Photo Boby
Nouvel an, nouveau coup de bambou : on vieillit inéluctablement, nos références disparaissent, notre corps fatigue, il ne reste plus beaucoup de temps pour accomplir des merveilles… et ça commence parfois dès la vingtaine. Tour d’horizon angoissé.
Encore une année qui tombe, avec elle la dernière décennie, et une qui s’avance, au choix pleine de rires et de chants… ou alors elle verra notre passage à la soixantaine, la mort de la plupart des chats présents ce soir, les rides qui pleuvent, les ovales qui tombent, le gars du guichet qui demande si vous avez la carte senior, le stagiaire qui te vouvoie, la gamine qui sort «c’est qui, Simone Signoret ?», le Voici où tu connais plus personne, le dentiste qui prend un air accablé face aux ratiches qui se déchaussent - «à votre âge, c’est normal» et ça fera 2 000 boules l’implant… bref : le coup de vieux.
On le chope à n’importe quel âge, c’est un coup de transition, en fait, la dure réalité qui frappe : on sera jamais Zola, on ne verra pas les aurores boréales non plus (on s’en fout, mais c’est l’idée) et on n’aura pas réalisé le dixième de ses rêves. Pour les plus jeunes, ceux qui y croient encore, avec en principe l’avenir devant eux (je te fais pas le couplet de l’apocalypse écologique fatidique, ça me fatigue, j’ai plus 20 ans), il a frappé aussi - la fin d’une carte de réduc, les premières copines enceintes… Petite promenade dans les angoisses de quelques-uns, alors qu’on attaque cette nouvelle décennie.
Vincent, 33 ans, écrivain
«Le coup de vieux n’est pas arrivé à 30 ans. J’ai volontiers méprisé cet anniversaire. Le coup de chêne est arrivé vers 31 ou 32 ans. Soit l’âge que j’avais toujours considéré comme très vieux. C’est un peu comme le parcours d’une randonnée, on se dit qu’il y aura telle étape, et une fois arrivé à cette étape, on se dit qu’il n’y a plus de nouvelle étape. Eh bien c’est pareil. Les 32-33 ans, c’est pas la vieillesse dans son côté dramatique, la nouvelle dizaine d’années qu’on franchit. Non, 32-33 ans, c’est la fadeur de l’âge, la tristesse banale.
«Le pire est qu’à mon âge, les gens ont réussi leur vie. Je veux dire, les gens intéressants : les écrivains, les plasticiens, les réalisateurs, les sportifs… Certains en sont déjà à la deuxième partie de leur carrière. C’est ça, le pire : voir Scarlett Johansson, qui a à peu près mon âge, jouer une femme qui divorce dans Marriage Story, alors que l’idée même de l’engagement dans le couple me terrifie. Voir que Nadal est un vieux tennisman…
«Ce qu’il y a de plus compliqué, c’est que je ne suis plus un jeune : les soirées, les disputes, les rivalités dans les bandes de copains, tout ça ne m’intéresse plus. J’ai même arrêté de boire. Mais je n’ai pas vraiment commencé la vie d’adulte : je suis angoissé par les week-ends entre amis dans une maison de campagne, les conversations inintéressantes, l’immobilier - l’achat de mon premier appartement m’a provoqué une crise de dépression. En gros, je suis perdu entre un Larry Clark et un Claude Sautet. C’est d’un gai… Mais le pire, c’est le passé. Imaginer ce qu’avaient fait à mon âge les plus grands peintres, les plus grands écrivains. J’ai vu un spectacle de Merce Cunningham il y a peu, et j’ai lu des détails sur sa bande, Jasper Johns, Robert Rauschenberg, Cy Twombly… A mon âge, ils étaient déjà dans la troisième partie de leur carrière.
