quoi dépister aujourd’hui en France. Sans parler des pénuries de masques et de gants. Il faut concevoir que le danger réside en tous et chacun, et que la seule barrière valable est le confinement.»
L’accouchement à domicile refait surface
Pour l’heure, la hotline de Colmar reçoit déjà les coups de fil angoissés de femmes sur le point d’accoucher qui sont de plus en plus nombreuses à poser des questions au sujet de l’accouchement à domicile, une pratique encore controversée en France. «Je n’y suis pas opposé idéologiquement mais dans le réseau de soins actuels et au regard de la difficulté du système en place, ce n’est pas le bon moment. C’est jouer à la roulette russe, estime Deruelle. Car s’il se passe quelque chose, une situation plus grave qu’attendue, le Samu, qui est débordé, n’arrivera peut-être pas à temps.»
Même inquiétude chez les sages-femmes : «On a eu des remontées. On redoute le problème de transfert en cas de pépin. C’est un projet de longue haleine qui ne se fait pas à la va-vite.» «Une mauvaise idée» aussi pour le docteur de Rochambeau, plus tranchant encore : «Il y a déjà assez de monde à protéger avec peu de moyens dans les maternités.»
Les sages-femmes en première ligne
Pour limiter les va-et-vient, notamment des conjoints lorsqu’ils sont acceptés, certains établissements préfèrent renvoyer plus tôt à domicile les femmes qui ne présentent pas de complications postnatales. Philippe Deruelle acquiesce : «Face aux risques de dépression post-partum, il est nécessaire de changer nos règles.» Julie, 32 ans, a accouché à Paris le premier jour du confinement : «J’ai eu la chance d’avoir mon conjoint à mes côtés en salle de naissance le mardi. Une cadre est passée le jeudi et on m’a annoncé que les pères n’étaient plus autorisés. On m’a alors proposé une sortie anticipée le vendredi que j’ai finalement acceptée. Je me suis retrouvée dans le rush. Heureusement, j’ai été aidée par une sage-femme et une puéricultrice. Le papa ne pouvait pas m’aider à porter les sacs alors que je venais d’avoir une césarienne.»
Une sage-femme, double masque sur la bouche, rend désormais visite tous les jours «à la maison» à la jeune maman. «Je lui ai sorti une serviette pour qu’elle puisse poser ses affaires dans l’entrée. Elle a eu un rhume ensuite et depuis, c’est une autre de ses collègues qui l’a remplacée», nous explique Julie. Ce qui pose de nombreuses questions notamment sur l’exposition de plus en plus grande des sages-femmes en période de coronavirus. «Elles n’ont droit qu’à six masques par semaine tandis que les infirmiers et médecins généralistes en ont droit à dix-huit. Il faut qu’elles soient mieux dotées», interpelle le Conseil national de l’ordre des sages-femmes.
Pour Rochambeau, il ne fait aucun doute qu’une fois cette épidémie terminée, «il y aura des comptes à rendre».
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