Pavel Ok, un musicien de la ville de Kiryat Malakhi [près de la bande de Gaza], est né à Kiev [Ukraine] et a émigré en Israël à l’âge de 8 ans. Comme de nombreux autres immigrants ex-soviétiques, il n’était pas circoncis.
Et jusqu’à la fin de ses années de lycée, il n’avait aucune intention de le devenir. “Le premier dilemme important est survenu vers l’âge de 18 ans, avec les filles, se souvient Ok, qui a maintenant 33 ans. Plusieurs filles ne voulaient pas coucher avec un non circoncis. Je me vois encore raconter en larmes à ma mère qu’une fille avait rompu parce que je n’étais pas circoncis.”

La décision de se faire circoncire vint avec le service militaire. “Mon officier était un religieux. Il a vu que je me cherchais et m’a suggéré de parler avec le rabbin de la base militaire, lequel m’a expliqué combien la brit milah [“alliance par la circoncision”, qui trouve son fondement biblique dans la Genèse] était essentielle, que c’était la porte d’entrée du paradis. Les choses ont commencé à faire sens : les filles, le rabbin, mes amis traditionalistes de Kiryat Malakhi, les affirmations selon lesquelles la circoncision avait des avantages hygiéniques, etc. J’ai alors décidé de franchir le pas.”

Le nombre de circoncis américains en baisse

Ok avait 21 ans. “L’opération elle-même s’est très bien passée. J’ai subi une anesthésie locale et je n’ai rien ressenti. La convalescence fut également assez facile. Pendant les deux premiers jours, j’avais mal quand j’avais eu une érection, mais après une semaine tout fonctionnait normalement.”
À ce moment-là, Ok était loin d’imaginer que l’opération chirurgicale aurait des conséquences plus profondes. “Il m’a fallu quelques années pour comprendre que j’avais perdu quelque chose. Chez un non circoncis, la pointe de l’organe sexuel est recouverte d’une membrane délicate et humide. Sans cette membrane, votre sexe touche constamment vos vêtements et devient moins sensible avec le temps. C’est quelque chose dont les gens qui ont été circoncis à l’âge de huit jours n’ont aucune idée.”
Un homme sur trois dans le monde est circoncis. En Israël et dans le monde musulman, l’écrasante majorité des hommes est circoncise, alors qu’en Europe, en Asie et dans la plupart des pays d’Amérique latine, c’est beaucoup moins courant.
Aux États-Unis, c’est assez courant, même chez les chrétiens, mais cela change : en 1979, selon les Centers for Disease Control and Prevention, 64 % des hommes américains étaient circoncis, alors qu’en 2010 le chiffre n’était plus que de 58 %.

La jouissance affectée négativement

La circoncision nuit-elle fondamentalement au plaisir sexuel, comme l’affirme Pavel Ok ? Un certain nombre d’études ont tenté de répondre à cette question en utilisant des méthodes créatives.
Mais la situation d’Israël est particulière et en fait un laboratoire unique permettant d’aborder directement la question : de nombreux immigrants ex-soviétiques y ont subi la circoncision après être devenus sexuellement actifs, ce qui signifie qu’ils ont une base de comparaison.
Au cours des derniers mois, j’ai parlé à cinquante immigrants qui ont été circoncis uniquement à l’adolescence ou à l’âge adulte et je les ai entendus parler des conséquences de l’opération : 70 % d’entre eux indiquent que leur jouissance a été affectée négativement.

Des orgasmes moins intenses

Dans le passé, les études qui ont examiné le sujet ont abouti à des résultats contradictoires. En 2007, des chercheurs de San Francisco ont examiné les réactions à une pression modérée sur la tête du pénis.
Ils ont constaté que le gland est moins sensible chez les hommes circoncis et ont suggéré qu’une partie du prépuce est la région la plus sensible de l’organe.
Selon une étude ultérieure, fondée sur des questionnaires, les hommes circoncis doivent faire un effort plus important pour jouir, leurs orgasmes sont moins intenses et beaucoup éprouvent des douleurs ou des démangeaisons.

