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mercredi 9 janvier 2019

Psychiatrie : des malades délaissés, les syndicats remontés

Par Eric Favereau, photo Cyril Zannettacci. Vu — 
Dans le complexe sportif pour malades de l'hôpital de Plouguernével (Côtes-d'Armor), le 13 novembre.
Dans le complexe sportif pour malades de l'hôpital de Plouguernével (Côtes-d'Armor), le 13 novembre. Photo Cyril Zannettacci pour Libération


Malgré une enveloppe de 50 millions d’euros allouée en fin d’année par le ministère de la Santé à la psychiatrie, la situation dans les hôpitaux devient explosive. Au manque de moyens s’ajoute la montée en puissance des neurosciences.

L’année 2019, année de tous les dangers pour la psychiatrie française ? Assurément. Le secteur de la psychiatrie publique est mal en point comme jamais. Et les autoritésdonnent le sentiment de faire juste ce qu’il faut pour que cela n’implose pas complètement. Fin décembre, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a annoncé qu’elle venait d’allouer en cette fin d’année une enveloppe de 50 millions d’euros (renouvelable) à la psychiatrie «pour répondre aux difficultés du secteur et engager les transformations nécessaires, en cohérence avec les attentes légitimes des patients et des familles».
Une rustine, ont réagi les syndicats de psychiatres. De fait, sur le terrain, ça continue de bloquer un peu partout. Une journée de lutte est annoncée pour le 22 janvier. «Depuis ce printemps 2018, les personnels des hôpitaux psychiatriques se mobilisent un peu partout en France, est-il écrit dans un appel commun. Les patients et leurs familles subissent. Ils n’ont aucune prise sur la tournure que prennent leurs soins et accompagnements. Les hospitalisations deviennent délétères dans des services suroccupés, avec du personnel en sous-effectif et débordé par des tâches administratives.»

«Insupportable»

Le mois dernier, faut-il le rappeler, une intersyndicale CGT, CFDT, CFTC et SUD de plusieurs établissements psychiatriques normands (Caen, Vire, Le Havre et Evreux notamment) a appelé à la mobilisation «pour protester contre le manque de moyens». «Des jeunes de 13-14 ans sont hospitalisés dans les services adultes, c’est insupportable», alertait Jean-Yves Herment, infirmier qui a fait partie en juin des grévistes de la faimdu centre hospitalier du Rouvray, près de Rouen. A Toulouse, les syndicats de l’hôpital psychiatrique Pinel s’agitent. «La directrice des soins nous parle de mauvaise organisation. C’est inacceptable d’entendre ce discours. Nous avons besoin d’un budget décent et de moyens humains, expliquait Patrick Estrade, syndicaliste.La psychiatrie va mal, très mal même. La situation est critique partout en France.»

Inégalités

Pour explosive que soit la situation, tentons quelques repères. D’abord, nul ne conteste que bon nombre de lieux souffrent d’un manque criant de personnel alors que la demande de prise en charge a, elle, fortement augmenté. Et elle a changé, avec des malades de plus en plus fragiles, isolés socialement. Bilan : en 2018, les mauvais traitements en psychiatrie ne sont pas l’exception. Et l’on ne peut qu’être frappé par l’extrême inégalité des pratiques et des moyens. La psychiatrie publique est éclatée, situation qui conduit les autorités à une extrême prudence pour augmenter les budgets. Ce n’est que très récemment, à l’occasion des longues grèves en Normandie, que les agences régionales de l’hospitalisation ont lâché un peu de lest. Il n’empêche, la question des inégalités est frontale. En octobre, lors d’un colloque à l’Assemblée de la Fondation FondaMental, la géographe Magali Coldefy a donné des chiffres impressionnants, rappelant d’abord que la France continue d’avoir le taux de psychiatres le plus élevé d’Europe : «Mais, selon les territoires, ce taux peut varier de 1 à 30.» A cela s’ajoute une variation des pratiques. Par exemple, le taux d’hospitalisation sans consentement évolue de 1 à 6 selon les hôpitaux, et cela sans raison apparente.

Plus généralement, Magali Coldefy pointe les limites de la sectorisation, cette politique qui a consisté dans les années 70 à diviser la France en secteurs géographiques, chacun se devant d’apporter des solutions variées aux questions de santé mentale, de l’hospitalisation à des lieux de consultation en passant par des structures légères : «Le nombre de lits est passé de 140 000 dans les années 80 à 57 000 aujourd’hui. Mais la sectorisation n’a pas atteint ses objectifs, le système est resté très centré sur l’hôpital. Et cette sectorisation n’a pas préparé la société à accueillir ces patients.»
Troisième repère de la crise actuelle, le nombre impressionnant de postes de psychiatres vacants dans les hôpitaux, ou occupés par des médecins à diplômes étrangers. Près d’un poste sur trois est ainsi vacant, et dans certaines régions, ce sont au mois deux postes sur trois qui sont occupés soit par des médecins à diplômes étrangers, soit par des médecins intérimaires. Or on sait d’ores et déjà que dans les dix ans à venir, le manque de psychiatres ne fera que s’aggraver. Dans notre voyage dans les hôpitaux psy de France, cet enjeu est revenu comme un leitmotiv, grevant toute projection sur l’avenir.

Neurosciences

Enfin, la maladie mentale souffre d’un environnement théorique délabré, voire épuisé. L’alliance entre la psychanalyse et la psychiatrie qui a dominé comme modèle théorique dans les soixante dernières années, est moribonde. La biologie, les médicaments, les neurosciences sont désormais archidominants, et cela sans le moindre contrepoids. Cet hiver, la ministre de la Santé, que l’on voit rarement visiter les hôpitaux psychiatriques en crise, est venue inaugurer solennellement l’Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris (IPNP) à l’hôpital Sainte-Anne, symbole de ce triomphe. «Pourquoi pas cette vogue, diront certains. Si cela marchait ?» Pour l’heure, ce n’est pas franchement le cas.




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