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mercredi 25 mars 2020

Françoise Barré-Sinoussi : « Ne donnons pas de faux espoirs, c’est une question d’éthique »

La virologue Françoise Barré-Sinoussi, nommée à la tête du Comité analyse recherche et expertise, installé par l’Elysée mardi 24 mars, appelle à la prudence envers le déploiement d’un traitement contre le coronavirus.
Propos recueillis par  Publié le 24 mars 2020

Françoise Barré-Sinoussi, le 10 mars 2020, à Paris.
Françoise Barré-Sinoussi, le 10 mars 2020, à Paris. Moreau-Perusseau/bestimage

Co-lauréate 2008 du prix Nobel de médecine pour sa participation à la découverte du VIH à l’Institut Pasteur en 1983, la virologiste Françoise Barré-Sinoussi, présidente de l’association Sidaction, a été nommée à la tête d’un Comité analyse recherche et expertise, composé de douze chercheurs et médecins, installé par l’Elysée mardi 24 mars. Ce comité sera chargé de conseiller le gouvernement pour tout ce qui concerne les traitements du Covid-19. Elle s’inquiète des fausses nouvelles qui circulent à propos de l’épidémie due au coronavirus.

Vous qui avez participé à la découverte du virus du sida, vous êtes restée silencieuse jusqu’à présent. Pourquoi vous exprimer aujourd’hui ?

Je suis inquiète, comme tout le monde, face à cette épidémie, qui me rappelle en bien des points beaucoup de choses douloureuses des débuts de l’épidémie de VIH-sida. C’est bien que les experts qui ont les mains dans le cambouis s’expriment, dont certains d’ailleurs ont vécu les premières années de l’épidémie de sida. Mais lorsque j’ai vu les dérives de ces derniers jours, je me suis dit que c’était aussi de ma responsabilité de m’exprimer. On entend parfois n’importe quoi, par exemple, parler de bactéries alors qu’il s’agit d’une infection virale.
Je réagis aussi à la vue, ces dernières heures, des files d’attente devant l’Institut hospitalo-universtaire de Marseille pour bénéficier d’un traitement, l’hydroxychloroquine, dont l’efficacité n’a pas été prouvée de façon rigoureuse. Certains peuvent être contaminés et risquent de diffuser le virus. C’est n’importe quoi. J’ai connu ce genre de situation dans les années 1980, ce qui peut semer la confusion auprès du grand public, déjà sidéré par l’ampleur de cette épidémie.
Que pensez-vous de l’hydroxychloroquine (Plaquenil) et des attentes suscitées par ce médicament ?
Pour l’instant, pas grand-chose, j’attends les résultats de l’essai Discovery, conçu dans le cadre du consortium « Reacting », qui vient de démarrer et qui portera sur 3 200 personnes, dont 800 en France. Un premier groupe recevra des soins standards sans médicament ; un deuxième se verra administrer l’antiviral remdesivir ; puis dans le groupe 3, les patients recevront une association lopinavir-ritonavir ; la même association sera administrée dans le quatrième groupe en combinaison avec un autre médicament, l’interféron bêta, et un cinquième avec l’hydroxicholoroquine [seul], qui a été ajouté récemment. Tous ces groupes de patients sont bien sûr traités avec en plus des soins standards. De premières analyses fiables devraient être connues dans une quinzaine de jours. Cet essai est fait dans les règles de l’art. Soyons patients.

Vous voulez dire que les résultats annoncés par l’équipe du professeur Didier Raoult ne sont pas fiables ?

