La députée Christine Labrie a rendu publique la litanie d’insultes reçues sur les réseaux sociaux. Un choc dans un pays qui se vit comme un modèle d’ouverture et de progressisme.
LETTRE DE MONTRÉAL
Mettre les pieds dans le plat en assénant des vérités dérangeantes n’est pas dans les us des Canadiens. C’est peu dire que le récent cri du cœur de femmes politiques, québécoises en particulier, n’est pas passé inaperçu.
Avant même que ne s’ouvre en ce début d’année chez leurs voisins américains le procès d’Harvey Weinstein qui remet à la « une » de l’actualité les affres que subissent les femmes dans certains milieux, elles ont choisi d’exprimer leur ras-le-bol. Ras-le-bol d’être les victimes privilégiées du cyberharcèlement, ras-le-bol des insultes sexistes et misogynes.
Fin novembre 2019, la députée de Québec solidaire (gauche indépendantiste) Christine Labrie jette un pavé dans la mare. Sous les ors du Salon bleu de l’Assemblée nationale de la Belle Province, elle rend publique la litanie d’insultes qu’elle et ses consœurs de son groupe politique ont reçues sur les réseaux sociaux. Elle s’excuse par avance des mots qui vont être prononcés dans cette noble enceinte parlementaire : « pauvre dingue », « quelle conne », « maudite folle », « si j’étais ton fils ou ta fille, j’aurais honte de ma mère », « hey nunuche, allez vous rhabiller ou suicidez-vous ».
Sa gorge se noue à l’énumération des insanités collectées. « C’est difficile, poursuit-elle, mais c’est une réalité qu’il faut entendre, parce que ça se passe ici, au Québec, en ce moment. » Parce qu’elle craint que de telles attaques dissuadent les femmes de se lancer en politique, elle choisit de faire résonner ces mots sales : « Ma façon de répliquer, c’est de ne pas me taire, de ne pas me laisser influencer ou censurer par des personnes qui voudraient qu’on n’occupe pas l’espace public. »
« Va te faire foutre Barbie du climat ! »
Onde de choc dans ce pays qui se vit comme un modèle d’ouverture et de progressisme. Des femmes de tous bords politiques lui apportent leur soutien, une motion visant à dénoncer la cyberintimidation faite aux femmes est adoptée par l’Assemblée du Québec.
Quelques semaines plus tard, la députée fait un pas de plus en portant plainte contre les auteurs de certains de ces messages. Dans la foulée, la ministre québécoise de la culture et de la communication, Nathalie Roy, annonce à son tour qu’elle vient de faire un signalement auprès de la Sûreté du Québec pour des messages haineux reçus sur les réseaux sociaux.
Catherine McKenna aurait, elle, sans doute de quoi écrire un recueil complet, et désespérant, sur ce qu’elle a personnellement subi. Chargée de l’environnement dans le gouvernement Trudeau 1, la ministre canadienne a été la cible de tous les trolls antiféministes et climatosceptiques que compte le pays.
Porte-étendard de l’ambition environnementale du gouvernement, et à ce titre défenseure de la taxe carbone, elle s’est vue affublée par le site d’extrême droite The Rebel du sobriquet de « Barbie du climat ». Une insulte complaisamment relayée par tous ses détracteurs, dont un ancien ministre conservateur. En septembre 2019, alors qu’elle accompagne ses filles au cinéma, un automobiliste toutes vitres ouvertes l’injurie copieusement : « Va te faire foutre “Barbie du climat” ! » L’agression lui vaudra une protection policière rapprochée, mesure extrêmement rare au Canada.
« Double standard »
Il y a quelques jours, Catherine McKenna niait, lors d’un entretien accordé au site La Presse, avoir demandé à Justin Trudeau de changer de portefeuille pour échapper à la curée. Elle préférait ironiser sur le sort réservé à son successeur, Jonathan Wilkinson : « Sera-t-il surnommé le “Ken du climat” ? » Interrogé quelques semaines auparavant pour savoir si être un homme à ce poste-là serait de nature à lui faciliter les choses, l’intéressé avait lui-même reconnu : « J’aimerais vous dire non. Mais au fond, je dirais que oui, probablement. »
La violence qui empoisonne les réseaux sociaux de tous les pays du monde n’épargne cependant pas les hommes politiques canadiens. Pour autant, a-t-on jamais vu un appel au viol lancé contre un élu homme ? Les femmes politiques, elles, ne comptent plus les messages de menace sexuelle à leur encontre.
La maire de Montréal, Valérie Plante, a jugé, elle aussi, utile de sortir du bois. Très discrète jusque-là sur sa qualité de « femme politique », par crainte d’être soupçonnée de vouloir jouer la victime, explique-t-elle, elle profite du premier anniversaire de son élection à l’automne 2019 pour exprimer enfin ce qu’elle a sur le cœur : le traitement politique et médiatique inéquitable dont les femmes sont l’objet. Le « double standard » qu’elles subissent : critiquées pour ce qu’elles font, haïes pour ce qu’elles sont.
Facilités sexistes de la presse
Elle raconte comment aucune bévue ne lui est passée, comment sa tenue est scrutée pour s’en moquer, ses attitudes systématiquement tournées en dérision. Un journal de Montréal a mis à la « une » une photo d’elle riant aux éclats, légendée « pas de quoi rire » pour qualifier son bilan. « Contrairement à un homme, on attend de moi que je sois parfaite. Si je ne coche pas toutes les cases, ça déstabilise les gens », commente-t-elle alors.
Les attaques ne sont pas nouvelles. Il y a un peu plus de cent ans, le journaliste et homme politique québécois Henri Bourassa s’élevait avec vigueur contre le droit de vote des femmes, comparant les futures femmes politiques à des « monstres » ou des « prostituées ». Les trolls n’ont guère étoffé leur vocabulaire, la presse parfois se laisse aller aux facilités sexistes. Ce qui est nouveau, c’est que les Canadiennes sont déterminées à ne plus rien laisser passer.
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