Photo Hugo Clarence Janody. Hans Lucas pour Libération
Les associations d'aide aux sans-abri et les structures spécialisées dans l'aide aux toxicomanes poursuivent leur travail de terrain malgré la crise sanitaire.
La légèreté de Karine contraste avec la lourdeur de l’ambiance qui plane sur le centre de Lille. Sous le soleil, la jeune femme de 24 ans tangue sur la pointe de ses baskets défoncées. Karine plane. Elle a trouvé de la méthadone. «Au black, ce matin», rit-elle. Il est 9 h 20. Frédéric, 37 ans, et Marine, 28 ans, sourient avec elle. Bientôt, ces salariés de l’association d’aide aux sans-abri Abej Solidarité l’emmèneront en séjour pour couper un peu avec la drogue et la rue. Le confinement n’annulera pas leur virée, lui jurent-ils.
La pandémie a bousculé le quotidien déjà fragile des personnes à la rue. D’un coup, les voilà davantage isolées dans une ville fantôme, où les promeneurs avec leur masque de papier n’ont rien ou pas grand-chose à donner. Comment, dans ce contexte déroutant, payer sa consommation habituelle de tabac, d’alcool ou d’autres drogues illicites ? Frédéric et Marine se baladent pour s’assurer que tout le monde va bien. Ils téléphonent pour débloquer une démarche administrative pour Anthony, offrent une cigarette à Arnaud et rappellent à d’autres les adresses à connaître pour dormir, se nourrir, se doucher, se soigner ou se droguer avec du matériel propre.
«Vous êtes la maraude ? alpague Manu, en traversant la Grand’Place. Vous avez du gel hydroalcoolique ?» Réponse négative. Manu a entendu dire qu’en ce moment, on obtenait plus rapidement un rendez-vous au centre de désintox Boris-Vian. «Ça t’intéresse ?» l’interroge Marine. Il dicte son numéro de dossier, déjà enregistré là-bas. Lui aussi a chopé de la métha pas chère. Ce produit de substitution vendu au marché noir inquiète beaucoup Christian Matton, médecin généraliste addictologue, autant que les manques liés à l’alcool qui peuvent être mortels pour certains.
Photo Hugo Clarence Janody. Hans Lucas pour Libération
La crainte de la surdose
Ce matin, le docteur a mis des patchs sur un fumeur en manque de tabac, drogue légale de plus en plus chère, et donc plus difficile aussi à se procurer quand la manche ne marche pas. A Lille, la proximité avec la Belgique et les Pays-Bas rend d’autres produits, parfois illicites, moins coûteux qu’ailleurs en France, comme l’héroïne. Pour le moment, il n’y a pas de pénurie mais travailleurs sociaux et soignants s’interrogent sur la suite du confinement. «S’ils n’ont pas de dose pendant plusieurs jours, ils peuvent être tentés d’en prendre beaucoup dès que c’est possible», craint le Dr Matton. Jusqu’à l’overdose, en cas de mélange.
«Comme l’alcoolisme, la toxicomanie est une maladie souvent associée à d’autres troubles. Les gens souffrent… Un sevrage doit être voulu et médicalisé», alerte Jonas Campagne, chef de service au Point de repère, où sont installés un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) et un accueil de jour, aussi liés à l’Abej Solidarité. Pipes à crack en verre, préservatifs, lingettes intimes et seringues sont entreposés dans des cartons, stockés dans des couloirs et bureaux étroits. En cette période de pandémie, pas question de fermer tant qu’il reste des volontaires, du matériel à distribuer et des personnes qui frappent à la porte. Si le manque rend certains consommateurs plus instables, la situation n’explose pas pour autant. Ce qui fait sourire Jonas Campagne : «Les gens à la rue se comportent mieux que ceux qui se ruent dans les supermarchés pour acheter du PQ.»
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