La maison d’arrêt parisienne rouvre, lundi, après quatre ans de travaux. Prévue pour 800 détenus, elle pourrait en recevoir 1 200 avant fin 2019. Le quartier VIP a disparu.
Par Jean-Baptiste Jacquin Publié le 6 janvier 2019
Après quatre ans et demi de travaux, la prison de la Santé à Paris va de nouveau résonner, à partir de lundi 7 janvier, des tours de clés dans les portes de cellules et des voix de détenus qui se hèlent par les fenêtres. Pour cette réouverture, une montée en charge progressive a été prévue : la maison d’arrêt n’accueillera pendant la première semaine que quatre-vingts personnes venues des prisons de Fresnes (Val-de-Marne) et de Fleury-Mérogis (Essonne). Mais, le seuil des 100 % d’occupation de cet établissement conçu pour huit cents détenus, dont cent sous le régime de la semi-liberté, devrait être atteint avant l’été.
Ce projet emblématique de l’administration pénitentiaire est, de fait, rapidement rattrapé par ses maux. Sans attendre la fin de l’année 2019, la prison parisienne devrait afficher une densité de 150 % et compter quelque 1 200 détenus.
« Honorifique »
Christelle Rotach ne se faisait guère d’illusions en prenant les clés de la Santé. Arrivée dès la fin 2017 pour préparer cette ouverture, celle qui dirigeait auparavant la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille a rapidement décidé de commander des lits superposés pour remplacer dans la moitié des cellules le lit individuel censé les équiper. « Je préfère anticiper pour que deux personnes en cellule aient chacune leur lit plutôt que l’une des deux soit en situation d’infériorité avec un matelas au sol », justifie-t-elle.
Cette perspective d’une nouvelle prison surpeuplée n’a pas effrayé Dimitri F., surveillant pénitentiaire arrivé en septembre dans la maison d’arrêt située à la limite des 13e et 14e arrondissements de Paris. Il travaillait depuis sept ans à Fresnes dont la vétusté n’a d’égale que la densité qui a parfois dépassé les 200 % de capacité. Il se réjouit de travailler dans cette prison refaite à neuf. « C’est honorifique de travailler à la Santé, quand on sait tous les détenus VIP qui y sont passés », explique-t-il.
Pourtant, de quartier VIP il n’est plus question ici. Les personnalités médiatiques qui y seraient incarcérées seront désormais cantonnées dans le même quartier que les détenus dits « vulnérables », ceux qui font l’objet de menaces de la part d’autres détenus. Les cellules y sont individuelles, mais le régime carcéral est le même que dans toutes les maisons d’arrêt, ces établissements réservés aux personnes prévenues (non encore jugées) ou condamnées à des peines inférieures à deux ans.
Ce régime banalisé ne devrait pas empêcher d’autres célébrités de venir ajouter leur nom à la longue liste des Jérôme Kerviel, Samy Naceri, Bernard Tapie, Jacques Crozemarie, Jean-Christophe Mitterrand, Alfred Sirven ou Pierre Botton qui ont passé des semaines ou des mois à l’ombre des hauts murs de meulière de la rue de la Santé et du boulevard Arago.
Téléphone en cellule
Mettant fin à la tradition d’une répartition alphabétique des prévenus entre les grandes maisons d’arrêt franciliennes, la Santé n’accueillera plus que les personnes domiciliées à Paris intra-muros ou les SDF hébergés par une association ou un foyer parisien. Une exception à cette règle est néanmoins prévue en raison de la spécificité de la juridiction parisienne en matière d’antiterrorisme. C’est ici également que seront placés, le temps de leur procès devant la cour d’assises spéciale, les détenus accusés dans des affaires de terrorisme.
Les éventuels « people » qu’il espère croiser ne sont pas l’unique motivation de Dimitri F. Il anticipe surtout de meilleures conditions de travail. En particulier en raison des douches installées dans chaque cellule. « Les mouvements de détenus pour les douches sont toujours d’une grande complexité à organiser et sources de tensions entre eux et avec les surveillants », explique-t-il. Avant les travaux, les douches étaient collectives à la Santé, comme elles le sont encore à Fresnes et dans bien d’autres prisons françaises.
Ce surveillant de 35 ans attend aussi beaucoup du téléphone en cellule. C’est l’innovation principale que l’administration pénitentiaire a choisi d’installer dans la seule prison que compte la capitale avant de l’étendre progressivement à tout son parc. De fait, les cabines téléphoniques disposées dans les coursives des établissements ne sont accessibles qu’à certaines heures, pas toujours compatibles avec les horaires d’école des enfants, de travail des conjoints ou de disponibilité des avocats. Sans parler du manque d’intimité. A la Santé, chaque cellule a été équipée d’un combiné noir mural. Les détenus pourront appeler quand ils le souhaitent les numéros de téléphone autorisés par le juge d’instruction (pour les prévenus) ou le chef d’établissement (pour les condamnés). Mais ils ne pourront pas se faire appeler. La société qui a gagné ce marché et financé l’installation se rémunérera sur le prix des communications.
