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Photo personnelle. DR
Chaque jour, «Libé» donne la parole à des confinés, de tout poil, pour raconter leur vie à l’intérieur. Les galères petites ou grosses, les angoisses parfois mais aussi les joies et petits bonheurs imprévus. Chacun d’eux envoie une photo «de dedans», qui symbolise l’humeur du moment.
France, 67 ans, est seule avec ses deux enfants de 27 et 30 ans, M. et J-D. Tous les deux sont handicapés, et il faut les occuper quotidiennement. En temps de confinement, c’est un défi pour cette mère de famille. Tous les trois vivent dans le XXe arrondissement de Paris, près de la porte de Montreuil.
«Je suis confinée chez moi avec mes deux grands enfants de 27 et 30 ans. Ils sont tous les deux trisomiques, mais M., le plus jeune est aussi autiste et J-D., l'aîné, a des difficultés à marcher. Pour eux, c’est un peu difficile parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’il se passe. Je ne peux pas les laisser trop longtemps seuls, et il n’y a plus grand-chose au supermarché.
«Je m’inquiète surtout pour mon plus grand, J-D. Avec ses difficultés à se déplacer, s’il ne marche pas pendant un moment, il va finir en fauteuil. Alors je fais exprès d’aller lui demander quelque chose dans la salle de bains, puis dans la cuisine, mais à la longue, il me regarde bizarrement. J’ai aussi peur qu’il tombe en déprime, parce qu’il est sensible à ça. Je pense qu’il se rend compte qu’il se passe quelque chose. Au début, il me demandait d’aller au ciné, alors je lui ai dit que c’était la grève et que c’était fermé, parce que la grève, ça, il comprend. Mais il voit bien que j’écoute les informations et qu’il se passe quelque chose d’autre, alors il est inquiet.
«Il y a une dizaine d’années, il pouvait prendre le métro, se déplacer tout seul. Et puis il a attrapé la grippe A-H1N1 et il est tombé dans le coma pendant plusieurs jours. Quand il en est ressorti, il a gardé beaucoup de séquelles. Il a des problèmes respiratoires et des difficultés à marcher. Pour lui expliquer la situation aujourd’hui, je lui ai dit "tu te souviens quand je suis venue te voir à l’hôpital, je portais un masque". Je crois qu’il comprend.
«Cette situation, même pour moi, elle est épuisante. Je ne suis plus toute jeune, j’ai 67 ans, je suis pleine d’arthrose. Ce matin, j’ai réussi à descendre faire quelques courses, mais je dois faire bien attention pour les protéger. J’essuie la porte, les boutons de l’ascenseur, je fais attention à tout. Heureusement que la personne du supermarché du coin nous connaît, elle me téléphone quand elle reçoit du stock. Je descends, et elle ne me fait pas faire la queue. Les gens râlent, mais je m’en fiche. Ce que je redoute, c’est s’il venait à manquer de choses primordiales, là je ne sais pas comment je ferais.
«J’habite une cité, c’est triste mais il n’y a pas de solidarité. Les gens me connaissent, ils savent que je suis seule avec mes deux garçons. En temps normal, les gens viennent sonner, me demandent du sel, du poivre, on discute. Mais là, il n’y a plus personne. Récemment, j’ai mis un mot dans l’ascenseur pour récupérer des vieilles revues pour mes garçons. Des Femmes actuelles ou des Gala, pour qu’ils puissent découper parce qu’ils aiment bien ça. Mais je n’ai eu aucune réponse… J’ai même fait les poubelles jaunes pour voir, il n’y avait rien. Il faut que les gens comprennent qu’il y a des personnes âgées seules ou des handicapées qui sont aussi confinés.»
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