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mardi 14 janvier 2020

Françoise Dolto a-t-elle, en 1979, soutenu la pédocriminalité ?



Par Robin Andraca et Anaïs Condomines 14 janvier 2020

Françoise Dolto en 1988.
Françoise Dolto en 1988. Photo Ulf Andersen. 
Getty Images

Le «Canard enchaîné» a exhumé la semaine dernière une interview de la psychanalyste François Dolto accordée à une revue féministe en 1979. Quarante ans plus tard, ses propos divisent encore.

Bonjour,
Votre question fait référence à un article du Canard enchaîné en date du 5 janvier dernier, faisant état de «propos complètement inconscients de la psychanalyste Françoise Dolto». Cet article est paru dans un contexte particulier : il suit la publication du livre le Consentement, le 2 janvier, dans lequel l’éditrice Vanessa Springora raconte sa relation traumatisante avec l’écrivain Gabriel Matzneff, pédophile notoire. Ce qui a poussé les médias français à s’interroger sur la complaisance dont l’homme avait pu bénéficier dans les années 70 et 80.
Ainsi s’explique l’exhumation, par le Canard enchaîné, d’une interview accordée en 1979 par Françoise Dolto à une revue féministe appelée «Choisir la cause des femmes», dans un dossier consacré aux enfants maltraités par leurs parents. «Dans le cadre de l’année de l’enfant et suite à notre précédente enquête parue dans le n°42, il nous a semblé opportun de parler des enfants maltraités par leurs parents, et d’avoir l’avis des milieux officiels sur ce sujet», expliquait à l’époque la revue. Qui a interrogé dans le même numéro le commissaire Ernest Lefeuvre, de la brigade de la protection des mineurs, Jean-Claude Xuereb, juge pour enfants, Michèle Gounnot, psychothérapeute, Joe Agbomson, psychologue. Et, donc, la psychanalyste Françoise Dolto, déjà célèbre à l’époque après deux années (de 1976 à 1978) passées à répondre en différé aux courriers des auditeurs dans une émission animée par Jacques Pradel sur France Inter.

«Il n’y a pas de viol du tout»

Au sujet de cette interview (en ligne en intégralité ici), le Canard évoque un «dialogue incroyable». Voici ce que l’on peut y lire :
Question : «Vous parlez de l’inceste entre frère et sœur, mais entre parents et enfants ?»
Réponse : «Dans l’inceste père fille, la fille adore son père et est très contente de pouvoir narguer sa mère !»
Q : «Et la responsabilité du père ?»
R : «C’est sa fille, elle est à lui. Il ne fait aucune différence entre sa femme et sa fille ou même entre être l’enfant de sa femme ou bien le père de sa femme. La plupart des hommes sont des petits enfants. Il y a tellement d’hommes qui recherchent dans leur femme "une nounou". Et des femmes qui le confortent dans cette idée-là ! Alors la responsabilité du père, à ce niveau…»
Q : «Dans l’acte incestueux, il y a bien un traumatisme de la victime non ?»
R : «Evidemment qu’il y a traumatisme ! Nous ne vivons pas dans une société où ces choses sont permises. Résultat, la fille ne peut pas se développer normalement car ses pulsions sont occupées à un lieu où elles ne devraient pas l’être encore. Il se produit un blocage dans l’évolution de l’intelligence. Quant aux enfants incestueux, il vaut mieux leur dire la manière dont ils ont été conçus.»
Q : «Donc la petite fille est toujours consentante ?»
R : «Tout à fait.»
Q : «Mais enfin, il y a bien des cas de viols ?»
R : «Il n’y a pas viol du tout. Elles sont consentantes.»
Q : «Quand une fille vient vous voir et qu’elle vous raconte que dans son enfance, son père a coïté avec elle et qu’elle a ressenti cela comme un viol, que lui répondez-vous ?»
R : «Elle ne l’a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement compris que son père l’aimait et qu’il se consolait avec elle, parce que sa femme ne voulait pas faire l’amour avec lui.»
Puis, plus loin :
Question : «D’après vous, il n’y a pas de père vicieux et pervers ?»
Réponse : «Il suffit que la fille refuse de coucher avec lui, en disant que cela ne se fait pas, pour qu’il la laisse tranquille.»
Q : «Il peut aussi insister ?»
R : «Pas du tout, parce qu’il sait que l’enfant sait que c’est défendu. Et puis le père incestueux a tout de même peur que sa fille parle. En général la fille ne dit rien, enfin pas tout de suite.»
Et encore :
Question : «Il n’y aurait plus de détournement de mineurs ?»
Réponse : «Non, à partir du moment où le jeune serait averti.»
Q : «Vous ne pensez pas qu’il y a quand même un déséquilibre entre une nubile de 13 ans par exemple, et un adulte chevronné ?»
R : «Je ne crois pas, à partir du moment où le jeune est libre de choisir. En France, il y a une incurie de l’éducation des filles.»

Propos choquants ou contresens ?