Brouillage des téléphones portables
Ce confort, censé limiter les occasions de conflits avec les surveillants et faciliter le maintien des liens familiaux, souvent facteur essentiel de la réinsertion, a une contrepartie non négligeable : le brouillage des téléphones portables. Jusqu’à la fin du mois de décembre, les techniciens de la Sagi s’affairaient pour paramétrer les 120 points de réglages particulièrement délicats pour une prison en milieu urbain. Le brouillage doit être assuré à 100 % dans l’enceinte, mais ne pas perturber les communications mobiles des riverains, à quelques mètres de là. « Si nous réussissons ici, c’est que la solution pourra être opérationnelle dans toutes les configurations d’établissement », assure-t-on à la direction de l’administration pénitentiaire. Au lieu d’acquérir des brouilleurs qui devenaient rapidement obsolètes au gré des évolutions technologiques, la pénitentiaire a attribué à la Sagi pour six ans un marché de services pour assurer le brouillage.
De même, l’ensemble du chantier de rénovation de cette prison inaugurée en 1867 a été confié à une entreprise privée, Vinci, et son exploitation pour les vingt-cinq prochaines années, à Gepsa. Un partenariat public-privé comme le ministère de la justice a promis de ne plus en signer en raison de leur coût et de leur rigidité. Christiane Taubira avait d’ailleurs hésité à dénoncer ce projet en arrivant à la chancellerie en 2012. La pression du manque de place dans les maisons d’arrêt franciliennes l’avait convaincue de ne pas perdre de temps en repartant de zéro. Elle a néanmoins concentré le montant des loyers que l’Etat devra payer sur les premières années (36 millions d’euros par an jusqu’en 2028, puis 13 millions par an jusqu’en 2043) pour limiter le poids des frais financiers dans la note globale.
En raison de l’appartenance du monument au patrimoine parisien, il a été décidé de conserver la partie basse (le terrain est en pente) de la prison et ses quatre bâtiments en étoile autour d’une rotonde qui ont été entièrement rénovés tandis que les quartiers hauts ont été rasés et reconstruits sur quatre étages de détention. La « rue pénitentiaire », nom donné à un gigantesque hall de béton qui relie la partie historique à la partie nouvelle, est le cœur de l’établissement, avec son gymnase, le centre scolaire, l’unité sanitaire, le parloir avocat et le service d’insertion et de probation.
Pour l’heure, des grappes de surveillants s’y croisent dans une ambiance légère et se tombent dans les bras quand ils ont la surprise de retrouver un ou une collègue d’une précédente affectation. C’est au-dessus de cet espace presque convivial qu’ont été placés les lieux les plus durs de la détention : le quartier disciplinaire et le quartier d’isolement.
Cellules agrandies
« Nous avons travaillé à une sectorisation très forte des détentions », explique Christelle Rotach. C’est presque une palette d’unités distinctes qui a été conçue avec, par exemple, un quartier réservé aux courtes peines, inférieures à six mois. « L’idée est de pouvoir rattraper le cas de ceux qui ont raté l’aménagement de peine ab initio [décidé par le tribunal] en travaillant leur projet de sortie avec le service d’insertion et de probation et les juges d’application des peines. » Un quartier de quatre-vingts places est par ailleurs réservé à la mise en place d’un « module de confiance ». Déjà expérimenté sous le nom de module respect dans une dizaine de prisons, ce régime laisse une plus grande liberté aux détenus hors de leur cellule pendant la journée, clé en poche, avec en contrepartie des engagements à respecter : se lever à une heure précise, faire son lit, participer à certaines activités, etc.
A l’autre bout de cette palette, un quartier ultrasécurisé de prise en charge de la radicalisation va ouvrir au printemps. Il comptera quarante-cinq places. Au niveau de la sécurité d’ailleurs, pas moins de 700 caméras de surveillance ont été réparties dans l’ensemble des espaces communs de la prison.
La Santé sera bien sûr dotée des innovations que permettent les établissements neufs ou rénovés, comme la gestion numérique des « cantines », ces biens de toute nature (cigarette, nourriture, boisson, produits d’hygiène, magazines, etc.) que les détenus peuvent acheter. De quoi éviter les risques d’erreur que généraient les commandes passées à la main puis recopiées par les surveillants, ainsi que les problèmes délicats à gérer des détenus qui commandent plus que ce que leur pécule permet. « Tous ces progrès permettent de redonner du temps aux surveillants afin qu’ils réinvestissent leur mission, le contact humain et la surveillance, plutôt que d’être des porte-clés », escompte Mme Rotach.
