Dans son livre "Personne ne sort les fusils", Sandra Lucbert fait le procès de l'atmosphère au travail chez France Telecom, dont les conditions de vie des employés ont été souvent décriées. Le langage littéraire sait-il retranscrire ce quotidien cauchemardesque ?
"Toute notre mécanique sociale devrait comparaître ; et c'est impossible, parce que nous sommes à l'intérieur ; elle dicte nos présupposés. On en la voit pas : c'est par elle _qu'on voit. Ainsi, le tribunal est intérieur à ce qu'il juge. Il parle la langue qu'il accuse. Je parle aussi cette langue. Mais je trimballe avec moi quantité d'états de langage, c'est ce que fait la littérature aux gens qui la pratiquent. Elle impose un écart permanent d'avec tout ce qu'_on dit. Je parle la langue collective, mais contestée par une cacophonie intérieure." Tel est le procédé de réappropriation du langage banalisé du quotidien par la littérature qu'entreprend et décrit Sandra Lucbert dans son livre "Personne ne sort les fusils", paru en août 2020 chez Seuil (collection Fiction & Cie).
Ce n'est pas n'importe quel langage du quotidien auquel s'attaque l'autrice : c'est celui d'un environnement de travail (à France Telecom) où les occurrences de burn-out, de dépression et de suicide ont été banalisées au point de devenir des élements communs du discours de tous les jours. Au sein des bureaux comme dans les tribunaux affairés à ces cas de suicide, Sandra Lucbert constate l'impossibilité de prendre conscience de la violence de cette réalité, dès lors qu'elle est énoncée et répétée comme une simple donnée.
Avec Bernard Lahire, professeur de sociologie à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon, nous nous interrogeons aujourd'hui sur un des possibles pouvoir de la littérature : celui de se réapproprier, par un langage qu'elle crée elle-même, une réalité dont les extrêmes dépassent l'entendement.
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