Frictions désagréables pour la femme

En 2011, des chercheurs danois ont tenté de déterminer si les femmes réagissaient différemment lors des relations sexuelles avec des hommes circoncis.
La réponse fut limpide : les partenaires féminines des hommes circoncis ont plus de mal à atteindre l’orgasme et peuvent ressentir de la douleur pendant le rapport sexuel.
Les militants anticirconcision (les “intactivistes”) croient que cette conclusion va de soi, car l’épaisse sécrétion, appelée smegma, qui s’accumule sous le prépuce améliore la lubrification lors de la pénétration.
Parce que chez les hommes circoncis le gland est plus large que la tige du pénis, il recueille une partie des lubrifiants de la partenaire féminine à chaque fois que le pénis recule. Par conséquent, plus les rapports sexuels sont longs, plus les frictions désagréables pour la femme sont importantes.

Pour s’intégrer dans la société israélienne

Beaucoup de ceux qui ont été interviewés pour cet article évoquent une perte progressive de sensibilité.
Dans certains cas, l’opération a causé des dommages graves, voire critiques, à la fois à leur vie sexuelle et à leur capacité à entretenir une relation durable.
Dans d’autres cas, les conséquences négatives de la circoncision sont une frustration liée à l’expérience de l’intégration dans la société israélienne.
Yaakov Zisser, 62 ans, qui avait émigré en Israël mais qui est retourné en Russie après ses études universitaires, a été circoncis à l’âge de 17 ans.

“J’étais extrêmement isolé”

“Quand nous sommes arrivés en Israël, mes parents étaient terrorisés par l’idée de la circoncision. Ma mère, qui est médecin, estimait que si cela n’avait pas été fait au bout de huit jours, cela ne valait pas la peine de le faire maintenant.
“Or nous vivions à Givatayim [une banlieue ashkénaze de Tel-Aviv], et je sentais que je n’étais tout simplement pas en mesure de m’intégrer dans la société hébréophone et laïque. Je me sentais comme un étranger, j’étais extrêmement isolé.
“Un jour, j’ai rencontré un religieux dans un bus qui passait par Bnei Brak [banlieue religieuse de Tel-Aviv de 200 000 habitants] et il m’a convaincu de me rapprocher de la société ultraorthodoxe. J’ai commencé à fréquenter une yeshiva [un séminaire religieux] mais la condition était que je sois circoncis.”

“Vous auriez dû demander au père”

S’adressant à Ha’Aretz par téléphone depuis Saint-Pétersbourg, Zisser, un retraité de l’immobilier et traducteur de formation, se souvient des annonces dans la presse russophone israélienne encourageant les immigrants à se faire circoncire gratuitement.
“Ma mère voyait ces annonces et me mettait en garde. J’ai finalement suivi le rabbin chez un médecin retraité qui a fait l’opération avec anesthésie locale, professionnellement et sans complications.
“L’opération a été un succès, mais ma mère était bouleversée. Cela a également rendu mon père triste : lorsque le rabbin m’a rendu visite pendant ma convalescence, il était très en colère et lui a dit en yiddish : ‘Vous auriez dû demander au père.’

“Le plaisir sexuel avait beaucoup changé”

Les vraies difficultés ont commencé après la convalescence, raconte Zisser. “Lorsque la peau sous le prépuce a été exposée et a commencé à frotter contre mes vêtements, cela m’a fait très mal. Avant d’être circoncis, j’étais sexuellement actif et je pensais que, lorsque je recommencerais à être actif, la sensation serait différente.”
Quelques années plus tard, Zisser a abandonné la religion. “À 23 ans, j’ai recommencé à avoir des relations et j’ai découvert que si le plaisir sexuel avait beaucoup changé, c’était pour le pire. Je pense que la dernière fois que j’ai eu des relations sexuelles avec pénétration, c’était en 2000.
“Chaque fois que je suis sur le point d’avoir des rapports sexuels, je pense à la façon de surmonter la difficulté. Le problème n’est pas seulement dans l’organe sexuel. L’esprit a besoin d’interpréter le traumatisme physique”.

“Honte de dire que j’étais impuissant”

Ce n’est que récemment que Zisser a décidé de parler ouvertement du sujet. “Jusqu’à il n’y a pas longtemps, je n’en avais jamais parlé. J’avais honte de dire que j’étais impuissant. Maintenant que je suis vieux, j’ai décidé de parler ouvertement de mon expérience et de prendre position pour le bien des autres.”
Zisser a canalisé sa détresse pour devenir un militant contre la circoncision, mais des expériences similaires ont conduit d’autres hommes à se retirer socialement.

