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mardi 15 octobre 2019

Un plan pour la protection de l'enfance mi-fric, mi-flou

Par Anaïs Moran — 


600 nouvelles places en établissement devraient être créées.
600 nouvelles places en établissement devraient être créées. 
Photo Albert Facelly pour Libération

Le secrétaire d’Etat Adrien Taquet a présenté ce lundi sa réforme pour la protection de l’enfance. Dotées de 80 millions d’euros de budget supplémentaires, les mesures annoncées ne sont pas franchement saluées par les acteurs de ce secteur submergé par les difficultés.

Il avait justifié, en juillet, l’ajournement de sa «stratégie nationale» au motif qu’il désirait prendre le temps de «l’élaborer avec l’ensemble des acteurs» concernés. Après six mois d’auditions et d’accumulation de rapports d’experts, le secrétaire d’Etat Adrien Taquet a enfin dévoilé ce lundi l’intégralité de ses mesures pour la «prévention et la protection de l’enfance». Mais force est de constater que la réforme annoncée est loin d’être accueillie avec enthousiasme par les militants et professionnels du secteur. «Ce texte manque cruellement de volonté politique», a réagi Michèle Créoff, vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). «La stratégie n’est qu’un empilement de mesurettes techniques», a aussi protesté Lyes Louffok, ancien enfant placé, devenu travailleur social et membre du CNPE.
«Nous avons cru qu’Adrien Taquet bousculerait les choses. Finalement, la réforme est hyper consensuelle. C’est triste et un peu pathétique. Nous ressentons beaucoup d’amertume», a exprimé de son côté Léo Mathey, président de l’association Repairs 75 !, habilitée à venir en aide aux jeunes en sortie de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Même discours chez Antoine Dulin, vice-président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) : «Ce n’est pas le grand soir de la protection de l’enfance. Est-ce que ces mesures répondent à l’urgence d’agir ? La réponse est non.» Décryptage d’une stratégie vantée comme «inédite» par Adrien Taquet, mais jugée insuffisante par les premiers concernés.

1) Ce qui manque

Nombreuses revendications portées par les acteurs de la protection de l’enfance ne sont pas au rendez-vous. La liste des grandes absentes est longue. Ainsi, le secrétaire d’Etat a finalement abandonné l’idée de fonder une agence indépendante pour contrôler les violences en établissements ; a fait marche arrière sur la création d’un fichier national et centralisé permettant d’identifier les familles d’accueil maltraitantes ; n’a proposé aucune mesure concrète pour accompagner les jeunes majeurs à la sortie de l’ASE ; s’est retiré de la problématique des «taux d’encadrement mal adaptés» qu’il avait lui-même souligné ; n’a pas dit un mot sur la possibilité pour un enfant d’être assisté d’un avocat dans les procédures d’assistances éducatives. Des mesures qui avaient pourtant été «développées et discutées des heures entières lors des séances de travail», regrette Léo Mathey. «C’est bien beau de prôner que la stratégie est le fruit de plusieurs mois de collaboration entre les professionnels et le gouvernement. Mais c’est complètement faux, s’agace Lyes Louffok. Adrien Taquet n’a rien conservé des mesures ambitieuses.»

2) Ce qui est flou

Pour certaines mesures, les intentions sont réelles mais les conditions de leur réalisation trop imprécises. Au sujet des familles d’accueil, le secrétaire d’Etat confirme la nécessité de «repenser» le modèle (un tiers des assistants familiaux aujourd’hui en poste prendront leur retraite d’ici cinq ans) mais ne propose pour l’heure qu’une obscure «mission de négociation» confiée aux directeurs des ressources humaines de chaque département. Idem en ce qui concerne les mineurs non accompagnés : si la stratégie nationale leur promet de «garantir la continuité de parcours et l’accès aux soins une fois majeurs», elle reste très approximative sur la possibilité pour les mineurs en situation irrégulière de pouvoir bénéficier de cette aide.
La confusion demeure également autour de l’ambition de «promouvoir l’adoption simple» des enfants placés (oui, mais quelles sont les modalités ?) et plus généralement du pilotage de la réforme. «Le calendrier de la stratégie est établi jusqu’à 2022. Mais qui va évaluer les conséquences de ces mesures à long terme ? s’interroge Antoine Dulin, du Cese. Le secrétariat d’Etat dit vouloir renforcer la gouvernance nationale de la protection de l’enfance. Mais j’aimerais savoir comment ils vont procéder alors que cette politique publique est décentralisée.»

3) Ce qui est concret

D’abord, 80 millions d’euros supplémentaires vont être posés sur la table pour compléter les 8 milliards investis annuellement pour la protection de l’enfance. Ensuite, vingt nouveaux relais parentaux devraient voir le jour, soit le double de ce qui existe aujourd’hui (ces lieux accueillent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 des enfants dont la famille traverse des difficultés momentanées), 600 nouvelles places en établissement devraient être créées (notamment pour favoriser le maintien des fratries) ainsi que 50 structures spécialisées dans l’accueil des enfants de l’ASE en situation de handicap.
Concernant le volet préventif, le secrétaire d’Etat veut rendre obligatoire les bilans de santé en école maternelle (réalisés aujourd’hui dans 70% des cas) et l’entretien prénatal du quatrième mois (actuellement facultatif et pratiqué par 30% des femmes enceintes). Des avancées qui ne sont pas «conquérantes» mais qui ont le mérite d’avoir «été actées, estime Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles et de l’Enfance. Ce que je peux saluer, c’est la volonté de faire de M. Taquet. Mais ce que je vois, c’est qu’il a perdu ses arbitrages face à son propre gouvernement».

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