«Je me console avec ceux qui ont démarré tard, Raymond Chandler qui avait 40 ans passés quand il a publié son premier roman, Maurice Pialat et son premier film à 43 ans. Les années passent, il y a de moins en moins d’exemples… mais heureusement il y a toujours cette phrase de Woody Allen : "Je viens d’avoir 60 ans. Pratiquement un tiers de ma vie est passé."»
Claudine, 48 ans, bibliothécaire
«J’ai pris un coup de vieux quand un morveux de 22 ans à qui je venais de déposer un superbe et rutilant vélo Motobécane marron glacé (je le lui rapportais de la campagne où je vis certes comme une plouc), et à qui je faisais les recommandations d’usage («il est beau, ce vélo, gaffe à Paris, la grande ville, attache-le bien, tu pourrais te le faire tirer»), m’a répondu ingénument : « Ah, tu crois ? C’est connu comme marque, Motobécane ? J’en ai jamais entendu parler …» Ça a été le petit coup de vieux incisif et vicelard, celui des références qui commencent à disparaître, genre la Mère Denis. Ça arrive au quotidien, ça se multiplie avec le temps qui passe, mais c’est pas très grave, au fond, on arrive quand même à échanger entre générations.
«Le plus chiant, c’est que ça a recommencé quelques minutes plus tard. On est dans la voiture, une musique passe à la radio, moi enthousiaste et lui "ah non je connais pas", et encore ce qui est encore plus chiant, c’est que là, tout de suite, je ne me souviens plus de quelle musique il s’agissait, c’est là que le bât blesse…»
Ludo, 52 ans, fonctionnaire
«Le premier, le vrai coup de vieux, c’est dans le cadre professionnel, deux ou trois ans après la quarantaine. Au début, tu ne fais pas gaffe, et un beau jour tu t’aperçois qu’indépendamment du rapport hiérarchique, les jeunes collègues qui viennent d’arriver te vouvoient systématiquement. Tu leur en parles, tu leur dis que le tutoiement est tout à fait possible, et malgré des relances, ils te répondent que non, décidément, ils n’y arrivent pas, "parce que vous avez pratiquement l’âge de mes parents"…»
Antoine, 22 ans, entre fin d’études et futur travail
«Quand, après sept ans d’études, tu dois coller une fausse étiquette sur ta carte étudiante pour continuer à bénéficier des tarifs préférentiels.
- Quand des potes de ta promo se marient entre eux.
- Quand tu dois faire ta demande de RSA post-stage.
- La fin du Livret jeune quand tes 25 ans débarquent et les nombreux mails de ta conseillère CIC pour te proposer des PEL et des assurances-vie (du coup, tu fuis chez Boursorama).
- Tu ne connais presque plus personne dans la ville de province où tu as fait tes études car tout le monde a bougé à Paris, Lyon ou Bruxelles.
- La plupart des joueurs de ton équipe de foot préférée sont plus jeunes que toi. Ça commence à être de plus en plus dur d’envisager une reconversion comme avant-centre au PSG.
- J’ai toujours les actus de l’école grâce aux pages Facebook que j’avais likées et qui ne changent pas avec les promos (BDE, BDA, association sportive, etc.). Il va bien falloir les enlever un jour… mais pas tout de suite.
- Quand tu fais une soirée déguisée et que tu tombes sur une fille déguisée en coccinelle. Mais en fait, la carapace, c’est son ventre de femme enceinte. Bientôt les premiers bébés : une nouvelle vie commence, une autre se termine.
- Quand tu connais presque plus de gens de 30 ans que de 20 ans.
- Quand tu reçois un message qui dit : "J’ai le plaisir de vous convier à mes 26 ans, pour enterrer officiellement cette belle année des Catherinettes et les privilèges qui vont avec."
