On connaît l’histoire par cœur. Le portrait de femme (i.e. d’épouse) en cas clinique, femme au foyer, d’intérieur cautérisé, design, qui marque tout de suite sa révérence au roman gothique, à la présence d’emprise du mari qui tient sa jeune épouse en poupée porcelaine dans sa maison cloîtrée, vitrée, comme un trophée. Il est attendu d’elle la reproduction dynastique, qu’elle se charge de la progéniture et du standing.
Programme appliqué à la lettre par le jeune couple, Hunter (Haley Bennett) tombe enceinte de Richie (Austin Stowell). Ça se déglingue à partir de là, chose également prévisible. La jeune gravide, blonde aux yeux bridés en amande nordiques, se met à avaler («swallow») des petits objets (une bille, une vis…) de plus en plus dangereux, coupants, et y trouve une sorte d’accalmie satisfaite. De quoi reculer temporairement son angoisse, ce qui la tenaille et la terrifie.

Folie privée

Cliniquement ce syndrome a un nom : pica, trouble du comportement alimentaire et compulsion qui, dans le cas de Hunter, s’apparente à une avidité morbide, un appétit de mort, surtout, métaphoriquement, à un désir d’avortement par aberration détournée, inversée (par la bouche). A travers le cas «mental», ce type de film veut dresser un portrait social d’une condition féminine et d’une condition tout court, blanche, bourge, capitaliste. Le récit s’attache à scruter ce qui, de l’ambiance conjugale esseulée du vase clos, favorise la folie privée des femmes, ainsi que ce qui de la déviance féminine affecte la réalité alentour, jusqu’au schématisme du délire (le regard posé sur la belle-famille, caricature abstraite d’ignominie bourgeoise entrepreneuriale).

Ici le «par cœur» des films référents associe dans un premier temps le projet de Carlo Mirabella-Davis au Hitchcock de Rebecca ou Marnie, à l’univers maniaque aseptisé de Safe (Todd Haynes), au glacis extérieur et à l’horreur intérieure qui suppure d’un Cronenberg, le monde furieux de sang et d’épiderme d’une Marina de Van, ou les tentatives difformes de films dont l’horreur est le fruit d’une aberration gynécologique, façon Teeth ou Jennifer’s Body (quand la bouche se prend pour un vagin et, comme ici, que la tentation de l’avortement - sujet hautement inflammable aux Etats-Unis - devient rite «d’avalement», transgressif et tailladant).
Le décor est planté, comme la maison est posée là, au milieu de nulle part, au bord d’un fleuve dont le bras pour seule perspective bouche l’horizon, comme le personnage de Hunter l’est, posé là, femme bibelot. Cherchant à tromper l’ennui profond, cela démarre : c’est un livre de développement personnel naturellement qu’elle ouvre, pseudo-philosophie d’une inanité que Swallow entend dès lors pousser à son comble, à sa folie.
Sa réussite ne tient d’abord qu’à cela : à l’actrice et à sa propension, dans ce genre de cinéma-portrait, à s’approprier une œuvre telle que celle-ci. Bennett est l’auteure de Swallow davantage encore que Mirabelle-Davis, on se rend compte, fonction de comment elle se laisse filmer et de la façon dont elle regarde autour d’elle - avec la même distance craintive que l’opacité qu’elle met entre le cinéaste et elle. C’est ce qui préside à la mise en scène, une comédienne qui prend sa mesure en cours de récit, quelque part entre la femme-enfant et l’enfant-femme, entre Marilyn et Björk, ou Michelle Williams et Shirley MacLaine, leur continuation blonde sous les traits aux yeux de fennec de Haley Bennett.

Contraintes

Alors, du premier film passe-partout et de la tentation de formatage du «cinéma de standing» indé, Swallow bifurque et étonne, décidant de privilégier la convulsion de vie à l’arty, la logique du récit aux quatre épingles du costume bien taillé, et l’humour décalé aux irritations intestines. Il échappe aux écueils par un souci sensible de son personnage, allant au bout de ce que Hunter a à faire, à dire et à régler.

L’échappée et les conditions de sa fuite font débrayer le film, de l’essai en huis clos au film d’extérieur vagabond. Jusqu’à la confrontation finale entre elle et le père, assez stupéfiante d’évidence inopinée. Swallow, à partir de l’arrivée de Luay, l’infirmier syrien, beau personnage à la présence d’un burlesque mine de rien, sort de sa coquille de raides contraintes. «Fake it’til you make it», («fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives») déclare la belle-mère à Hunter : programme esthétique minimum qui, une fois son scandale de grossesse non désirée surmonté, s’ouvre à la nouvelle vie dans un demi-sourire. 
Swallow de Carlo Mirabella-Davis avec Haley Bennett, Austin Stowell… 1 h 34.