L’établissement pénitentiaire parisien rouvre ses portes ce lundi après quatre ans de rénovation complète. Si les quelque 800 cellules individuelles ont été un peu agrandies et mieux équipées, la majorité d’entre elles ont déjà été dotées d’un deuxième lit.
L’enceinte en meulière qui borde la rue de la Santé dans le XIVe arrondissement de Paris n’a pas changé mais, à l’intérieur, rien n’est plus pareil. Il n’y a qu’à voir ces cubes d’un blanc étincelant qui se détachent dans le ciel. Deux éboueurs affairés le long de la façade prédisent déjà à la prison une sacrée destinée : «Tu vas voir que les gilets jaunes vont prendre la Santé, ça va être comme la Bastille en 1789 !» Quatre ans après le début des travaux, le mythique établissement pénitentiaire rouvre ses portes ce lundi en accueillant une première vague de 80 détenus (ils arriveront ensuite, au fur et à mesure, des prisons surpeuplées de Fleury-Mérogis et de Fresnes en Ile-de-France, mais aussi directement du TGI de Paris). Depuis plusieurs semaines, parlementaires et médias se pressent pour découvrir le lifting. «On est dans le cœur de Paris, l’attention est hors-norme. Toute la classe politique veut faire sa visite, le niveau de demandes est démentiel, précise-t-on à l’administration pénitentiaire. Il se murmure même que le Président veut l’inaugurer.» En l’espace de six mois, la directrice, Christelle Rotach, a joué les guides pour 1 500 personnes, dont les familles des surveillants.
La Santé, sortie de terre en 1867, est devenue un vestige patrimonial, une sorte de «mère taule» avec son architecture emblématique, ses occupants célèbres (Guillaume Apollinaire, Marcel Petiot, Jean Genet, Jacques Mesrine ou encore Jérôme Kerviel pour n’en citer que quelques-uns) et son imaginaire cinématographique. «Ça peut paraître curieux de dire ça, mais c’est un bel établissement, on est dans un écrin privilégié. Le résultat des travaux est harmonieux et donne une belle ambiance», décrit la directrice dans son bureau, où se côtoient une Marianne rose fluo, la photo d’Emmanuel Macron, un collier de coquillages et une grande clé dorée avec cette inscription : «Maison d’arrêt de la Santé, 15 juin 2018.»Soit la date de la fin des travaux. Ses fenêtres donnent sur la cour d’honneur, là où avaient lieu les exécutions capitales, dont celle de Claude Buffet et Roger Bontems, derniers guillotinés à Paris en 1972.
Certes, l’immense porte d’entrée a été refaite, le lierre abattu et la pierre nettoyée, mais les lieux dégagent un parfum d’antan avec le sol pavé et les murs de meulière. A l’intérieur de la prison, la vieille passerelle de bois qui court autour de la rotonde centrale est toujours là. Le quartier bas, connu pour ses branches en étoile et son organisation panoptique (le gardien peut observer d’un même point dans toutes les directions), a été entièrement réhabilité. Désormais, l’îlot central abrite des équipements de vidéosurveillance et les coursives de chaque aile ont été élargies. On repense aux mots de l’ancien garde des Sceaux sous Vichy, Joseph Barthelémy, mort d’un cancer en 1945 : «Les constructeurs d’édifices pénitentiaires antérieurs au XXe siècle semblent avoir eu deux ennemis particuliers qu’ils ont pourchassés avec un soin jaloux : l’air et la lumière.» Les architectes du XXIe (en l’occurrence l’agence Pierre Vurpas et AIA Architectes) ont, quant à eux, laissé entrer le soleil en détention. Des verrières ont été percées au plafond des coursives, et dans chaque cellule les fenêtres ont été descendues à hauteur d’homme.
Bouillon de misère
Pour conserver un pan d’histoire, une «cellule mémoire» datant de la Santé «époque crasseuse» a échappé à la rénovation (mais a tout de même été repeinte) : derrière la porte en fer à la peinture rose émaillée, un lit de fer scellé au sol et une petite table. Le tout dans 7m² de semi-pénombre où cohabitaient parfois jusqu’à trois détenus. De quoi rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, les visiteurs ressortaient des lieux avec une moue de dégoût. En 2009, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’indignait de «l’état délabré de la plupart des cellules» : «La dégradation affecte les murs, souvent décrépits et humides, les sols au revêtement défaillant ou absent, les sanitaires, la fermeture défectueuse des fenêtres, la température ambiante.» Les détenus s’étaient plaints de vivre «comme des chiens» ou des «sous-hommes» dans la maison d’arrêt devenue machine à enfermer.
Nouveau poste de garde dans le couloir des activités de la prison, le 4 janvier. Photo Marc Chaumeil pour Libération.