Ces propos, qui semblaient intriguer dès 79, choquent d’autant plus en 2020. Dans l’interview de l’époque, les relances montrent une journaliste profondément interloquée par les positions répétées et assumées de Dolto. D’ailleurs, à la suite de cet entretien figure un article sous forme de mise au point, intitulé «À propos de l’entretien avec le Dr F. Dolto». Dans celui-ci, la journaliste Béatrice Jade déplore l’absence de toute responsabilité masculine dans la réflexion de son interviewée. «Il [l’homme] est épargné, peu responsable, à protéger. Pourquoi ?» s’interroge-t-elle.
Est-ce à dire pour autant que la célèbre psychanalyste défendait la pédocriminalité ? CheckNews a sollicité plusieurs personnes, professionnels de la psychologie ou universitaires. Certains l’ont connue de près et défendent l’icône Dolto, d’autres n’ont pas de mot assez durs pour qualifier son travail. Le constat est évident : le cas Dolto polarise profondément, et ce n’est d’ailleurs pas la première fois que son travail, trente ans après sa mort, continue de susciter controverses et polémiques.
Pour autant, les personnes interrogées par CheckNews, qu’elles soient plutôt pro ou anti-Dolto, se rejoignent sur un point : il serait erroné d’affirmer que Françoise Dolto défendait la pédophilie.
Pour Manon Pignot, historienne, maîtresse de conférence à l’université de Picardie-Jules-Verne, auteure de 1914-1918 : Françoise Dolto, veuve de guerre à sept ans, cela constituerait même un «contresens historique» : «C’est la première à avoir considéré l’enfant comme une personne et non une chose. Françoise Dolto est une pionnière dans la défense des droits de l’enfant, des intérêts de l’enfant, une pionnière dans l’idée que les enfants sont des personnes dès les premières secondes de l’existence, et pas des choses.»
Annick Ohayon, maîtresse de conférences à l’université Paris-8, spécialisée dans l’histoire de la psychologie et de la psychanalyse en France, rappelle également : «Sa théorie, c’est que l’enfant mène la danse et que père et mère sont impuissants à être de bons parents. Elle a été une des premières à dire que l’enfant est une personne, qu’il a même un désir de naître. Elle a fait un travail formidable sur l’approche du bébé, à qui il faut parler, mais en même temps elle oublie que c’est un être petit, faible, et que les adultes lui doivent protection.»

«Dolto ne connaît rien à la vie sociale»

Sa fille, Catherine Dolto, elle-même psychanalyste, est citée par le Canard enchaîné. A propos de cette fameuse interview de 1979, elle évoque des citations «tirées de leur contexte, dans lesquelles Françoise Dolto parlait de l’inconscient et non du registre conscient». Un argument repris par Manon Pignot, selon qui cette interview dans la revue féministe est le fruit d’un malentendu fondamental. «Il y a un malentendu au sens où la journaliste et la psychanalyste ne parlent pas la même langue. Elles ne mettent pas le même sens derrière les mots. Dolto répond en psychanalyste, du point de vue de la théorie œdipienne ou freudienne. Il y a un décalage entre ses propos et l’indignation de la journaliste car cette dernière attendait une réponse plus sociologique.»
Ce que, de l’avis d’Annick Ohayon, Françoise Dolto n’est pas en mesure de faire. «Ce texte est catastrophique. Il prouve que Dolto ne connaît rien à la vie sociale. On le voit bien quand elle parle des enfants abandonnés de Rio qui sont "heureux". C’est un être de classe, elle ne peut pas comprendre certaines choses. Elle vient d’un milieu avec des bonnes, des préceptrices… même si elle en a souffert ! C’est ça qui est compliqué avec Dolto, c’est un mélange d’idées progressistes et profondément réactionnaires. En ce sens, sa position sur les femmes battues est édifiante. Elle est à la fois bienfaisante et toxique.»
Didier Pleux, psychologue, auteur de Françoise Dolto, la déraison pure, partage cette analyse. Il n’a d’ailleurs jamais caché ses profonds désaccords avec la psychanalyste : «Elle ne défendait pas les adultes pédophiles, mais elle était persuadée que l’enfant était consentant. Dans cette logique, elle oublie les prédateurs. Elle ne se situe pas dans la réalité.»
Ainsi, Pleux et Ohayon estiment que «la psychanalyse ne peut pas être une excuse» à ces propos : «Il y a une complaisance à dire que Dolto a été mal comprise, reprend Ohayon. Elle a été parfois mal comprise, oui, mais elle a aussi dit de sacrées conneries !»
Le débat n’est pas nouveau. En 1977 déjà, Dolto avait été critiquée pour avoir signé une lettre ouverte écrite par Gabriel Matzneff, adressée à la commission de révision du code pénal pour réévaluer certains textes législatifs régissant les rapports entre adultes et mineurs. Dans le contexte de la condamnation, par la cour d’assises des Yvelines, de trois hommes à cinq ans de prison avec sursis (après trois ans de préventive) pour «attentat à la pudeur sans violence sur mineurs de moins de 15 ans», la psychanalyste et les autres signataires réclamaient une modification des textes criminalisant les relations sexuelles avec des mineurs de moins de 15 ans, «dans le sens d’une reconnaissance du droit de l’enfant et de l’adolescent à entretenir des relations avec des personnes de leur choix».
Dans un droit de réponse au journal Minute, Françoise Dolto avait alors clarifié sa position : «J’estime de la plus haute urgence que le parlement se saisisse de cet appel et, avec l’aide de parents, de psychiatres, de psychanalystes, en arrive à une loi concernant, non seulement, les délits sexuels de plus en plus nombreux sur les enfants, mais aussi les moyens de faire connaître cette loi aux enfants et leurs responsabilités sexuelles personnelles dès l’âge de la nubilité.»
Cordialement,

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