Dans l’avis, rendu à l’automne 2018, par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en vue de la révision de la loi bioéthique, figure la levée de l’anonymat des donneurs de spermes. Or, une loi universelle ne peut trancher sur une question individuelle estime, dans une tribune au « Monde », la psychanalyste Charlotte Dudkiewicz.
Par Charlotte Dudkiewicz Publié le 9 janvier 2019
Tribune. Georges David est mort le 22 décembre. Ce grand médecin a osé braver les préjugés de la société qui l’entourait car il voulait que l’insémination avec donneur soit reconnue, qu’il y ait une autorisation officielle. Il voulait pouvoir agir au grand jour, d’abord pour ne pas être assimilé à certains confrères douteux, mais surtout parce qu’il avait une haute idée de l’insémination avec donneur (IAD). Il ne supportait pas la détresse des couples qui n’arrivaient pas à devenir parents.
Toujours avec conviction et sagesse, il a mis en place un entretien avec un psychologue car il était évident pour lui que la stérilité, et plus encore, le recours à l’insémination avec donneur soulevaient de grandes questions éthiques et psychologiques. Aujourd’hui, dans chaque centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), il y a des commissions pluridisciplinaires, composées de gynécologues, biologistes, psychologues, généticiens… où toutes les demandes sont examinées.
Il a souvent raconté comment il était passé du don de sang au don de spermatozoïdes, et combien ce fut difficile de le faire accepter. Savoir conserver a permis de dissocier les deux étapes : donner et utiliser. Plus besoin d’un donneur dans la pièce à côté. Et cette distance a donné davantage de liberté et permis que le don puisse devenir anonyme. Il avait été peiné d’entendre certains enfants nés du don dire leur volonté de connaître l’identité du donneur. Il sentait bien la souffrance sous-jacente à une certaine agressivité militante pour la levée de l’anonymat du donneur.
Fraternité
L’association Procréation et psychisme (PEPSY) a récemment organisé une rencontre des professionnels des Cecos et de la médecine de la reproduction avec les deux représentants des deux associations d’enfants nés du don l’Association des enfants du don (ADDED) et l’association de la Procréation médicalement anonyme (PMAnonyme). On sentait entre eux une sorte de fraternité. Ils ont spontanément évoqué la façon dont ils avaient appris les conditions de leur conception, et leur discours, empreint de sensibilité et de maturité, montrait qu’ils avaient vécu de vraies épreuves. Un témoignage aussi direct est précieux et rare.
Certes, ils n’arrivaient pas à la même conclusion, mais pour les deux, en fait, l’important est de ne pas maintenir le secret sur la conception avec tiers donneur. Pour l’un, cela devait finir par la possibilité de savoir qui était le donneur et ceci vers 18 ans ; pour l’autre, ce n’était pas le sujet. Ne serions-nous pas, dans ce problème, devant de l’indécidable ? Du fait, entre autres, que les protagonistes sont dans des temps différents, des temps qu’une loi « universelle » ne saurait unifier.
Voilà vingt-trois ans que je reçois au Cecos de l’hôpital Tenon à Paris des couples en mal d’enfant. Pour tous, l’anonymat du don est une évidence, et aussi une nécessité. Quelle place pourrait bien avoir le donneur dans leur configuration familiale ? Ils demandent souvent : « Mais pourquoi donnent-ils ? C’est tellement formidable qu’on puisse avoir ce recours. Quel cadeau ! »
Valeur de l’anonymat
On sait que les médias ont abondamment donné la parole aux enfants qui souhaitent connaître un peu ou beaucoup de leur donneur. Mais quand les futurs parents se demandent si ce serait mieux pour eux de recourir à un donneur non anonyme, ils en viennent vite à dire « Non, ce serait compliqué… l’anonymat protège tout le monde », « d’ailleurs le donneur n’a pas forcément envie qu’on lui fasse signe 18 ans ou plus après son don ».
Et en effet, que sait-on de ce qu’on ressentira plusieurs années plus tard ? Un donneur s’est rétracté en réalisant que même si aujourd’hui cela lui semblait possible de permettre un accès à son identité, il ne savait pas ce qu’il en serait plus tard quand il aurait lui-même fondé famille et que ce moment du don sera loin. Or, il est question de changer la loi sur l’anonymat du don, et cela effraie certains donneurs et certains futurs parents.
Ceux que nous voyons depuis la création des Cecos en 1973 s’accommodent bien de l’anonymat du don, et presque tous trouvent que c’est mieux ainsi. Or des enfants qui sont aujourd’hui des adultes, nous disent qu’ils veulent accéder à tout ce qu’il est possible de savoir et surtout connaître l’identité du donneur, être en relation avec lui si affinités… Certains font des tests génétiques et ont retrouvé le donneur dont le sperme a servi à leur conception.
Comprendre
Il serait bon qu’ils nous disent ce qu’il en est ; en outre, s’ils ont retrouvé cet homme c’est que lui-même avait envie de savoir… ou qu’il en avait parlé à des proches. Cela doit-il modifier la loi ? Jusqu’ici chacun s’en débrouille : lorsqu’on n’est pas satisfait de ses parents (et point n’est besoin pour cela d’être né grâce à un don), on s’invente une histoire qui nous convient, on se réinvente des parents formidables, ou l’on fait en sorte de devenir soi-même un meilleur parent.
Depuis quelques années, des enfants nés grâce au don viennent au Cecos et demandent à voir le psychologue : ils ont tous souffert de l’avoir appris très tard ou très mal. Et tous parlent de « trahison ». Mais ceux-là n’ont jamais demandé à connaître l’identité du donneur. Ils avaient besoin de parler et de comprendre comment fonctionnent les Cecos, et ce qu’on peut leur dire des donneurs ou de la demande des couples. C’est chaque fois émouvant et riche d’enseignements.
Ce qu’il manque sans doute c’est de faire savoir que cette possibilité d’en parler existe, et qu’elle peut faire du bien. Les deux associations d’enfants du don le prouvent d’ailleurs. Elles répondent à un besoin de se retrouver entre soi et d’informer.
Filiation symbolique
Car cela ne va pas de soi d’être un homme stérile qui devient père, d’avoir pour père ce père-là, d’arriver au monde après un vrai combat de ses parents pour vous donner la vie. En même temps, être né de gens qui n’ont pas renoncé à leur désir de devenir parents, par manque de gamètes, et qui y sont parvenus sous le signe de la solidarité humaine, voilà un message de vie qui vaut bien des principes éducatifs.
N’oublions pas que la peur de voir apparaître le donneur à un moment de l’histoire familiale peut amener les parents à ne rien dire à leur enfant. Et cela instaure le secret sur la conception, qui est tout autre chose que l’anonymat. C’est le secret qui est délétère et c’est face au secret que les enfants parlent de sentiment de trahison. Ces enfants sont nés du désir de leurs parents qui ont fait tout un chemin pour inscrire dans une filiation symbolique les gamètes qu’ils reçoivent. Faut-il faire régresser ce travail ou le perturber en faisant apparaître le donneur de gamètes ?
Georges David ne s’attendait pas à ce que quarante-cinq ans plus tard, ce don de gamètes suscite tant de polémiques. Il espérait sans doute qu’un progrès médical le rendrait inutile. Ce n’est pas encore le cas, et quelles que soient les modalités parfois controversées, des couples ont donné la vie à plus de 70 000 enfants avec l’aide des Cecos.
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