Photo Gaëla Blandy et Émile Loreaux
Ne plus faire d’enfants pour sauver la planète, submergée par la surconsommation d’une population galopante ? Longtemps taboue, la question de la dénatalité, réactualisée par l’impératif écologique, reprend du sens.
«Mon/ma partenaire et moi avons, dans notre égoïsme, condamné notre fille à vivre sur une planète apocalyptique, et je ne vois aucun moyen de la protéger de cet avenir», écrivait cet été Roy Scranton dans une chronique intitulée «Elever mon enfant dans un monde perdu» et publiée par le New York Times. Aux Etats-Unis comme en France, le mouvement des «Ginks» ou «Green inclinations, no kids» (tendances écolos, pas d’enfants) prend de l’ampleur. Le 9 octobre, dans le Monde, c’est un collectif de 22 scientifiques français qui ont interpellé sur la nécessité de lier démographie et crise environnementale. «C’est sans doute le défi le plus important que nous ayons collectivement à résoudre dans les vingt prochaines années, alerte le texte. Freiner la croissance de la population est une nécessité absolue pour sauver l’habitabilité de notre planète d’un désastre annoncé.»
Les gouvernements, obsédés par le PIB
Pourtant, cette question est depuis longtemps passée sous silence, même dans le monde des écologistes. Personnalités politiques, associations, climatologues de renom et même les participants aux grands colloques internationaux évitent le sujet, comme le souligne Jean-Loup Bertaux, directeur de recherche émérite au CNRS, dans son ouvrage Démographie, climat, migrations : l’état d’urgence(Fauves éditions, 2017).
Pour preuve, le rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publié début octobre ( Libération du 8 octobre), très alarmant sur le futur de la planète, ne fait qu’effleurer cet aspect. «Ce n’est pas le rôle du Giec de dire aux Etats qu’il faut engager des politiques démographiques», se défend Joël Guiot, l’un de ses auteurs, qui admet volontiers que le sujet est «polémique».Chez Greenpeace, même constat. «Ce n’est pas par ce bout-là qu’on traite l’écologie et le climat. Notre priorité se concentre sur la politique des Etats et les contraintes sur les entreprises», nous dit-on. Se focaliser sur les entreprises, en partie responsables des émissions mondiales de gaz à effet de serre, plutôt que sur la démographie ? Pour Jean-Loup Bertaux, les efforts doivent être menés de front mais «soyons clairvoyants. Tous les gouvernements sont obsédés par la croissance du PIB de leur pays, dont la croissance démographique est une composante. Cette croissance démographique signifie plus de consommateurs, elle est donc prisée par les milieux d’affaires. Mais elle est malsaine pour la planète. Reste à convaincre ces milieux-là ainsi que les économistes. Il est essentiel de se focaliser sur la baisse de la population mondiale en commençant par ouvrir le débat.»
«83 millions de personnes de plus tous les ans»
Le débat, certains l’ont déjà tranché pour eux-mêmes en faisant le choix de ne pas, ou plus, avoir d’enfant. Comme Gaëlle, 33 ans qui «préfère accueillir des migrants que de faire des enfants […] qui consommeront encore et toujours». Ou encore Philippe, 72 ans, qui juge les ressources terrestres insuffisantes pour que les générations futures s’épanouissent dans de bonnes conditions (lire les témoignages ci-dessous) . Fondée en 2008, l’association «Démographie responsable» promeut une «autolimitation de la natalité» pour «sauvegarder la vie sur la planète». «Si on veut sincèrement limiter les conséquences des bouleversements environnementaux et climatiques, les couples ne doivent pas faire plus de deux enfants. Nous avons besoin d’une stabilisation de la population mondiale, voire d’une diminution à long terme», souligne son porte-parole Didier Barthès. Difficile, en effet, de ne pas voir le lien entre la croissance exponentielle du nombre d’humains sur Terre (passé de 2 à 7,6 milliards entre 1950 et 2017) et les destructions liées à leurs activités. D’après un rapport des Nations unies publié en 2017, la population mondiale devrait atteindre 8,6 milliards en 2030, 9,8 milliards en 2050 et 11,2 milliards à la fin du siècle. «Avec 83 millions de personnes de plus tous les ans, la tendance à la hausse devrait se poursuivre, même si les niveaux de fertilité continuent à diminuer», précisent les auteurs du rapport.
