- Date de publication • 24 mars 2033
Au-delà de la crise budgétaire que traverse la psychiatrie hospitalière, Emmanuel Venet invite la discipline à renoncer aux excès de sciences et à renouer avec l’art de la relation thérapeutique.
Emmanuel Venet, dont on avait déjà aimé les poèmes, est aussi psychiatre à l’hôpital du Vinatier . Un psychiatre inquiet du devenir du service public de soin des esprits en souffrance : dans son Manifeste pour une psychiatrie artisanale (Verdier, 2020), il pointe l’abandon dans lequel s’enfonce une psychiatrie hospitalière confrontée à la fois aux coupes budgétaires et à une crise interne des savoirs et des traitements.
Dans cet entretien, il revient sur les ressorts de cette crise structurelle, dans laquelle les effets délétères de la marginalisation institutionnelle sont redoublés par les prétentions des sciences du cerveau et la prolifération des médicaments du mal-être. À travers ces mises en garde, c’est une conception du soin complexe et profondément humaine, collective et assumant ses incertitudes, qu’il s’agit de défendre. Au-delà de cette actualité, puisque la vie psychique des personnes et son traitement est aussi un miroir du temps présent, cet entretien est également l’occasion de regarder l’époque à travers différents aspects de la pratique psychiatrique : des traumatismes des migrants aux nouvelles missions d’ordre public de la fonction hospitalière, en passant par les maladies de la nouvelle pauvreté.
Votre Manifeste interpelle la société et les pouvoirs publics sur l’impasse dans laquelle se trouve la psychiatrie hospitalière aujourd’hui. Quels sont les principaux aspects de cette situation de crise structurelle ?
La crise est d’abord budgétaire. La ministre de la santé Agnès Buzyn a elle-même admis que la psychiatrie publique hospitalière avait un taux d’évolution budgétaire inférieur aux autres secteurs de l’hospitalisation publique . Il semblerait qu’aujourd’hui, l’écart entre le domaine psychiatrique et les domaines de médecine, chirurgie et obstétrique soit de 5% : ça ne paraît pas énorme, mais compte tenu des frais incompressibles de tout établissement psychiatrique, à commencer par la masse salariale qui représente 83% des budgets, une perte de 5% de revenus signifie des bâtiments qui se délabrent et des conditions d’accueil qui deviennent à bien des endroits indignes.
Ensuite, je constate une désaffection des médecins face à la psychiatrie publique – si ce n’est face à la psychiatrie en général – dont la conséquence est qu’on aurait aujourd’hui 1 000 postes vacants sur l’ensemble du territoire national. La spécialité n’est pas assez attractive, peut-être pour des raisons de rémunération, mais surtout, à mon sens, en raison des conditions de travail et de l’intérêt intellectuel du métier, qui se dégradent en même temps que les conditions matérielles. L’importance des vacances de postes aggrave la situation, puisqu’elle a pour conséquence l’alourdissement de la charge pour les personnels en place ; ce qui entraîne de la fatigue, de l’usure, des burn out, etc.
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