Dans une tribune au « Monde », un collectif de professionnels de la protection de l’enfance appelle les pouvoirs publics à faire de cette thématique une cause nationale.
Par Collectif Publié le 5 janvier 2018
Tribune. Nous, éducatrices et éducateurs spécialisés, assistantes et assistants sociaux, psychologues, secrétaires, chefs de service du SIOAE 93 de l’Association vers la vie pour l’éducation des jeunes (AVVEJ), soutenons pleinement la tribune des 15 juges des enfants du Tribunal de grande instance de Bobigny du 5 novembre 2018, dans laquelle ils dénoncent le naufrage de la protection des mineurs en Seine-Saint-Denis.
Professionnels de l’enfance et de la famille, nous rencontrons, à la demande du juge des enfants, des familles dont un enfant se trouve en situation de danger, c’est-à-dire lorsque « sa santé, sa sécurité, sa moralité sont en danger (…), ou que les conditions de son éducation, de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises » (art. 375 et suivants du Code civil). Ces mesures éducatives judiciaires ont pour objectif d’apporter un éclairage au juge sur la situation et l’histoire familiale, d’apprécier la nature et le degré du danger, et d’accompagner l’enfant et ses parents dans les difficultés rencontrées, afin de tenter d’y remédier.
Nous partageons avec les juges des enfants, le constat dramatique d’une impossibilité de mener à bien les missions qui nous sont confiées par l’Etat et le Conseil départemental. Nous sommes confrontés à une quantité grandissante de mesures éducatives qui viennent grossir les listes d’attente de tous ces enfants dont la situation de danger est avérée, et qui constituent des « mesures fictives » pouvant attendre jusqu’à dix-huit mois.
Nous dénonçons la non-protection de centaines d’enfants en danger : près de 900 enfants sont en attente d’une intervention éducative décidée par le juge, dans le département de la Seine-Saint-Denis. La situation devient alarmante : un enfant de 3 ans qui a été signalé par un membre de sa famille, son école ou un voisin, sera – sauf péril imminent – pris en charge par notre service lorsqu’il aura au moins 5 ans. Or le temps d’un enfant n’est pas celui d’un adulte, et sa construction psychique pourra se trouver entravée de manière parfois irréversible à cet âge.
Un coût énorme pour la société
Quand nous revoyons les familles plus d’un an après l’audience auprès du juge, la situation s’est dégradée, la parole s’est refermée, la relation de confiance avec parents et enfants est d’autant plus difficile à établir. Trop souvent un placement de l’enfant devient inévitable, alors que notre travail doit lui permettre d’être aidé tout en restant dans sa famille.
Nos institutions passent tous les jours à côté de situations aussi dramatiques que celles qui émeuvent régulièrement l’opinion publique à travers des faits divers attirant ponctuellement l’intérêt médiatique : infanticides, viols, incestes, conflits conjugaux, violences, drames humains, radicalisation… Oui, le manque de moyens financiers et humains maintient aujourd’hui des enfants en situation de danger, alors qu’une politique de prévention précoce et de protection est le meilleur rempart à toute forme de violence.
Les conditions de travail intenables ne nous permettent pas d’assurer un suivi de qualité auprès des familles
Nous dénonçons une dégradation générale de la prise en charge des enfants dans le département. Les autres institutions avec lesquelles nous travaillons traversent les mêmes difficultés : Aide sociale à l’enfance, Centres médico-psychologiques (CMP), secteurs de psychiatrie, service social, protection maternelle et infantile (PMI)… Les budgets sont insuffisants eu égard aux besoins identifiés sur le département : un an d’attente pour une prise en charge psychologique en CMP, pénurie de foyers et de familles d’accueil, etc.
Les conditions de travail intenables ne nous permettent pas d’assurer un suivi de qualité auprès des familles. Le manque de considération pour nos métiers, cumulé à une perte de sens et des responsabilités lourdes, des salaires bas et non revalorisés mènent à des difficultés de recrutement.
Et enfin nous dénonçons un coût énorme pour la société, qui pourrait être évité. Un enfant qui se construit dans un climat de violence physique, psychologique ou de carences affectives a plus de risques de devenir un adolescent délinquant, un adulte vulnérable qu’il faudra protéger ou dont il faudra protéger la société.
Ainsi, nous, professionnels du SIOAE 93 de l’AVVEJ, portant la responsabilité de ces « mesures fictives » ordonnées par les juges des enfants du tribunal de Bobigny, demandons à l’Etat de toute urgence de réfléchir de manière globale aux conséquences de l’insuffisance de la protection des mineurs en danger dans notre pays, de décider de moyens supplémentaires au plus vite, et de faire de la protection de l’enfance une cause nationale afin de proposer des solutions pérennes.
Signataires : Jean-Christophe Adenot, psychologue ; Catherine Bailly, chef de service ; Isabelle Baron, éducatrice spécialisée ; Dalila Benali, éducatrice spécialisée ; Nathalie Bouillet, directrice ; Palma Comiti, éducatrice spécialisée ; Perrine Desprairies, éducatrice spécialisée ; Julie Derancourt, chef de service ; Sandra Fedorowsky, psychologue ; Valérie Feller, éducatrice spécialisée ; Alexandra Frangeul, assistante socio-éducative ; Delphine Fromentin, psychologue ; Anne Gautier, assistante socio-éducative ; Patricia Hahn, secrétaire ; Caroline Hamon, éducatrice sportive et scolaire ; Kamélia Harireche, éducatrice spécialisée ; Nathalie Huchet, éducatrice spécialisée ; Shirine Koutchekian, éducatrice spécialisée ; July Krir, éducatrice spécialisée ; Dorine Lambert, psychologue ; Chloé Le Roux, éducatrice spécialisée ; Célia Lhotellier, éducatrice spécialisée ; Magali Lutrand, psychologue ; Frédérique Mahieux, éducatrice spécialisée ; Thomas Mantis, éducatrice spécialisée ; Nadine Marseille, éducatrice spécialisée ; Florence Mongenet, éducatrice spécialisée ; Dorine Nkodia, éducatrice spécialisée ; Layla Pearron, assistante socio-éducative ; Marie Pellerin, éducatrice spécialisée ; Vanessa Pierre, éducatrice spécialisée ; Emilie Pras, éducatrice spécialisée ; Nicolas Taminau, éducateur spécialisé ; Julie Vander-Heym, éducatrice spécialisée ; Julie Verepla, éducatrice spécialisée ; Lucie Vermot, psychologue ; Haïdeh Yeganet, psychologue ; Sarah Zammit, psychologue. Toutes et tous salariés du SIOAE 93 de l’AVVEJ de Seine-Saint-Denis
Liste intégrale des signataires ici
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