Un hôpital psychiatrique à Plouguernével, dans les Côtes-d'Armor. Cyril Zannettacci pour Libération.
Dans les hôpitaux psychiatriques, personnel médical et patients s'adaptent dans l'urgence au confinement. Si l'enfermement fait déjà partie de leur quotidien, les médecins craignent ses effets à moyen terme.
«C’est calme, étrangement calme. On est presque mieux qu’avant», lâche le psychiatre d’un grand établissement public de Normandie. La situation est étonnante, presqu’inattendue. On pouvait craindre que, dans les hôpitaux psychiatriques, l’arrivée du confinement fasse écrouler ce monde déjà bien fragile, qui plus est abîmé par des années de rigueur. Ce n’est pas le cas. Bien sûr, il y a une kyrielle de problèmes, de peurs et d’angoisses. Il y a ces masques de protection qui manquent un peu partout et, dans certains endroits, les difficultés sont lourdes. Mais, là, momentanément, cela tient et pas trop mal. «La crise et le confinement, ce n’est pas très nouveau pour nous», ironise Tim Greacen, militant des droits des malades et responsable du laboratoire de recherche à l’hôpital Sainte-Anne Maison-Blanche, à Paris.
«L’enfermement, ils connaissent»
Le 22 mars, le délégué ministériel à la santé mentale, le professeur Frank Bellivier a achevé de mettre au point «les consignes et recommandations applicables à l’organisation des prises en charge dans les services de psychiatrie et les établissements sanitaires autorisés en psychiatrie». La bascule organisationnelle est énorme : fini ou presque les consultations en face-à-face, c’est-à-dire la quasi-totalité des activités dans les centres médico-psychologiques (CMP), fermeture des hôpitaux de jour, qui sont le lieu central pour un grand nombre de patients. «Les prises en charge de groupe et les activités sont suspendues pour limiter le risque de propagation virale (fermeture des ateliers thérapeutiques en psychiatrie adulte, psychiatrie de la personne âgée et psychiatrie de l’enfant et adolescent)», insiste le texte. Et encore : «Au sein des unités de soins, il convient d’éviter la concentration et le regroupement des patients, ainsi que dans les espaces de déambulation de l’établissement. Les activités et prises en charge en groupe sont suspendues. Les chambres individuelles sont à privilégier. Les repas sont servis en chambre pour les patients à risque et les repas au réfectoire doivent être organisés afin de permettre le respect des distances préconisées.» C’est une tout autre vie qui doit se mettre en place. «Cela demande du temps, de l’organisation, et des dispositifs exceptionnels», nous dit le professeur Frank Bellivier. «Pour les équipes, comme pour les malades, cela a été difficile, car ces derniers jours les infos étaient contradictoires. Maintenant, il faut bien caler les choses.»
Au jour le jour, on a pris le pli. Le Dr Marc Lecuyer, psychiatre, ancien chef de secteur à l’hôpital d’Annecy (Haute-Savoie), appelle désormais ses patients. La règle est devenue impérative : plus de consultations en face-à-face, mais des appels téléphoniques. Et si besoin, se rendre chez le patient. Ce jour-là, le CMP est donc vide, mis à part ce médecin. «Pour les patients que l’on connaît et que l’on suit depuis longtemps, avec le téléphone, c’est un autre type de consultation, mais on y arrive. C’est plus problématique pour les patients que l’on ne connaît pas.» Là, il appelle un vieux psychotique, simple rendez-vous régulier, pour faire le point. Pas de souci, manifestement. «Non docteur cela va, et cela ne change pas grand-chose», explique même ce patient. Puis la consultation se poursuit à l’écart d’autrui. «Un certain nombre de malades vivent le confinement au jour le jour depuis des années, précise alors le psychiatre. Et de ce fait, pour eux au début il n’y a pas à s’inquiéter outre mesure.»
