Pionnier de la psychanalyse en Chine, Huo Datong, travaille depuis plus de dix ans à une approche chinoise de cette discipline peu connue dans son pays.
LETTRE DE PEKIN
D’ordinaire douce, la voix de Huo Datong se fait lasse, voire triste. En raison du Covid-19, personne ou presque ne se rend plus dans la pièce située au fond, à droite de son appartement de Chengdu. Celle essentiellement occupée par un meuble rarissime en Chine : un divan de psychanalyste.
C’est désormais par téléphone que celui que certains appellent « le père de la psychanalyse chinoise » « reçoit » ses patients. Certes, en raison de l’immensité du pays, il y a longtemps que ce pionnier accepte les consultations par téléphone. Mais, désormais, même les Chinois qui habitent comme lui la capitale du Sichuan, réputée pour sa douceur de vivre, ne font plus le déplacement jusqu à la résidence réservée aux universitaires de la province où il dispose toujours d’un bureau.
Né en 1954, garde rouge durant la Révolution culturelle puis étudiant en histoire, Huo Datong n’avait pas le profil idéal pour introduire Lacan en Chine. Mais décrochant en 1986 une bourse pour étudier en France, il s’embarque pour Paris avec une seule idée en tête : partir à la recherche de Jacques Lacan.
Une phrase de celui-ci, rapportée de France par un ami chinois, le fascine : « L’inconscient est structuré comme un langage. » Huo Datong qui avait lu une édition interdite de l’Interprétation des rêves de Freud et tentait de décrypter les songes de ses camarades, voulait absolument connaître ce langage. Il restera huit ans à Paris, le temps de faire une psychanalyse avec le lacanien Michel Guibal – « je parlais chinois, il n’y comprenait rien mais ça n’a pas grande importance » – avant d’ouvrir son cabinet en 1994 à Chengdu puis de diriger un séminaire auquel Michel Guibal assistera à plusieurs reprises.
Théorie chinoise de la psychanalyse
En 2000, il crée, au sein du département de philosophie de l’université du Sichuan le premier DEA de psychanalyse en Chine. Il a donc littéralement fait école.
Entre-temps, une association sino-américaine de psychanalyse a également vu le jour en 2010 et une école sino-allemande (surtout axée sur les travaux du britannique Winnicot) en 2012. « Nous avons donc désormais en Chine les trois écoles occidentales : l’américaine, la française et la britannique, via les Allemands », se félicite Huo Datong.
Officiellement, celui-ci a pris sa retraite à 60 ans. Il n’enseigne donc plus la psychanalyse. Un de ses élèves a pris sa succession. Néanmoins, en 2014, le sexagénaire n’avait pas achevé la mission qu’il s’était fixée : définir une théorie chinoise de la psychanalyse. Rien que cela.
Dans un livre paru en 2008, (La Chine sur le divan, entretiens avec Dorian Malovic, Plon), Huo Datong s’était donné dix ans. « J’ai conscience de l’apport indispensable de Freud et de Lacan à la psychanalyse mais j’ai aussi pu me rendre compte de leurs limites. Ils ont ignoré certaines dimensions de l’inconscient. Avec mes analysants, j’ai rencontré les mêmes phénomènes psychiques qu’en Europe mais j’ai découvert d’autres dimensions singulières que Freud et Lacan n’ont pu mettre en évidence. Et pour cause. A partir de mes observations cliniques, je vais pouvoir élaborer une nouvelle théorie (…) J’ai encore besoin d’une bonne dizaine d’années de travail pour compléter mes observations et ainsi étayer ma démonstration. » Nous y sommes.
Discipline confidentielle en Chine
Aujourd’hui, Huo Datong, dans la bibliothèque du bureau où ce « Lacan chinois » organise ses séminaires, affiche sa satisfaction. « J’ai bâti ma théorie », dit cet homme dont le prénom, Datong, signifie « la grande harmonie ». Onze ans de travail et de séminaires devraient donner lieu à la publication de onze ouvrages. Leur titre : « Séminaire de Huo Datong, anatomie des organes psychiques, personnalités première et secondaire ».
Pour lui, l’inconscient comporte à la fois une représentation des mots (comme chez Lacan) et des choses (Freud) mais aussi des émotions. « Il a trois dimensions », résume Huo Datong. Celui-ci a également beaucoup travaillé sur les rôles respectifs de la mère et du père en Chine et en Occident.
« Je suis satisfait de ma théorie mais un peu déçu par sa diffusion », reconnaît-il. Certes le centre de psychanalyse de Chengdu compte environ 400 membres dont une centaine de psychanalystes mais les ouvrages ne sont toujours pas publiés et la discipline reste encore confidentielle en Chine. « Les journaux parlent de psychothérapie mais pas de psychanalyse. C’est compliqué pour le grand public », observe-t-il.
Pour des raisons politiques ? Huo Datong n’aborde le sujet qu’avec une extrême prudence. « Si j’attaque la politique, la politique me rattrapera. Il faut toujours savoir garder ses distances. C’est la règle du jeu numéro un. L’autorité ne sait pas ce qu’est l’inconscient. Elle ne le censure pas mais cette ignorance précisément fait de l’inconscient un sujet sensible », expliquait-il dans son livre. La prudence est plus nécessaire que jamais.
Une association nationale des psychanalystes a vu récemment le jour mais elle n’est pas officiellement reconnue. Son existence reste précaire. Néanmoins « la psychanalyse est sortie des campus et entre peu à peu dans la société », se félicite Huo Datong. D’ailleurs, obtenir un rendez-vous avec lui nécessite trois à six mois d’attente. Même par téléphone.
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