Au fil des ans, la Santé s’est ainsi muée en symbole de l’inhumanité carcérale, bouillon de misère, taule en lambeaux et surpeuplée. «La Santé : une vieille fille lépreuse», écrivait Mesrine. Me Henri Leclerc, qui y a fait ses premiers pas de pénaliste, se souvient dans ses mémoires (la Parole et l’Action, 2017) de cette «odeur collante» à laquelle il n’est jamais parvenu à s’habituer. Une «odeur d’hommes confinés, de vieil hôpital, de malheur rentré», comme racontera sa sœur, philosophe, citée dans son livre. Henri Leclerc évoque aussi le parloir avocat si particulier, «couvert de graffitis baroques, émouvants, féroces, menaçants ou drôles comme de petits poèmes écrits à la va-vite par ceux qui, arrivant ou quittant la prison, étaient enfermés là, seuls pendant un temps incertain».
Contrairement à l’image apocalyptique figée dans les esprits, à son ouverture en 1867, la Santé était vantée pour son modernisme, décrite comme une «machine à guérir» ou un «bâtiment thérapeutique». «La prison de la Santé, la plus belle incontestablement qui soit en Europe !» s’enthousiasmait-on. Son architecte, Emile Vaudremer, grand prix de Rome, s’était inspiré des bagnes de la côte Est des Etats-Unis. Partout dépeinte comme prison modèle, elle bénéficiait d’équipements modernes comme le tout-à-l’égout et l’eau courante (dont ne disposaient pas encore les Parisiens les moins aisés), ou encore d’un système de communication par pneumatique pour les gardiens.
Brouilleurs d’ondes
L’architecture correspondait à une vision «hygiéniste» de la peine comme outil de punition mais aussi de rédemption morale. Aujourd’hui encore, avec son traitement acoustique pour éviter le brouhaha, ses cellules avec douches intégrées, ses brouilleurs d’ondes nouvelle génération, ses portes de cellule qui s’ouvrent vers l’intérieur (et en cas de problème vers l’extérieur) : la Santé version 2019 se veut à la pointe. Reste à savoir comment notre façon de penser l’enfermement sera perçue dans un siècle. Que dira-t-on de ces cellules aujourd’hui rutilantes à la prochaine inauguration ? Une chose est sûre : elles n’ont plus rien des antiques cachots. Elles ont été agrandies à 9,5 m² et sont pourvues de réfrigérateurs, plaques de cuisson, télévision et coffre-fort pour que les détenus puissent enfermer leurs biens personnels. Derrière une paroi à double battant, on découvre la douche. Ou plutôt un petit espace peu commode : les toilettes sont positionnées exactement sous le pommeau d’eau, impossible donc de s’y tenir debout. La promesse de contorsions et d’inondations. Pour faire quelques économies en évitant un second raccordement ? «Pour que l’on puisse voir les détenus depuis l’œilleton», soutient Christelle Rotach. Et de poursuivre : «Il y a aussi un téléphone fixe dans chaque cellule, c’est une première en France et une petite révolution. Ça va permettre de maintenir les liens familiaux et prévenir les risques suicidaires.»
En revanche, l’établissement ne sera pas pionnier en matière d’encellulement individuel. Sur les 807 cellules prévues, 403 ont déjà été doublées. «La prison de Fresnes est saturée à plus de 200 %, c’est difficile de maintenir le principe de l’encellulement individuel quand, à côté, des gens dorment à trois dans une cellule. Au final, d’ici six mois on devrait être plein», indique-t-on à l’administration pénitentiaire. Ou même archiplein : «On part sur un taux d’occupation de 150 %.»
Béton tapissé
Le mobilier a été adapté tant que faire se peut : quelques casiers en plus pour les effets personnels et une toute petite tablette a été fixée pour que le second détenu puisse également prendre ses repas. Le quartier le plus célèbre, baptisé par les médias «quartier VIP» car il hébergeait des personnalités politiques ou impliquées dans des affaires médiatisées (telles que le terroriste Carlos, l’homme d’affaires Bernard Tapie, l’ancien trader Jérôme Kerviel, le général Noriega, «l’ennemi public numéro 1» Jacques Mesrine, l’ancien préfet de police Maurice Papon, le convoyeur de fonds Toni Musulin ou encore le rappeur JoeyStarr), a lui aussi été rénové. Désormais, il sera dévolu aux détenus radicalisés. Quant au quartier haut de la prison, auquel on accède par un vaste couloir en béton tapissé de néons, il a été intégralement détruit puis rebâti.
Les promenades ont été refaites et transformées en carrés de bitume que l’architecte décrit comme «végétalisés» sur sa plaquette mais qui pour le moment se cantonnent à quelques brins d’herbe tentant péniblement de sortir de terre. Dans cette partie, les cellules sont sensiblement les mêmes, bien qu’un peu plus petites (8,5 m²) «et plus géométriques», selon Christelle Rotach. Elles attendent les nouveaux arrivants qui y seront affectés dès lundi, tous préposés au service de nettoyage. D’ici là, le personnel - composé à 70 % de surveillants stagiaires sortis d’école en juin - s’entraîne jusqu’à la dernière minute. «Ça devrait bien se passer», glisse l’un d’entre eux.
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