«L’enfermement, ils connaissent, poursuit Tim Greacen, militant associatif. Pour ceux qui vivent chez eux, qui ont un trouble majeur, ils sortent peu : courses, consultations, pharmacie, promenade, ils font tout à pied mais ne prennent pas le métro. Et avec la stigmatisation dont ils souffrent, et l’auto-stigmatisation qu’ils peuvent parfois s’infliger, ils gardent leur distance.» Il n’empêche, à l’hôpital comme celui de Maison-Blanche à l’est de Paris, tout est inédit. Un étage – soit une vingtaine de lits –, est en train d’être bloqué pour des personnes suivies en psychiatrie qui attraperaient le coronavirus et ne pourraient pas rester chez elles à la maison sans être accompagnées. Pour l’instant, il n’y a pas de cas connu. «Les populations à risque ? Ce sont les usagers de drogue, bien sûr les personnes âgées en institution, et le personnel, qui peut l’attraper dans le métro en allant au boulot», analyse Tim Greacen. Même son de cloche chez le Dr Jean-Luc Marcel, qui dirige un secteur à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Celui-ci décrit, d’abord, une situation atypique : «A présent, la période est plutôt calme, on a moins de patients, on a moins de demandes, il n’y a plus de consultation, et on arrive à faire des choses au téléphone.» Puis ce constat : «Momentanément, cela se passe pas trop mal.»
«On a des lits disponibles, ce qui est rarissime»
Le Dr Bruno Caron, lui, est en charge d’un CMP, dépendant de l’hôpital Saint-Egrève, près de Grenoble (Isère), l’un des plus gros établissements psychiatriques de la région. L’homme est solide, il a une forte expérience. «Actuellement, ça va. Au CMP, quelques patients viennent, en particulier ceux qui ont du mal avec leur traitement, ou ceux à qui on fait des injections retard [traitement par piqure une fois par mois, ndlr]. Ce qui m’inquiète, c’est demain, l’état psychique des personnes à moyen terme. Il y en a pour qui nous sommes leurs seuls liens. C’est fragile… Mais en tout cas, cela reste incroyable de voir comment on arrive tous à s’adapter.» A Saint-Egrève, la vie des patients n’est pas pour autant devenue un long fleuve tranquille. «Les règles changent tout le temps, c’est un problème, avec une réorganisation permanente», note le Dr Caron. «Pour les patients, il n’y a plus de permission. Ils ne peuvent pas sortir dans le parc, sauf accompagnés. Ils prennent beaucoup sur eux, ils font d’énormes efforts pour s’adapter», insiste le médecin. Et là, comme ailleurs, il manque du gel hydroalcoolique, et les soignants doivent courir pour trouver des masques.
A l’autre bout de la France, au Havre (Seine-Maritime), dans un des établissements psychiatriques qui, l’an dernier avait été en pointe dans la mobilisation, le Dr Jaut s’interroge, sans trop savoir comment qualifier ce moment à part. «Ici, il y a un étonnant silence. On fait les consultations par téléphone. Dans les pavillons, tout ce qui est réunion est arrêté. Les pavillons, même ceux qui étaient ouverts, sont aujourd’hui tous fermés. Les permissions ne sont plus autorisées. Paradoxalement on a très peu d’entrées et on a eu quelques sorties. On a des lits disponibles, ce qui est rarissime.»
Qu’en déduire ? Le docteur Jaut constate : «C’est impressionnant, car les patients semblent supporter mieux que nous ces changements. On prend nos patients pour de grands fous, mais ils s’adaptent. Nous, on a presque du mal avec le confinement, eux ont l’air moins inquiets.» Et comme un petit miracle, il détaille encore : «Avec l’administration, cela se passe bien. Tous les organes de décision collective ont disparu, on a beaucoup moins de réunions, et quand il y en a, on les fait par téléphone, au moins c’est rapide.» Il s’agit d’un moment à part, incertain, fragile comme un équilibre. Tous sont sur un même bateau, qui n’est pas plus ivre, aujourd’hui qu’hier. «Reste que du point de vue de la préservation du psychisme de nos patients, conclut le Dr Jaut, on attend la vague. Que va-t-il se passer la semaine prochaine ? Même si jusqu’ici tout va bien…»
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