Composé de jeunes rockeurs de 70 ans, le chœur tourne depuis presque dix ans dans les maisons de retraite et les prisons de l’Hexagone. Un succès couronné par la sortie de leur premier album.
Par Pascale Krémer Publié le 6 janvier 2018
Face à l’Ehpad de Dunkerque (Nord), la petite troupe marque le pas. Un « Sauve-qui-peut ! » rigolard fuse d’un côté, de l’autre une réflexion au canon sur « le droit à mourir dans la dignité ». N’empêche, tous sont venus se produire devant « les vieux » qui n’ont qu’une dizaine d’années de plus qu’eux. Rebelles mais solidaires, les Salt & Pepper, chorale rock de retraités – moyenne d’âge 70 ans –, qui préféreraient l’euthanasie plutôt que de chanter du Luis Mariano.
« One two, one two ! » A mesure que les micros s’échauffent, les déambulateurs affluent. Sous des guirlandes de papier « Ici, c’est la fête », les pensionnaires s’alignent sur des chaises en plastique dans la vaste salle surchauffée qu’égaient quelques flamants roses peints sur les vitres. C’est heure de sieste à la maison de retraite, ce mercredi de fin novembre. L’ambiance, aux Charmilles, n’est pas totalement woodstockienne. Côté scène, les Salt & Pepper démarrent en trombe. Jouer dehors (Mademoiselle K). Et d’enchaîner. Ça plane pour moi (Plastic Bertrand), L’Idole des jeunes (Johnny Hallyday), Because the Night (Patti Smith), Un autre monde (Téléphone).
« Les détenus rigolent un peu en nous voyant arriver mais au bout de deux morceaux, ils chantent avec nous. » Marie-Claude Hétru, 64 ans, choriste et fan de Metallica
Ni torses tatoués ni longues chevelures secouées tête en bas, mais tout de même une énergie folle, chez les choristes, comme pour se prouver qu’ils n’ont rien à faire là. C’est à qui tente le déhanchement ou l’air guitar le plus frénétique.« Rock’n’roll is not dead ! », beugle entre deux titres José Deswarte, 72 ans, bandana sur cheveux blancs. Dans le public, des têtes se relèvent, dodelinent, des doigts tapotent les accoudoirs des fauteuils roulants. « C’est génial, pour eux, observe la responsable animation en blouseblanche, Christine Cagnion. D’ailleurs ils m’ont demandé d’ajouter les Rolling Stones sur la borne musicale, à l’entrée. Ils étaient ados dans les années 1960. Les accordéons, ils n’aiment plus tant que ça… »
Un point commun avec les retraités qui se déchaînent devant eux. Il y a neuf ans, déjà, Virginie Scherrens l’avait compris. Chargée d’action culturelle à la salle de concerts rock des 4-Ecluses, à Dunkerque, c’est elle qui eut l’idée iconoclaste de projeter un documentaire sur un chœur de rockeurs seniors américains, puis d’inciter les retraités de la ville à s’embarquer dans le même genre d’aventure. Enfin, pour six mois. Mais les recrues ont refusé de s’arrêter.
« On commençait à avoir une image », pose, un rien star, Lyli Chaumont-Souvraz, septuagénaire en cuir. En 2012, la quarantaine de choristes se constitue en association et dégote de quoi rémunérer la chef de chœur et trois musiciens. Il y a les cotisations des membres, les petites subventions locales et surtout les concerts, parfois payants. Plus de cent, déjà, dans les salles des fêtes, festivals, maisons de retraite et prisons. « Les détenus rigolent un peu en nous voyant arriver mais au bout de deux morceaux, ils chantent avec nous », raconte la discrète Marie-Claude Hétru, 64 ans, fan de Metallica. Dernièrement, les Salt & Pepper ont même investi une église, près de Bergues (Nord), avec ce regret : ne pouvoir chanter Highway to Hell, d’AC/DC.
