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mardi 25 août 2020

« On est naufragés, si la deuxième vague arrive, elle va être dangereuse » : dans les Ehpad, la crainte du retour du Covid-19

Les familles de résidents s’alarment des reconfinements, alors que le personnel, épuisé, est en nombre insuffisant.
Par  Publié le 25 août 2020
L’art-thérapeute Céline Charbonnier danse avec une résidente de l’Ehpad « Maison Saint Jean Hélios », à Nice (Alpes-Maritimes), le 4 août.
Samedi 15 août, Claudine Guittienne, 82 ans, pleure au téléphone dans sa chambre de la maison de retraite des Palmiers à La Seyne-sur-Mer (Var). « On est incarcérés, on est pires que des prisonniers », sanglote-t-elle auprès de sa fille Valérie. La veille, un mail a été envoyé aux familles, un cas de Covid-19 ayant été découvert dans l’établissement.
La réaction de la direction est alors immédiate : reconfinement total. Fini les repas collectifs, les visiteurs extérieurs, et même les balades dans le couloir. Claudine a pourtant pour consigne médicale de marcher le plus possible, car il faut lutter contre la réduction de sa mobilité. « Déambuler de la salle de bains au fauteuil dans une chambre de 18 m2, ça n’a aucun sens, s’insurge Valérie Guittienne. C’est comme pour le téléphone, elle ne sait plus raccrocher ou décrocher depuis le premier confinement, c’est devenu très compliqué de communiquer avec elle. »

« Je ne paye pas 2 800 euros par mois pour que mes parents soient en prison », Valérie Guittienne, fille d’une résidente en Ehpad à La Seyne-sur-Mer
Cette ancienne journaliste de 56 ans, désormais élue (divers droite) au conseil municipal de La Seyne-sur-Mer, a vu sa mère régresser de jour en jour avec l’isolement du printemps. Elle craint des dégâts irrémédiables si un deuxième confinement se profile. « Est-ce que ça vaut le coup de les enfermer comme ça ? Je ne paye pas 2 800 euros par mois pour que mes parents soient en prison. On ne va pas mettre tout le monde dans du coton, moi je serais prête à prendre le risque du Covid », explique-t-elle. L’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Claudine fait partie des quelques dizaines de structures qui remettent en place des mesures restrictives face à la progression de la circulation du virus.
Entre le 1er mars et le 18 août, 10 511 personnes sont mortes des suites du Covid-19 en Ehpad, selon le dernier bilan hebdomadaire de la direction générale de la santé, publié le 20 août. Le document pointe dans ces établissements un frémissement des nouvelles contaminations. Entre le 11 et le 18 août, dix-huit nouveaux « clusters » ont été observés, pour une moyenne de cinq lors des quatre semaines précédentes.

Réactiver les cellules Covid

Tout le secteur (en France, plus de 7 500 Ehpad accueillent plus de 600 000 résidents) s’inquiète d’un éventuel retour du confinement, souvent qualifié de « traumatisant ». Des agences régionales de santé (ARS) ont envoyé des consignes aux directeurs d’établissements, leur enjoignant de réactiver leurs cellules Covid et de stocker du matériel pour plusieurs semaines.
Dans ce sillage, le débat entre protection ou liberté, entre vie biologique ou sociale des personnes âgées résidant en Ehpad refait surface. Olivier Véran, le ministre de la santé, s’est positionné, vendredi dernier, lors d’un déplacement en Lozère : « Chez les personnes les plus fragiles, les dégâts peuvent être considérables, et moi je préfère encore, à choisir, protéger les gens, quitte à les isoler, mais en les accompagnant toujours avec humanité, plutôt que de prendre le risque de les voir mourir par dizaines, parfois dans des conditions très difficiles. » Il a pris soin de préciser qu’un confinement généralisé en Ehpad n’était pas d’actualité.

« Sentiment d’impuissance »

