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samedi 1 décembre 2018

Handicap : la pratique de la sexualité demeure taboue

APF France handicap souhaite favoriser l’accompagnement sexuel.
Par Solène Cordier Publié le 1er décembre 2018

Temps deLecture 5 min.   Le 5 juillet à Paris.
Le 5 juillet à Paris. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
C’est une mère qui appelle à l’aide, après avoir été confrontée à de multiples reprises au sexe en érection de son adolescent autiste lors de la douche. Un directeur d’établissement pour adultes handicapés, dans une région frontalière, qui emmène discrètement ses pensionnaires chez une prostituée. Une aide-soignante travaillant dans une structure médico-sociale qui se plaint d’être confrontée quotidiennement à des sollicitations d’ordre sexuel, dépassant le cadre de ses attributions.

Ces récits, rapportés par plusieurs sources, ne sont pas nouveaux. Ils illustrent les difficultés que connaissent encore aujourd’hui les personnes avec un handicap pour l’exercice de leur sexualité. Et par extension leurs proches et le personnel qui les entourent. « Le problème se pose principalement pour les personnes qui vivent en institution », considère Pierre Brasseur, sociologue à l’université de Lille et auteur d’une thèse intitulée « L’invention de l’assistance sexuelle ». « Les conditions d’exercice de la sexualité ne sont pas réunies » dans ces lieux de vie collectifs qui ne favorisent pas l’intimité de leurs habitants, pointe-t-il. Comment l’envisager, en effet, pour des gens qui n’ont pas toujours la simple possibilité de fermer leur porte à clé ?

Pratique taboue

Conscientes de ces freins, et de l’émergence, ces dernières années, d’une revendication d’un accès à une vie affective et sexuelle, les associations – qui sont aussi bien souvent les gestionnaires d’établissements – tentent d’apporter des réponses, qu’elles reconnaissent imparfaites. A l’Unapei, une fédération de 500 associations de parents de déficients intellectuels, le choix a été fait de « traiter la sexualité sous l’angle de l’accessibilité », comme les autres droits, explique Claire Grisard, chargée de mission. « La prise en compte de cette question remonte à la fin des années 1990 », au pic de l’épidémie de sida, se souvient la responsable. Certains découvrent alors, effarés, que leurs enfants, qui vivent dans des structures médicalisées, ont une activité et des rapports sexuels, passés jusqu’alors sous les radars. La réponse est, dans un premier temps, sanitaire, et préventive, avec une réflexion sur l’éducation à la sexualité.
Vingt ans plus tard, « on est passés d’une gestion du risque à une logique d’accompagnement », estime Mme Grisard. Elle prend des formes diverses, plus ou moins structurées, selon les établissements. Certains ont inscrit cette dimension dans leur règlement intérieur, d’autres en sont encore très loin. Concrètement, la prise en compte peut s’incarner de plusieurs manières : par des groupes de parole spécifiques, des ateliers pour apprendre aux résidents à connaître leur corps, à évoquer la notion de consentement… L’Unapei cite à titre d’exemple une structure au sein de laquelle les résidents ont créé un magazine consacré à la sexualité « facile à lire et à comprendre », une méthode permettant une accessibilité des informations aux personnes déficientes intellectuelles.
Il n’empêche qu’à l’Unapei comme dans les autres associations, si l’accès à une information sur la sexualité se développe, la pratique demeure taboue.
Sur ce plan, l’APF France Handicap, une autre organisation qui représente des personnes vivant avec un handicap moteur, souhaiterait favoriser l’accompagnement sexuel. Ce qui signifie, pour les personnes qui en expriment le désir, pouvoir avoir des relations charnelles ou sexuelles avec des professionnels. La pratique, qui a cours dans plusieurs autres pays, n’est pas organisée en France, où elle est assimilée à de la prostitution. Elle n’est d’ailleurs pas consensuelle, comme le rappelle Claire Desaint, vice-présidente de l’association abolitionniste Femmes pour le dire, qui rassemble des femmes avec un handicap ou valides. « Pour nous, l’assistance sexuelle va encore plus ghettoïser les personnes, stigmatiser leurs pratiques », dénonce-t-elle, plaidant pour une « prise en compte inclusive » de la sexualité.
« On aimerait bien a minima avoir un débat public sur l’assistance sexuelle, parce que c’est la situation actuelle dans les établissements qui n’est pas digne », estime pour sa part Aude Bourden, conseillère nationale santé-médico-social au sein de l’APF. « Il faut un vrai service de mise en relation, avec une supervision des assistants sexuels, et des principes éthiques. »

« Je me suis senti libéré »

Au sein de l’APF, une première formation, menée avec l’association Ch(s)ose, a abouti à la certification, en juillet 2017, de quatre Françaises et de trois Suisses. Ces assistants (ou accompagnants) sexuels ont suivi une formation de cent-vingt heures, qui s’est étalée sur plusieurs mois, avec des psychologues et des sexologues. Les critères d’admission pour y accéder sont formulés ainsi dans la plaquette de présentation : « Etre âgé(e) de 25 ans minimum ; avoir une santé compatible avec l’activité ; être autonome sur le plan financier ; avoir un équilibre satisfaisant dans sa vie personnelle et sexuelle ; avoir parlé de ce projet à son conjoint(e) pour ceux et celles qui sont en couple. »
L’accompagnement sexuel est une revendication qui date d’un colloque organisé à Strasbourg en 2007. Depuis, celle-ci domine les débats. « Les risques liés au VIH, les violences sexuelles et les autres thématiques ont été éclipsés par l’émergence de cette revendication », analyse le sociologue Pierre Brasseur. Le militant Marcel Nuss, lourdement handicapé, était l’initiateur de ce rendez-vous qui a permis d’échanger sur la souffrance, jusqu’alors peu audible, des personnes en situation de handicap privées de rapports charnels. Il a créé en 2013 l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (APPAS), pionnière sur ce sujet, et revendique la formation de cinquante-deux accompagnants. Seule une dizaine, majoritairement des femmes, pratiqueraient réellement aujourd’hui.
« En mettant en relation des bénéficiaires et des accompagnants, je suis proxénète et je tombe sous le coup de la loi » de 2016 sur la prostitution, s’emporte Marcel Nuss, dénonçant « l’hypocrisie » entourant la question. « Il y a des personnes qui n’ont pas même la possibilité de se toucher, d’accéder à leur corps, et qui vivent dans une grande misère affective et sexuelle », dénonce-t-il inlassablement. Willy Rougier, 51 ans, adhérent de l’APPAS et infirme moteur cérébral, confirme. « Avant, dès que je voyais une femme, j’étais tellement frustré, ça se voyait trop. Dans ma famille, on me disait que je ne parlais que de ça. Après le premier accompagnement, je me suis senti libéré. » Depuis quelques années, il fait appel régulièrement à des assistantes sexuelles, à son domicile. « J’aimerais bien que ce ne soit pas comme ça toute ma vie, je souhaite rencontrer quelqu’un », confie-t-il.Avant d’ajouter, pudiquement : « Mais, avec mon handicap, le plus souvent, les femmes préfèrent qu’on reste amis. »

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