“Ma circoncision, une sorte de deuil”

Dima (ce n’est pas son vrai nom) est un étudiant de 35 ans qui a été circoncis à 16 ans. “C’était quelques années après notre immigration d’Ukraine, se souvient-il.
“Je suis allé dans une clinique de Ramat Gan [banlieue laïque de Tel-Aviv] avec mon père et ma grand-mère. Il y avait d’autres enfants et adultes russes là-bas, et nous avons tous dû nous allonger sur des tables.
“On aurait dit une chaîne de montage. Personne n’a pensé à nous expliquer ce qui allait se passer, comment la coupe serait effectuée, comme on le fait normalement avant une opération.
“Je me souviens de l’injection douloureuse au-dessus de l’aine, et j’attendais que l’anesthésie prenne effet. Au réveil, j’avais l’impression que la peau était trop tirée. Il y avait quatre personnes qui m’opéraient, et pour eux tout se passait bien.
“Mais ma convalescence a été infernale. Au début, les érections étaient le plus grand cauchemar. Au cours des premières années, je n’ai pas eu trop de problèmes, à part cette cicatrice. Le problème principal est apparu plus tard. Ce n’est pas seulement ce qu’ils enlèvent, c’est aussi ce qui reste.
“La zone exposée frotte sans cesse contre vos vêtements, et avec le temps elle devient plus dure et rétrécit. Il m’a fallu environ dix ans avant de vraiment comprendre. Les gens parlent d’impuissance, mais chez moi les dégâts sont beaucoup plus profonds – dans le corps, dans mon autonomie, mon indépendance, ma masculinité.
“C’est quelque chose qui est toujours avec moi, une sorte de conscience que la vie que j’aurais pu vivre m’a été enlevée. C’est vraiment une sorte de deuil.”

Des répercussions psychiques

Israël est un laboratoire unique en son genre pour évaluer les conséquences de la circoncision.
Le fait que, dans les années 1990, des dizaines de milliers d’hommes aient été circoncis à un âge relativement avancé devrait inciter à lancer un programme de recherche complet et rigoureux sur ce sujet.
En effet, la circoncision effectuée plus tard dans la vie peut avoir des conséquences dramatiques, qui ne peuvent être décrites simplement en termes de nombre de terminaisons nerveuses perdues.
Pour les adolescents ou les hommes qui subissent une intervention chirurgicale dans un endroit aussi intime alors qu’ils sont pleinement conscients, cette procédure apparemment simple est susceptible d’avoir des répercussions psychiques.

“Pas de retour en arrière possible”

Oleg, par exemple, avait 27 ans lorsqu’il a subi une circoncision à la demande de sa future femme. “Toute la situation était assez stressante, dit-il. Mes mains étaient entravées, six membres de l’équipe médicale s’activaient autour de moi, je ne comprenais pas exactement quel était leur rôle et ils se parlaient dans une langue que je ne comprenais pas bien.
“Au stade de la découpe, tout s’est bien passé, je n’ai ressenti qu’un petit pincement. Puis sont venus les points de suture. Jusqu’au troisième point, je ne ressentais rien de spécial, mais au quatrième point, j’ai soudain ressenti cette horrible douleur.
“J’ai crié, j’ai vu le sang gicler et ces gens m’ont attaché les mains. Quelle scène. Mais il n’y avait pas de retour en arrière possible et ils m’ont donc fait une autre injection.”

Changer aussi de patronyme

Un autre leitmotiv dans les récits du groupe est la suggestion par le mohel – l’homme qui effectue la circoncision rituelle – que ceux qui entrent dans l’alliance d’Abraham devraient saisir l’occasion pour changer de patronyme ou au moins ajouter un nom hébreu à leur prénom slave.
La plupart d’entre eux l’ont fait. Semyon est devenu Shimon, Leonid est aujourd’hui Lavi, Genady s’est transformé en Guy, Ilya s’appelle Eli et Igor est devenu Yigal. Seule une minorité a osé se rebeller et refusé de changer de nom.
En 1990, les grands quotidiens israéliens reçurent une photo couleur intitulée “Record du monde”. La légende déclarait que le docteur Cyril Fine, médecin et mohel expérimenté, avait pratiqué 52 circoncisions sur des enfants d’immigrants en une demi-journée.
La campagne de presse avait été organisée par la municipalité de Ramat Gan et le conseil religieux de la ville. Fine a déclaré plus tard que le nombre avait été exagéré et qu’il n’avait pratiqué “que” 43 circoncisions ce jour-là.
En 1996, le directeur du Département des circoncisions du Grand Rabbinat, le rabbin Amir Bergman, estimait qu’entre 60 000 et 70 000 nouveaux immigrants avaient subi une circoncision depuis le début de la décennie.
Et de se vanter : “Certains mois, nous avons circoncis 3 000 Juifs ex-soviétiques. Nous avons travaillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre en mode chaîne de montage. Au début, les gens étaient dirigés vers des institutions publiques, mais quand elles ne pouvaient pas suivre, ils étaient aussi envoyés dans des institutions privées.”