- Et que tu reçois ce genre d’invitations merdiques pour des soirées de tour du monde avant le premier CDI : "Benco World Tour 2020", "nous vous convions samedi pour une dernière fiesta avant les chutes du Niagara", "un dernier bisou avant le Machu Picchu", "une dernière margarita avant le lac Titicaca", "une dernière sauterie avant la Patagonie", "un dernier chat bite avant le village des Hobbits"…»
Patrice, 51 ans, ingénieur
«Je rentre du boulot à vélo, comme d’habitude, sur la piste cyclable du boulevard de Belleville à Paris, quand une fourgonnette blanche s’approche dangereusement de la fin de la piste avec l’intention évidente de s’y garer, munie de l’argument bateau "j’en ai pour deux minutes", et souhaite manifestement me couper la route. A l’aide de mon klaxon doublé de quelques tapes sur la carrosserie, je me signale à cet envahisseur qui sort ni une ni deux de son petit camion, pas content que j’aie osé poser la main sur son véhicule pour lui rappeler mon existence. Je lui explique alors gentiment que ce n’est pas une place de stationnement et le jeune mec, visiblement très excité, me dit : «T’as de la chance que t’es vieux, sinon je t’aurais cassé la gueule.» Je pensais pas faire si vieux que ça…»
Nora, 49 ans, travaille pour une fondation
«Il y a quelque temps, des seins gonflés à la Lolo Ferrari, mais intouchables car douloureux, et des kilos de rétention d’eau assortis de sautes d’humeur m’ont poussée à consulter une gynécologue endocrinienne. Son verdict : "Vous êtes en périménopause. Vous en avez pour quatre à six ans…" Comme on n’entend que ce qu’on veut entendre, j’ai traduit ça par : "Tu as six ans pour te préparer aux bouffées de chaleur et autres kilos en trop de la ménopause."
«J’ai tenté un "mais je suis obligée d’être ménopausée même si j’ai pas eu d’enfant ?" qui l’a beaucoup fait rire… "On y passe toutes", m’assure-t-elle. Le soir même, je suis tombée sur une pub pour crème anti-foufoune sèche et une autre pour couches anti-fuites urinaires. Je me suis dit : "Normal que ton mec aille voir ailleurs si à 50 ans tu t’empâtes, tu déprimes, t’as la libido à moins 20, des bouffées de chaleur, et en plus la fouffe réfractaire." J’ai tellement ri… et j’ai ajouté de la musculation à mon programme sportif.»
Vincent, 63 ans, plasticien
«Grosso modo, je me suis toute ma vie habillé de la même façon. Caleçon, tee-shirt ou chemise, jean et pull, chaussures en daim marron, veste ou manteau. Dans mon armoire, je n’ai pas d’autre pantalon que des jeans. J’en ai quatre, un neuf pour les rendez-vous, un lavé une fois pour rester dans le quartier et deux délavés, pour les dimanches.
«Cette dernière année, les reflets de ma silhouette surpris dans les vitrines ou les miroirs de hall m’ont apporté une triste nouvelle : j’ai pris un coup de vieux. Mon corps est la réincarnation de celui de mon père et les traits de mon visage sont devenus identiques à ceux de mon frère aîné. Me voilà ramené au rang de simple membre de ma famille. L’idée d’une sorte d’inadéquation entre ma corpulence et ma tenue vestimentaire a alors commencé à me tarauder. Une phrase prononcée par une copine dans la mode m’est alors revenue : "Y en a ras le bol de ces baskets, passé un certain âge, ça fait vraiment adolescent attardé…"
«Je me regarde dans ma glace, de face mais surtout de profil, pour scruter la taille de mon ventre : le bourrelet qui surmonte la taille basse du jean est une disgrâce… et le disque se met à tourner : le jean, c’est comme les baskets, passé un certain âge, ça fait vraiment ado attardé… Cette ritournelle m’obsède d’autant plus que quelquefois je croise dans ma rue un vieux de 70 ans habillé en jean, hoodie et perfecto et que je le trouve ridicule. Hier, j’ai acheté un chino noir parce que Philippe Noiret avait dit pendant une interview : "Moins la viande est fraîche, plus il faut soigner l’emballage…"»
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