Parmi les projets en faveur de la réinsertion des détenus, des ateliers pour du travail rémunéré avec des entreprises extérieures ont été prévus pour quatre-vingts postes de travail. Mais, pour le moment, un seul concessionnaire a été trouvé qui proposera du petit façonnage pour dix détenus à partir du 21 janvier.
L’étroitesse des sept cours de promenade rappelle les contraintes de terrain. Mais la taille des cellules a été agrandie. Il suffit de voir la cellule témoin conservée dans le quartier bas dont la porte étroite impose de se courber pour se faufiler dans ses 7 m2 à peine éclairés par un soupirail. Elles font désormais 8,50 m2 ou 9,40 m2, selon les bâtiments, avec des fenêtres qui s’ouvrent, même si les barreaux et le caillebotis métallique censé empêcher de jeter les ordures et de faire passer les yoyos prennent forcément de la lumière.
Les effectifs des surveillants n’ont pas été élargis, eux. La Santé ne sera pas mieux lotie que les autres maisons d’arrêt puisque l’administration pénitentiaire fait comme si la surpopulation carcérale était un accident momentané. Le nombre de surveillants théorique (380 à la Santé) a été fixé en fonction du nombre de détenus (800) pour lequel l’établissement a été conçu et non du nombre réel qui y seront incarcérés (peut-être plus de 1 200). C’est aussi le lot de l’infirmerie et de l’unité de santé mentale (service médicopsychologique régional) que l’on sait mathématiquement sous-calibrées avant même l’ouverture. Autre difficulté avec laquelle Mme Rotach doit composer : l’inexpérience des surveillants. En effet sur les 380 inscrits à son effectif, 240 sont des stagiaires tout juste sortis de l’école pénitentiaire et seuls 140 sont titulaires.
« Bons clients » triés sur le volet
Les personnels ont eu, à la veille de Noël, une semaine de « marche à blanc » sur l’ensemble de l’établissement avec l’organisation de tous les mouvements de détenus, certains surveillants jouant ce rôle pour l’occasion. Ce lundi 7 janvier sera encore un peu extraordinaire car les quatre-vingts premiers arrivants sont des « bons clients », triés sur le volet. Sélectionnés parmi les candidats au transfert recensés à Fresnes et à Fleury-Mérogis, ils viennent tous pour travailler contre un petit pécule en tant qu’« auxiliaire » dans les services généraux (cuisines, distribution des repas, entretien des bâtiments, etc.). « Mais pour cette première semaine ici, ils referont le ménage de fond en comble », prévient la directrice de la prison.
De fait, les travaux de dernière minute ont laissé des traces. Sans compter par exemple avec les ouvriers et techniciens des entreprises extérieures qui ne se sont manifestement pas privés, au vu des marques de godillots qu’ils ont laissées, de tester les installations des salles de musculation prévues pour les détenus.
A partir du 14 janvier, la maison d’arrêt de Paris accueillera au fil de l’eau tous les nouveaux écrous décidés par les juges du tribunal et de la cour d’appel ainsi que le flux de désencombrement de Fresnes et Fleury-Mérogis au rythme de 25 personnes par semaine. De quoi laisser un peu de temps aux surveillants pour s’habituer aux lieux avant qu’ils ne soient saturés.
Les chiffres
71 061 détenus en France au 1er décembre 2018
C’est un niveau record depuis la seconde guerre mondiale. En un an, la population carcérale a augmenté de 1,9 %. Dans le même temps le nombre de places opérationnelles a progressé de 1,6 % à 60 139 places.
142 %
C’est le taux d’occupation moyen dans les maisons d’arrêt. Ces établissements pénitentiaires réservés aux prévenus (personnes non encore jugées) et aux condamnés à de courtes peines (jusqu’à deux ans d’emprisonnement) concentrent l’essentiel de la population carcérale française avec 48 532 détenus (68 % du total). 53 établissements affichent des taux d’occupation supérieurs à 150 %, dont 4 dépassent même les 200 %. Les maisons centrales, réservées aux longues peines et aux profils à risques, comptent 18 381 détenus, avec un taux d’occupation moyen de 87 %.
29,4 %
C’est la proportion de détenus qui ne sont pas encore jugés. Au 1er décembre, ils sont 20 883 (+2,4 % en un an). Présumés innocents jusqu’à une condamnation définitive, comme le prévoit la loi, ils sont pourtant en maison d’arrêt, là où les conditions de détention sont le plus difficiles en raison de la surpopulation carcérale. Depuis quatre ans, la part de la détention provisoire ne cesse de croître dans les décisions d’emprisonnement prises par les juges.
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