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La disparité territoriale en termes de prise en charge des malades et le nombre de postes vacants inquiètent les professionnels. Plongée dans quatre établissements français.
En France, les malades mentaux sont souvent maltraités. Ou plus exactement, c’est la loterie. Le paysage de la psychiatrie publique est en effet comme un puzzle, éclaté, sans cohérence d’ensemble. Certaines zones territoriales - et équipes médicales - arrivent à fonctionner. D’autres se battent ou s’effondrent. Pour le malade, c’est la grande incertitude dans la prise en charge, l’arbitraire parfois. On attache bien plus les patients dans l’Hexagone que dans les pays voisins. Et, depuis vingt ans, les chambres d’isolement se sont multipliées. Voyage à travers des lieux de soins devenus, bien souvent, peu hospitaliers.
A Saint-Etienne, des urgences sous tension
C’est un vieux monsieur. D’ordinaire mesuré, on ne peut le taxer d’extrémisme. Jusqu’à récemment, il était le président de l’Unafam (Union des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) de la Loire. Là, Jean-Claude Mazzini n’en peut plus, il ne sait plus quoi faire : «Vous vous rendez compte, à Saint-Etienne, on ne prend plus en charge les nouveaux malades mentaux. Ou alors au compte-gouttes.»
Au centre médico-psychologique de la Charité (CMP, lieu névralgique où se tiennent toutes les consultations psy de la ville), il y a des files d’attente de 300 personnes. Et pendant tout l’automne, le lieu a refusé tout nouveau patient. «Quand on reçoit des familles, on ne sait quoi faire. Notre conseil est d’attendre, c’est terrible, on leur dit d’attendre que la crise vienne et que la crise soit violente, raconte encore Jean-Claude Mazzini. Et quand la crise est là, on leur dit d’aller aux urgences… Mais ce n’est pas une solution adaptée quand on voit l’état de ce service.»
Les urgences psychiatriques au CHU de Saint-Etienne ? En mars, on s’en souvient, elles ont fait parler d’elles. La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, publiait alors en urgence des recommandations, dénonçant les traitements inhumains que devaient supporter les malades, attachés pendant des jours dans des couloirs en attendant une hypothétique place dans un lieu d’hospitalisation. Ils étaient mis systématiquement sur un brancard et contentionnés. «On n’a ni la place ni le temps, alors on attache.» Telles étaient les pratiques du service des urgences. La contrôleuse exigeait des changements immédiats, qu’a promis la direction du CHU.
Dix mois plus tard, on attend toujours. Le directeur, Michaël Galy, peut lâcher à une journaliste de France Bleu : «Nous maintenons une dynamique d’investissement… Ce n’est d’ailleurs pas une situation spécifique au CHU de Saint-Etienne. Cette impatience est encore plus importante dans les services de psychiatrie. Il se passe dans beaucoup d’endroits du pays la même chose qu’à Saint-Etienne.»
Aux dires de toutes les personnes rencontrées - nous n’avons pas pu le confirmer visuellement car cela nous a été refusé - la situation reste tendue. Schématiquement, toutes les urgences médicales arrivent au CHU. Une infirmière procède alors à un tri : d’un côté les urgences générales, de l’autre celles dites fonctionnelles, et c’est là que sont dispatchés les malades psy. En attendant de voir un psychiatre, et surtout de bénéficier éventuellement d’un lit dans le service psy situé deux étages au-dessus, les malades restent en bas. En stand-by. Et «par précaution», souvent attachés. «L’habitude est telle que même lorsqu’un patient arrive avec une lettre de ma part, où je dis explicitement "nul besoin de le contentionner", je le retrouve attaché», nous dit un psychiatre du CHU (1). La direction s’était engagée à construire des boxes, aucun des travaux en ce sens n’a encore débuté. La direction avait affirmé qu’elle lancerait aussitôt un programme de formation, il tarde à voir le jour. Elle avait affirmé que des lits seraient ouverts : d’autres ont été, de fait, fermés. Nous l’avons interrogée à ce sujet, nous avons reçu une réponse laconique via un communiqué de presse : «Un plan de 500 000 euros est prévu en 2019 et de nouvelles procédures sont en cours.»
Aujourd’hui, la situation de la psychiatrie publique à Saint-Etienne reste problématique. Depuis plusieurs mois, tous les syndicats, regroupés dans un collectif («Psy Cause»), ont lancé symboliquement une grève illimitée. «Que voulez-vous qu’on fasse ? lâche un infirmier CGT. On se fait injurier par la direction, on nous a intimé l’ordre de ne pas parler à l’extérieur pour ne pas abîmer l’attractivité du CHU. Et le personnel est à bout.» Une infirmière FO : «Comme on ne peut plus prendre de nouveaux malades, notre activité va baisser et on va dire que l’on est trop nombreux.» Cercle vicieux, logique désespérante, dialogue limité entre les professionnels de santé mentale et la direction.
Depuis deux mois, en tout cas, les décisions d’obligation de soins prises par la justice ne peuvent plus être appliquées, ou alors exceptionnellement, faute de personnel. Les malades sans domicile, alcooliques, paumés, restent hors du circuit sanitaire. Le plan précarité a été mis à l’arrêt, faute de ressources. Un infirmier : «Au CMP, j’ai l’impression de faire de la médecine de guerre. Je trie les malades. Les graves qu’on essaye de prendre en charge, les autres qu’on met de côté.» Un des rares psychiatres travaillant au CMP a quitté le lieu fin décembre, pour des raisons familiales. «Sera-t-il remplacé ? On n’en sait rien. Et c’est cela le plus dur, on ne peut avoir aucun projet car on n’a aucune certitude institutionnelle.» Un professionnel de santé : «Je ne suis en guerre ni contre l’administration ni contre personne. Et c’est d’autant plus dommage que l’on pourrait faire des choses, car il y a une vraie solidarité entre nous.»
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