« On est traités comme des petits chiens, comme un troupeau », répond Arlette, 88 ans, dans son Ehpad de La Garde (Var). Avec les quatre mois « d’enfermement », elle a perdu 15 kg. Sa fille, Danielle Cabrera, est « descendue » dans le Sud pendant l’été. Tous les jours, elle est venue donner à manger à Arlette et, avec, le goût de tenir encore un peu. « Ma mère n’a pas peur du Covid, sa seule joie, ce sont les visites, vous lui enlevez ça, il n’y a plus rien. » Depuis deux semaines et un visiteur testé positif, l’Ehpad est partiellement reconfiné.
Des résidentes de l’Ehpad « Les Ancolies », à Peronnas (Ain), le 31 juillet.
Valérie Guittienne et Danielle Cabrera qualifient « d’antidémocratiques » ces décisions prises sans consulter les habitants ou leurs proches. « Le modèle Ehpad n’est pas un modèle démocratique, c’est un modèle sécuritaire dans lequel les libertés sont mises à mal, et ça a explosé aux yeux des familles avec la crise due au Covid », abonde Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgés (AD-PA).
Selon lui, ces enjeux de reconfinement et de deuxième vague posent à nouveau la question fondamentale de la citoyenneté des très âgés, dans une société profondément « âgiste »« On dit d’un “vieux” qu’il n’a plus toute sa tête – l’expression est intéressante, essayez de vivre sans votre tête. On dit qu’il est dépendant, c’est un terme tortionnaire. Notre société, les familles, refusent la mort. Tout le monde est très ambivalent : on veut qu’il n’arrive rien à nos vieux, alors on les met dans des Ehpad. Du coup, il ne leur arrive vraiment rien, et ils sont des dizaines, à l’entrée des établissements, dont la seule activité est de regarder les gens passer. »
Pour Pascal Champvert, le modèle Ehpad de sécurité et de protection auquel se confrontent les familles et les résidents avec la crise due au Covid-19 est adossé à une promesse, celle d’avoir assez de personnel soignant pour s’occuper des personnes âgées. Mais, là aussi, le coronavirus a aggravé une situation déjà tendue – en 2018, un rapport de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), rattachée au ministère de la santé, alertait sur les 44 % d’Ehpad rencontrant des difficultés de recrutement. Le taux d’encadrement de ces établissements est de 63 équivalents temps plein pour 100 personnes.

Personnel soignant « sur les dents »

Marie-France, par exemple, infirmière syndiquée à la CGT dans une maison de retraite de la banlieue parisienne, est en arrêt maladie. Au plus fort de la crise du printemps, il y a eu dans sa structure vingt-cinq morts en quelques semaines, jusqu’à deux décès par jour : « Imaginez un mort à 8 heures, un mort à midi, et on nous a juste donné un numéro à appeler pour gérer le choc », raconte-t-elle. Elle a tenu, puis explosé la semaine dernière, quand tout est remonté d’un coup. « La DRH m’a dit : “Je comprends, prenez votre jeudi pour vous reposer, vous avez été là pendant la crise.” J’ai répondu : “Vous ne comprenez pas, vous étiez dans vos petits bureaux pendant qu’on passait nos journées dans la mort, vous ne savez pas ce qu’on a vécu.” Elle m’a dit : “Ok, ok, mais vous revenez vendredi ?” »
Le médecin traitant de Marie-France voulait l’arrêter un mois, mais elle prévoit de revenir au bout de dix jours, car elle le sait, il n’y aura personne pour la remplacer, et ses collègues ne pourront pas absorber sa charge de travail trop longtemps. L’éventualité d’une deuxième vague terrorise l’infirmière de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). « Dans les services, tout le monde est sur les dents, on ne peut pas revivre ça, c’est surhumain, ça serait trop dur. »

Difficultés de recrutement

Dans cet autre Ehpad de l’est de la France, « on est tous sous antidépresseurs, on fait des cauchemars, on n’arrive pas à dépasser la souffrance des décès », décrit cette secrétaire qui a préféré rester anonyme. Au Havre (Seine-Maritime), Tatiana Dubuc, aide-soignante et représentante CGT, accompagne le personnel des six maisons de retraite publiques de la ville.
Depuis le déconfinement, elle passe dans les locaux, et affirme n’avoir jamais vu un tel désarroi en douze ans de métier : « Les filles pleurent, tout le temps, elles travaillent même en pleurant. Elles ont perdu leurs résidents, alors, oui, il faut garder le côté professionnel, mais c’est dur pour elles, elles sont en plein syndrome de stress post-traumatique. » Des centaines d’arrêts maladie sont délivrés, et toujours l’impossibilité de remplacer. « On est naufragés, si la deuxième vague arrive, elle va être dangereuse, on a de grosses difficultés de recrutement », prévient-elle.
« Les douches sont décalées, les résidents qui ne marchent plus, on n’a plus le temps de les mettre en fauteuil », Xavier Relandeau, directeur d’Ehpad à Nantes
Xavier Relandeau s’inquiète presque autant du retour du Covid-19 que de son manque de personnel. Ce directeur d’Ehpad à Nantes (Loire-Atlantique) a plutôt bien traversé la crise : aucun cas à déclarer, il a réussi à éviter un confinement strict en maintenant des activités en petit groupe. Il a reçu le mail de l’ARS des Pays de la Loire lui demandant de se tenir prêt, mais il se fait plus de souci pour les trous dans son planning de septembre. « Les remplaçants de l’été sont partis, et l’intérim est absorbé par les grands hôpitaux, alors on passe en mode dégradé : les douches sont décalées, les résidents qui ne marchent plus, on n’a plus le temps de les mettre en fauteuil », décrit-il.
Face à la détresse des familles et du personnel, Pascal Champvert, lui, tente de rassurer : « On ne va pas revivre l’horreur de la première vague, on connaît mieux le virus. Deux pour cent des résidents en Ehpad sont morts, c’est dramatique, mais il ne faut pas oublier les 98 % restants. Ce qui est sûr, c’est que le personnel a été confronté à un grand traumatisme, et qu’il va falloir que ça bouge, ça ne va pas se régler à coups d’antidépresseurs ou de prime de 1 000 euros. »

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