Jean-Claude Ghislain, directeur pour les affaires scientifiques de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), convient de l’insuffisance des données disponibles.
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Jean-Claude Ghislain, directeur pour les situations d’urgence, les affaires scientifiques et la stratégie européenne de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), convient de l’insuffisance des données disponibles sur les incidents liés aux implants.
La base d’incidents de l’ANSM comporte de nombreuses anomalies et des cases vides. Comment l’expliquez-vous ?
Le système de matériovigilance repose sur la notification spontanée. Cette base collecte les informations qui remontent des établissements de santé [et des fabricants], l’exercice a donc ses limites. Nos correspondants dans les établissements nous aident, mais on ne peut pas le faire sur tous les signalements.
Il s’agit de la santé des personnes, peut-on s’en contenter ?
Cette base n’est qu’un outil de travail. Certains événements sont si inattendus qu’ils remontent très vite et donnent lieu à des mesures très rapides. Je me rappelle ces cas de ruptures de tête céramique de prothèses de hanche: le lot a été rapidement retiré du marché et a fait l’objet d’un rappel mondial car le processus de fabrication était en cause.
Plus on aura des données bien décrites, plus on pourra développer des algorithmes pour détecter les problèmes. C’est en projet pour la future base européenne, à partir de mai 2020. Les typologies d’incidents seront codées et nous pourrons même échanger avec les Etats-Unis.
Quelque 7 000 incidents ont été déclarés un an plus tard – parfois même huit ans plus tard. Est-ce un outil sérieux ?
Il y a des déclarations tardives, mais c’est un problème d’organisation hospitalière. Il est clair qu’il n’y a pas une pratique du signalement parfaite en France. Je ne sais pas si cela le sera précisément un jour, mais les signalements sont en constante augmentation, ce qui laisse espérer que les choses s’améliorent.
Ou qu’il y a plus d’incidents…
Aussi, oui. En tout cas, il y a plus d’incidents signalés. Pour l’instant, nous avons à essayer de sauver le passé. On n’a pas lancé de grands travaux, car on va devoir réaliser l’interface avec la base européenne. Les développements informatiques sont des choses très complexes et très lourdes. On est obligés de temporiser un peu.
Pour les médicaments, seuls 10 % des effets secondaires seraient déclarés. Quelle est votre estimation pour les dispositifs médicaux ?
C’est au moins autant que le médicament, peut être même plus. On peut imaginer que beaucoup d’incidents susceptibles de mettre en cause un dispositif ne sont pas déclarés si c’est un problème d’usage qui a été identifié.
Donc, si 10 % sont déclarés, 200 000 incidents par an surviennent en France ?
On pourrait l’imaginer, mais personne ne le sait réellement. Il y a deux catégories d’incidents : ceux dont les patients pourraient être victimes et qu’il faut réduire au maximum. Mais aussi ceux gérés au moment de la procédure de soins par les médecins. Dans ce deuxième cas, il n’y a pas de conséquence grave pour le patient. En revanche, il faut absolument éviter que cela se reproduise.
Des chirurgiens disent consulter la base américaine faute d’informations en France…
Notre base a ses limites et si nous la faisons évoluer, c’est précisément pour partager ces données de vigilance. L’agence n’est pas propriétaire des données : c’est un bien public, elles devraient être totalement disponibles. Pour la base européenne, la mise à disposition publique des informations devrait avoir lieu, la France pousse dans ce sens. Il va être compliqué de se mettre d’accord sur les formats, mais je crois qu’on va y aller.
D’autres médecins déplorent n’avoir jamais eu de retour après leur signalement.
Nous n’avons certainement pas trouvé une conclusion immédiate. Nous n’avions donc pas forcément une explication à fournir, mais je reconnais que c’est très perfectible, et très important pour l’adhésion des professionnels.
Comment pouvez-vous alors mesurer les problèmes liés aux implants ?
Les données de vigilance ne sont pas notre seule source d’information. Nous recevons des informations de patients, de médecins, des congrès médicaux. Nous les prenons toutes en compte, puis nous vérifions les dossiers, contrôlons le processus de fabrication, effectuons des contrôles en laboratoire.
Nous menons aussi des enquêtes : on vient d’en faire une sur les implants de renfort du traitement de l’incontinence urinaire. Nous avons très peu de signalements, mais on sait qu’il y a des problèmes qui perdurent. Enfin, notre quinzaine d’inspecteurs réalisent une centaine de contrôles chaque année, notamment pour s’assurer que les incidents sont bien déclarés.
Ce qu’il faut savoir sur l’enquête « Implant Files »
Les « Implant Files » désignent une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et 59 médias partenaires, dont Le Monde.
- Au cœur de l’enquête : les dispositifs médicaux. Plus de 250 journalistes ont travaillé sur les incidents occasionnés par ces outils censés aider les patients (de la pompe à insuline aux implants mammaires en passant par les pacemakers ou les prothèses de hanche).
- Une absence de contrôle. Ces dispositifs médicaux bénéficient facilement du certificat « Conformité européenne » permettant de les vendre dans toute l’Europe… Et ce, quasiment sans aucun contrôle.
- Un bilan de victimes très opaque. Seuls les Etats-Unis recueillent de manière détaillée les incidents relatifs à ces dispositifs médicaux. La base américaine compte 82 000 morts et 1,7 million de blessés en dix ans. En Europe, ces informations sont inexistantes, faute de « remontée » systématique et de contrôle.
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