27 août 2020
Sociologue, Centre de Sociologie des Organisations (CSO), Sciences Po – USPC
Le 8 août 2020, à Saint-Tropez. Valérie Hache/AFP
Sous couvert de se protéger de la Covid-19, se sont développées cet été de multiples stratégies pour tenter de maintenir les foules à distance.
Mais, n’est-ce pas tout simplement que l’on ne supporte plus l’autre ?
On se souvient, au début de l’épidémie, des islois se plaignant de la migration des Parisiens vers leurs maisons secondaires. Une analyse statistique des données téléphoniques réalisée par l’opérateur Orange a ainsi estimé que près de 17 % des habitants de la métropole du Grand Paris ont quitté leur région entre le 13 et le 20 mars (Le Monde, 26 mars). Dès le 16 mars, un arrêté préfectoral a limité les traversées du continent vers l’île d’Yeu « aux habitants munis d’une carte de passage (résidents permanents) ». Une nouvelle qui avait été accueillie avec satisfaction sur l’île.
À Noirmoutier, les résidents s’étaient plaints de l’afflux de ces nouveaux habitants : les magasins et les stations essence ne permettaient plus de répondre à la demande.
Une narration du rejet de l’autre
Au-delà des seuls risques sanitaires, ces récriminations relèvent d’« un vieux contentieux, la France a été construite sur ce clivage entre Paris et le reste, c’est-à-dire la province ou les régions » pour reprendre les mots du sociologue Jean‑Didier Urbain (Le HuffPost, 28 avril 2020).
L’ancien maire de Noirmoutier déplorait alors « Les gens se baladent sur la plage, prennent des selfies qu’ils partagent sur les réseaux sociaux, c’est un comportement irresponsable ». (France 3 Région, 26 mars).
Ces différends régionaux ont été réglés par le rappel du décret national de lutte contre la propagation du virus (16 mars 2020) appliqué sans nuance, quel que soit le seuil épidémique des régions. Un confinement strict devait être observé aussi bien à la ville qu’à la plage.
Cependant une brèche s’est peut-être ouverte à ce moment de l’épidémie : il avait été possible de dire, d’écrire qu’on ne voulait plus de l’autre. La narration au sujet du rejet de l’autre avait paru sinon acceptable, du moins compréhensible et s’était en tout cas exprimée, y compris du côté des édiles.
Identification de « classes à risques »
Le déconfinement s’est fait selon des déclinaisons régionales voire départementales, en fonction du niveau de circulation du virus, tel que le recommandait d’ailleurs le conseil scientifique (Avis n°6). Des stratégies locales de déconfinement ont été mises en place concernant les accès aux plages, le port du masque, etc.
En même temps qu’une volonté s’affirme de solidarité et de bienveillance à l’égard d’autrui, notamment des plus âgés, s’installe insidieusement une société morcelée où chacun cherche à exclure en identifiant les catégories de population à risque, que l’on peut mettre en parallèle avec des classes potentiellement dangereuses.
Or dans la définition desdites « classes dangereuses », la frontière entre le risque biologique et le risque social semble ténue. Au fil du 19e siècle, la classe dangereuse a ainsi été assimilée aux classes pauvres, dangereuses et vicieuses comme l’a montré Louis Chevalier.
Hygiène et équilibre moral de classe se chevauchent : « décrotter le pauvre équivaut à l’assagir ; convaincre le bourgeois de se laver, c’est le préparer à l’exercice des vertus de sa classe » (Alain Corbin, Le miasme et la jonquille p. 208.) La bourgeoisie cherche alors à se prémunir de l’odeur nocive et nauséabonde des classes dangereuses. Ironiquement, l’anosmie comme symptôme associé à la Covid-19 nous préserve de cette réaction. Reste qu’il y a bien des préjugés et des ambiguïtés sociales à vaincre.
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