Burn-out, état de stress post-traumatique... 10 000 troubles psychosociaux, et sans doute autant de non déclarés comme tels, ont été reconnus comme accidents du travail en 2016, selon l’Assurance-maladie.
Les consultations spécialisées dans la souffrance au travail sont débordées. La demande des salariés s’accroît et les délais pour obtenir un rendez-vous s’allongent. En 2018, l’Association de santé au travail interservices (ASTI), par exemple, a reçu 1 600 personnes, contre 1 400 en 2017. « Nous faisons face à des situations de plus en plus compliquées, qui peuvent mettre la vie en jeu, avec toujours plus d’arrêts-maladie longs, des burn-out…, explique Christophe Maneaud, le directeur. Notre problème est de trouver des cliniciens formés. » Il faut un mois, en moyenne, pour obtenir un premier rendez-vous dans cette association qui fédère huit services de santé au travail d’Occitanie.
Le public qui consulte évolue. « Au début, se souvient le psychiatre et psychanalyste Christophe Dejours, la majorité des patients étaient des salariés aux conditions de travail les plus dures. Aujourd’hui, ils exercent de plus en plus des métiers de niveaux élevés : beaucoup de cadres, de médecins des hôpitaux, d’enseignants, jusqu’aux membres de cabinets ministériels. » A l’image de Nathalie (prénom modifié), directrice marketing dans le secteur du luxe, en arrêt-maladie depuis un an et demi, après deux burn-out. Pour avoir dénoncé le harcèlement moral de sa supérieure, « connu de tout le monde », elle est écartée des réunions de lancement d’un produit, et donc mise en situation de ne pouvoir exercer son métier…
« La majorité des patients étaient des salariés aux conditions de travail les plus dures. Aujourd’hui, ils exercent de plus en plus des métiers de niveaux élevés : cadres, médecins... »
Harcèlement moral ou sexuel, burn-out, brimades, placardisation… : comment réagir face à ces violences dans l’entreprise dont sont victimes, selon M. Dejours, des salariés « de plus en plus jeunes » ? Comment s’en protéger ? A qui en parler ? Ces questions sont au centre des soirées des Cafés santé et travail, des rencontres-débats réunissant, chaque mois, à Paris et en province, des spécialistes de la souffrance en entreprise (médecins, psychologues, avocats…) et le public.
Créées en septembre 2017, dans le cadre de l’association Thema, ces réunions sont organisées en partenariat avec le réseau de consultations spécialisées Souffrance et travail, fondé par Marie Pezé, psychanalyste et psychologue clinicienne. Après l’intervention, en décembre 2018, de la sociologue Danièle Linhart, sur le thème « Imaginer un salariat sans subordination », ce sera au tour de Marta Serafim, psychologue du travail, et d’Eric Hamraoui, maître de conférences en philosophie au Conservatoire national des arts et métiers, de répondre, mardi 22 janvier, à Paris, à la question « Entre courage et peur au travail, comment se situer et agir au quotidien ? »
« Remettre les gens debout »
La demande pour participer à ces réunions est forte : une soixantaine de personnes étaient présentes, le 15 novembre 2018, dans une salle bondée d’un bistrot parisien qui recevait un inspecteur du travail, Jean-Louis Osvath, venu dire combien l’état des lieux lui paraissait « préoccupant ». Selon l’Assurance-maladie, 10 000 troubles psychosociaux (dépression, état de stress post-traumatique…, en lien avec un événement déclencheur) et, sans doute, autant de non-déclarés comme tels, ont été reconnus au titre des accidents du travail en 2016 ainsi que 600 maladies psychiques liées au travail.
Le réseau Souffrance et travail est presque saturé. Bien que peu connu, il maille tout le territoire, avec ses 140 consultations répertoriées sur le site Internet. Harcèlement, intensification des missions, complexification des tâches, conflits éthiques, manque de reconnaissance… : toutes ces « violences collectives », comme les appelle Marie Pezé, peuvent générer diverses pathologies, telles que l’anxiété, le syndrome du stress post-traumatique, le burn-out, etc.
« Notre objectif est de remettre les gens debout et, pour cela, ils doivent comprendre pourquoi ils sont tombés, dans quels mécanismes ils ont été pris », explique Béatrice Edrei, psychologue clinicienne à l’ASTI d’Occitanie, qui y a créé une consultation en 2008. « La première séance peut durer trois, quatre ou cinq heures », précise Anne Jakowleff, psychologue du travail à l’Union mutualiste Souffrance et travail-réseau d’accueil et de prévention (Strap), qui intervient en Auvergne-Rhône-Alpes. « Nos consultations sont centrées sur la réalité du travail, poursuit-elle. On va demander au salarié de décrire son emploi, d’exprimer ce qui, dans son métier, lui procure du plaisir et ce qui est difficile. Nous partons du principe qu’avec le travail, on peut se reconstruire. »
Cette thèse, nommée « psychodynamique du travail », qui repose sur l’idée de « la centralité du métier dans la construction de la personnalité », a été développée par Christophe Dejours, professeur émérite du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), où il était titulaire de la chaire de psychanalyse-santé-travail. « Traditionnellement, en psychanalyse, on considère que lorsque le patient parle de son emploi, c’est une stratégie de défense pour ne pas évoquer des problèmes liés à son histoire personnelle, à son enfance, soulève M. Dejours. Ce n’est pas notre façon de penser. Pour nous, quand la personne parle de son métier, elle parle aussi d’elle-même dans ce qu’elle a de plus intime, car le travail engage toute la personnalité. »
Les consultations, elles, ont des statuts différents. Celles de l’ASTI, par exemple, sont organisées, dans 28 sites (Toulouse, Montauban, etc.), au sein des services de santé au travail (SST) de la région Occitanie. Ces SST en prennent en charge les coûts. Une situation bien trop rare, selon Marie Pascual, médecin du travail, qui anime avec une vingtaine de bénévoles, une permanence Conditions de travail et santé, à Paris. « Beaucoup de SST disposent de psychologues, relève-t-elle, mais ils ne s’organisent pas pour faire des consultations. Car la gouvernance de ces SST est assurée par les employeurs, qui ne veulent pas de bras cassés. »
Le Strap, lui, est une mutuelle, reposant sur le groupe Entis. Pour accéder à une consultation, il faut adhérer au Strap : une cotisation de 25 euros pour l’année (27 euros en 2019), qui donne droit à quatre consultations. Un prix très attrayant par rapport à celui des praticiens libéraux – entre 60 et 80 euros. A l’IPDT, la première consultation est gratuite. Mais, en cas de suivi, le tarif est de 80 euros par séance. Quelques consultations, payantes, sont aussi organisées au sein de certains centres de consultations de pathologies professionnelles, dans des centres hospitalo-universitaires.
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