Une obsession nationale

En outre, ce n’était pas seulement le précepte religieux qui entrait en ligne de compte dans cette campagne de circoncision massive. Le ministère des Affaires religieuses déboursait environ 300 dollars pour chaque intervention chirurgicale et, une fois qu’il devint évident que le public cible représentait des dizaines de milliers d’hommes, cela devint un mobile purement financier.
Rien qu’en 1991, le ministère des Affaires religieuses avait investi 15 millions de shekels [4,8 millions d’euros] dans la diffusion de brochures rédigées en russe pour encourager les nouveaux immigrants à se faire circoncire.
La même année, dans le cadre d’un “programme d’intégration spirituelle”, environ 15 000 immigrants ex-soviétiques furent amenés dans des institutions religieuses, des yeshivas, des écoles orthodoxes, etc. Le ministère de l’Immigration et de l’Absorption fut également mis à contribution. Parfois, la circoncision des nouveaux arrivants semblait devenir une obsession nationale.

Circoncision d’immigrants morts

En 1993, Ha’Aretz signalait que la hevra kadisha [société funéraire ultraorthodoxe] pratiquait la circoncision sur les corps d’immigrants décédés. Le reportage suscita un tollé dans l’opinion et l’exigence d’une enquête officielle et indépendante. Sans suite.
Guy Frankovitch, journaliste et traducteur âgé de 20 ans quand il immigra en Israël, vivait à l’époque avec sa mère dans la petite ville de Maalot, en Galilée.
“Alors que nous étions encore dans l’oulpan [atelier d’apprentissage intensif de l’hébreu], des inconnus sont venus nous encourager à faire la brit milah. J’ai accepté sans trop y réfléchir. Je l’ai vécu comme une aventure. Vous devez vous rappeler que dans la grande vague d’immigration du début des années 1990, l’écrasante majorité des immigrants étaient juifs selon la halakha [tradition judaïque], c’est-à-dire que leurs mères étaient juives, et la circoncision semblait être une façon naturelle d’entrer dans le pli du judaïsme.
“C’était également une évidence pour les immigrants religieux. Il y a trente ans, il y avait une atmosphère de rassemblement, avant qu’elle ne soit empoisonnée par tous les stéréotypes sur les immigrants, les effets pervers de l’émigration et la politique identitaire. Le rideau de fer s’était ouvert, les ‘Juifs du silence’ étaient arrivés. C’était presque transcendantal.
“À cette époque, j’étais avant tout un jeune immigrant ex-soviétique. Nous n’étions en Israël que depuis quelques mois, toujours sous le choc, de sorte que refuser de subir une telle opération, qui se faisait en outre sous les auspices des enseignants de l’oulpan, n’était pas vraiment une option.”

Un processus industriel

Pour certains chirurgiens également, ces opérations étaient une aventure en terre inconnue. Ouri Sabah, qui est aujourd’hui mohel en chef de l’unité de conversion du cabinet du Premier ministre, admet que la campagne de circoncision des années 1990 s’est faite dans l’improvisation la plus totale.
“Nous ne savions pas vraiment comment faire face. À l’époque, nous étions le seul pays au monde à pratiquer la circoncision sur des adultes. C’est sur le plan des relations avec les patients que ce fut le plus délicat. Il était financièrement impossible de louer une salle d’opération pour une ou deux interventions.”
Le détenteur du record de circoncisions est sans doute le docteur Pinhas Gonen, de Bnei Brak. “J’ai pratiqué 63 circoncisions en une journée”, se souvient-il non sans fierté. Tire-t-il des conclusions quant à la façon dont les immigrants ont été traités ?
“Écoutez, quand un troupeau arrive, on n’a pas tendance à dorloter l’individu. Lorsque vous le faites en tête-à-tête, vous devez parler, expliquer, vous comporter avec douceur et humanité. À l’époque, ce n’était tout simplement pas une option, vu le nombre de patients. Ce fut vraiment un processus ‘industriel’.”