Des conséquences à relier aux progrès de la médecine et de la biologie. Les pays aujourd’hui en développement devraient accueillir le boom démographique. Entre 2017 et 2050, la moitié de la croissance de la population planétaire devrait être concentrée dans seulement neuf pays : l’Inde, le Nigeria, la république démocratique du Congo, le Pakistan, l’Ethiopie, la Tanzanie, les Etats-Unis, l’Ouganda et l’Indonésie. «N’oublions pas que la raréfaction des ressources peut engendrer des conflits», met en garde Jean-Loup Bertaux. «La hausse de la population a acquis une certaine vitesse et ne va pas pouvoir s’arrêter du jour au lendemain, assure Jacques Véron, démographe à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Si des efforts politiques sont menés, une stabilisation, nécessaire, pourrait être atteinte dans vingt à trente ans. Pour cela, les politiques doivent viser les pays en développement comme le Bangladesh ou le Nigeria.» Seulement, difficile pour les nations du Nord d’exiger de celles du Sud de réduire leurs émissions de CO2 et de freiner leur démographie, alors même que les pays les plus riches et les plus développés sont les principaux pollueurs d’aujourd’hui et d’hier.
Responsabilité des religions
Lors d’une rencontre régionale en juillet 2017 à Ouagadougou, au Burkina Faso, la Mauritanie, le Tchad et les pays de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) se sont engagés à faire baisser leurs indices de fécondité à trois enfants maximum par femme d’ici à 2030. Ces efforts doivent être soutenus par des financements internationaux. «La méthode coercitive, comme la politique de l’enfant unique en Chine, n’a pas prouvé son efficacité,reprend le chercheur. Le seul moyen de faire baisser durablement la fécondité est l’augmentation du niveau de vie et l’éducation. Dans un premier temps, cela nécessitera donc un regain de développement économique.» Jean-Loup Bertaux n’hésite pas non plus à pointer la responsabilité des religions et notamment «la position de l’Eglise catholique contre la contraception et contre l’avortement […] un facteur certain, mais évidemment pas le seul, de l’augmentation de la population», souligne-t-il dans son livre.
Les citoyens occidentaux ont aussi leur responsabilité. D’après l’ONG Global Footprint Network, si l’humanité avait le mode de vie d’un Américain, les ressources que la nature peut renouveler en un an seraient épuisées le 15 mars. Pour le mode de vie français, ce serait le 15 mai. Alors que pour le mode de vie vietnamien, ce serait le 20 décembre.
Une étude publiée dans la revue Environmental Research Letters en 2017 avait fait beaucoup de bruit. Elle concluait que l’action la plus efficace pour réduire son empreinte carbone serait d’avoir un enfant de moins. Cela permettrait d’éviter l’émission de l’équivalent de 58,6 tonnes de CO2 par personne par an dans les pays industrialisés… Bien plus que ne pas avoir de voiture, ne plus voyager en avion et tenir un régime végétarien. «Nous ne pensions pas que la question des enfants était si controversée, raconte Seth Wynes, chercheur à l’université de Colombie-Britannique et un des auteurs de l’étude. Notre but était de montrer que les choix les plus rationnels ne se retrouvent pas dans les politiques gouvernementales.» «On touche à un tabou profondément enraciné. Pourquoi ? Parce qu’avec un taux de croissance qui devient négatif, la population mondiale décroît, et s’approche de zéro dans un avenir plus ou moins lointain, développe Jean-Loup Bertaux dans son livre. Et dans l’inconscient collectif, «cette idée de disparition à terme de l’espèce humaine est insupportable».
Planification familiale
Aujourd’hui, 10% de la population concentrée dans les pays riches produit 49% des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales. «Les gens pensent souvent que la planification familiale est un problème des pays en développement, ce n’est pas vrai, ajoute Kimberley Nicholas du Centre pour les études sur la durabilité de l’université suédoise de Lund et seconde auteure de l’étude. Réduire volontairement le nombre d’enfants est un moyen efficace de diminuer les émissions de GES sur le long terme.»
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