Les premiers résultats publiés portent sur un tout petit nombre de personnes, une vingtaine, et l’étude comporte des faiblesses méthodologiques. Il est absolument indispensable que l’essai de ce médicament soit réalisé avec rigueur scientifique, pour avoir une réponse sur son efficacité, et ses éventuels effets secondaires. Il nous faut quelque chose de sérieux. D’autant plus que l’hydroxychloroquine, ce n’est pas du Doliprane, elle peut avoir des effets délétères et comporter des risques de toxicité cardiaque. Il n’est donc pas raisonnable de la proposer à un grand nombre de patients pour l’instant, tant qu’on ne dispose pas de résultats fiables.
Si cela marche, j’en serais très heureuse, et tester des molécules qui existent déjà sur le marché est une approche tout à fait raisonnable. Mais il faut des réponses solides à ces simples questions : est-ce efficace ? Existe-t-il des effets secondaires graves ?

Des soignants le délivrent déjà, qu’en pensez-vous ?

Il arrive en effet qu’il soit donné à titre compassionnel, ce qui signifie délivrer un médicament qui est déjà sur le marché pour une autre indication à des personnes dans un état grave. Mais attention certains patients pourraient mal le supporter. Rappelons-le, c’est bien grâce à la rigueur scientifique des essais cliniques qu’on a pu obtenir les combinaisons thérapeutiques qui permettent aujourd’hui de vivre avec le VIH. Evaluer de nouvelles molécules prendra du temps.

En quoi la situation actuelle vous rappelle-t-elle l’épidémie de VIH ?

Faisons très attention aux effets d’annonce, on en a vécu beaucoup dans le domaine du VIH/Sida. Par exemple, des candidats-vaccins avaient été annoncés comme protégeant du VIH ; certaines personnes les ont utilisés et ont été infectées. Certains ont utilisé des médicaments qui étaient censés les guérir, sans succès. L’actualité nous rappelle de tristes histoires. Ne donnons pas de faux espoirs, c’est une question d’éthique.

Comment concilier rigueur scientifique et urgence épidémique ?

Au début des années sida, il y avait des crises d’hystérie et d’angoisse parfois déraisonnées et déraisonnables du grand public, liées, entre autres, à des informations contradictoires, à de la désinformation, que je retrouve là en partie avec cette pandémie.
Pour le VIH/Sida, notre force a été la solidarité, le « tous ensemble », que pour le moment je ne trouve pas suffisant dans cette épidémie, même si cela existe chez la majorité des soignants, des chercheurs, et nous devons être admiratifs de ce qu’ils font, et dans le contexte dans lequel ils le font.
Mais la communication devrait être mieux coordonnée, de façon globale, pour être la plus fiable possible. Tout est amplifié par les réseaux sociaux, avec de trop nombreuses fausses informations, ce qui crée des angoisses. Les médias ont un rôle à jouer.
La grande majorité des personnes infectées par le SARS-CoV-2 guérissent alors qu’un diagnostic d’infection VIH dans les années 1980 était une sentence de mort. Le SARS-CoV-2, en revanche, se transmet bien plus facilement que le VIH.

Quelle est l’urgence ?

Pour moi l’urgence est d’arrêter l’épidémie et donc d’appliquer le strict respect du confinement. Et j’en appelle à l’aide de toutes et tous ! C’est la meilleure chose que l’on puisse faire pour aider les soignants. Le manque de discipline de la population m’inquiète.
L’urgence, c’est aussi la recherche. Les procédures sont accélérées, et c’est une bonne chose, pour les essais cliniques bien sûr, mais aussi pour que la recherche fondamentale avance au plus vite. Car la compréhension des mécanismes d’entrée et de multiplication du SARS-CoV-2 dans les cellules permettra de développer les stratégies thérapeutiques de demain.
Des recherches portent aussi sur les anticorps très puissants, sur le même modèle que le VIH, qui pourraient être utilisés en thérapeutique… Des recherches ont démarré à l’Institut Pasteur dans ce domaine ainsi que sur un vaccin, mais tout cela prendra du temps.
Enfin, n’oublions pas les personnes vulnérables, les migrants, les SDF, les personnes dans les prisons… Il faut aussi les protéger, les prendre en charge, en travaillant entre autres avec le milieu associatif.

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