Comme un accident de la route

Une étude publiée en 1994 dans la revue HaRefua (“Médecine”) est apparemment la seule jamais consacrée en Israël aux adultes subissant la circoncision. Les chercheurs ont examiné 2 857 opérations pratiquées au début des années 1990 à Beersheva et dans ses environs.
Le professeur Gavriel Gurman, l’un des auteurs de cette étude, admet que “les choses auraient pu être organisées différemment. À l’époque, nous faisions trois circoncisions par heure et il n’y avait pas assez de lits. Nous avons donc dû renvoyer les gens chez eux dès que nous avons vu que leur état était stable. Aujourd’hui, je me dis qu’il eût été préférable de les garder sous surveillance.”
Début décembre, à Tel-Aviv. Une soirée d’histoires de circoncisions tardives a été organisée par HaBrigada HaTarbutit [“La Brigade culturelle”], un groupe de jeunes originaires de l’ex-URSS, lesquels se font appeler la “Génération 1,5” et promeuvent la renaissance de leur identité russe.
La scène est sombre, les monologues sont comiques. Une personne décrit une clinique à Bnei Brak, une autre raconte que pendant qu’elle attendait sur la table d’opération, elle a été recrutée pour une campagne pour encourager les autres à subir également l’opération, une troisième compare l’intervention à un accident de la route (“Ils retirent les bandages et vous découvrez qu’à la place de votre Lexus, vous n’avez plus qu’une Hyundai en sinistre total”).

Tabous de la masculinité

Daniel Freidlin, qui a subi la circoncision quand il avait 6 ans, oscille entre histoires drôles et récits d’horreur. Mais la chose la plus intéressante de son monologue n’est pas le récit de la circoncision, mais les questions qui se sont posées ensuite :
“Pourquoi ma partenaire, qui est assise dans le public, n’entend-elle mon histoire que maintenant ? Pourquoi aucun de mes amis n’en a jamais entendu parler ? Pourquoi est-ce ici que je m’exprime pour la première fois ?”
“C’est une expérience traumatique collective que des masses de gens ont subie, mais qui reste taboue, ajoute Mikhaël Litvak. J’ai pas mal d’amis ex-soviétiques et il n’y a aucune conversation sur ce sujet. C’est probablement à cause des tabous de la masculinité et, plus encore, des tabous de la masculinité soviétique, où il faut masquer toute manifestation de vulnérabilité et de faiblesse.
“En Israël, il y a toute une catégorie de population qui, en raison de cette expérience, est toujours aux prises avec des problèmes d’appartenance, d’identité, de valeur personnelle, d’image de soi”.

“Pour devenir israélien, mon corps a été meurtri”

Dima, qui a été circoncis à 16 ans, pense que la terminologie [hébraïque] de la circoncision est critiquable : “Je n’appelle pas ce que j’ai subi une ‘alliance’, parce que je ne crois pas en ce que ce terme signifie. Je n’ai aucun lien avec la religion ou la foi et, pour ce qui me concerne, il n’y avait pas d’alliance avec qui que ce soit.
“Ce terme prétend donner à l’opération une sorte de sens qui l’éloigne de l’opération proprement dite. Je ne me sens certainement pas plus complet, entier, qu’auparavant. C’est même exactement le contraire. Pour devenir israélien, mon corps a été meurtri.”
Pavel Ok, lui aussi, avait besoin de la perspective du temps pour saisir les conséquences de sa circoncision. “Quand j’essayais de décider de la subir ou non, le plaisir sexuel n’entrait pas en compte. Même après avoir remarqué les dégâts, il m’a fallu du temps pour établir la connexion avec la circoncision. Cela est apparu dans des conversations avec une femme qui est aujourd’hui mon épouse et qui est psychologue et sexologue de formation. Soit dit en passant, elle n’est pas juive.
“Quand nous avons commencé à sortir ensemble, elle m’a demandé pourquoi je l’avais fait et je lui ai expliqué. Depuis lors, elle se moque de moi de temps en temps et dit que si je n’avais pas subi cette absurdité, j’éprouverais davantage de plaisir.”
Regrette-t-il sa circoncision ? “Écoutez, j’ai été assez idiot et j’en paie le prix, mais j’essaie de ne pas me torturer l’esprit. Je vois cela comme une leçon de vie. La brit milah est le tatouage, la cicatrice, le rappel le plus puissant et quotidien que vous n’avez pas besoin d’être conformiste ou d’agir en fonction de la pression sociale qui s’exerce autour de vous. C’est une sacrée leçon.”