Eux ont emprunté l’autoroute du succès. En octobre 2018, la chorale en Perfecto a sorti un disque chez Universal. Quinze jours d’enregistrement, debout, avec d’énormes casques sur les oreilles, l’interdiction des fautes d’anglais et des gaufres liégeoises maison pour tout dopant. Ereintant ! Surtout qu’après la sortie d’un livre le même mois – Chœur de rockeurs, de Valérie Péronnet (Les Arènes, 240 p., 14,90 €), les contemporains nordistes de Mick Jagger ont eu droit à une séance photo dans les dunes pour un cinq pages dans Gala. Puis à la tournée des plateaux télé. L’apothéose ? Le 18 novembre 2018, chez Michel Drucker. « Un an de plus que moi », balance Lyli, l’œil qui frise.
Prendre « une sacrée revanche »
Maquillage, coiffure, petites attentions, ces dames, qui constituent le gros de la troupe, ont tout savouré, leur vie n’ayant pas toujours été aussi pailletée. Joséphine Allouchery, aussi petite en taille que forte en tempérament, a même le sentiment de prendre une « sacrée revanche » : « A 15 ans, j’avais été sélectionnée dans un concours de chant, du temps de Roger Lanzac. Je devais faire un 45-tours, mais mes parents ont refusé de m’envoyer à Paris, pays de perdition. Alors faire ce CD, à l’automne de ma vie, côtoyer le monde du spectacle… Je n’ai pas les mots ! » Liliane Goffard, elle, vendait beurre et fromage à l’adolescence. Chanter en anglais n’est pas une sinécure : « Heureusement que j’ai une bonne mémoire et qu’une choriste a traduit toutes les chansons en phonétique. »
Salt & Pepper, entend-on, leur apporte une joie de vivre assaisonnée d’entraide et pimentée d’indiscipline. « Les vieux, employons le mot, ils considèrent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent », s’amuse Lyli. La chanteuse Nathalie Manceau, leur chef de chœur adorée (« jolie comme un cœur », glissent ces messieurs), pourrait être leur fille mais doit parfois jouer les mères Fouettard. « Certains sont des électrons libres. Je dois amadouer l’énergie quand elle est trop présente. » Les rockeurs du troisième âge pratiquent entre eux l’art de la « vanne » avec une constance d’adolescents. Mais tous les mardis, jour de répétition, ils s’épaulent, sans trop s’épancher.
« On ne parle pas bobos, on n’a pas le temps, c’est sérieux, mine de rien, assure Sylviane Franzoso, une ex-secrétaire médicale à lunettes papillonnantes. Après mon cancer du sein, la chorale m’a obligée à sortir, à reprendre soin de moi. Elle m’a reboostée, comme une thérapie. Maintenant je fais la folle ! » Aux côtés d’Annie Cordonnier, 72 ans, qui, jeune fille, aimait Johnny et Les Chats sauvages. « Puis je me suis vite mariée, j’ai eu quatre enfants, j’ai mis ça au fond d’un tiroir. Il s’est ouvert à nouveau. Pourvu qu’il reste ouvert longtemps ! »
Pas franchement gâteau, les mamies. Leurs petits-enfants ne s’en plaignent pas. « Scotchés », « fiers », « complices », savent les choristes, dont les prestations se retrouvent sur Facebook, les posters sur les murs des chambres d’ados. Des grands-parents qui ont fait Mai 68, vécu la libération sexuelle, assisté aux concerts de Led Zeppelin, des Who, des Rolling Stones, ne comptent pas s’assoupir au club de bridge. Attendrie, la chef de chœur a saisi que le rock était leur pied de nez à la vieillesse. « Nous aussi, on se déchaîne pas mal, se flatte Lyli. Si on chante le rock comme ça, c’est qu’on a été heureux. » Ne tentez pas d’appeler « seniors » ceux dont la vie a eu le rock pour bande musicale.
Prochaine date : Dimanche 13 janvier après-midi, salle du Kursaal, Dunkerque
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire