Dans ce collège-lycée près de Lyon, les élèves qui sont en rupture avec l’école à cause d’un handicap moteur ou cognitif, de troubles des apprentissages ou de raisons de santé, sont accueillis temporairement pour se remettre sur pied.
Lorsqu’on demande à Hugo, 15 ans, et Manon, 16 ans, de donner une définition du collège-lycée Elie-Vignal, où ils sont scolarisés en classe de 1re, ils cherchent leurs mots. « C’est un établissement normal… mais qui accueille des élèves qui ont des difficultés », tente Manon, arrivée ici en septembre. « C’est une cité scolaire… avec des effectifs réduits et des profs plus… attentifs pour les élèves qui ont besoin d’être accompagnés ou qui ont un handicap », complète Hugo, qui a fait il y a quelques semaines sa deuxième rentrée sur les hauteurs de la colline de Caluire-et-Cuire (Rhône), où cet objet éducatif non identifié est venu se percher il y a trente-cinq ans.
L’établissement est unique en son genre. Pas seulement pour son étrange bâtiment de plain-pied circulaire, imaginé pour faciliter l’accessibilité des élèves, et devant lequel un balai de taxis les y dépose en ce jeudi matin automnal. Il détonne dans le paysage éducatif local et national par la fonction de « sas » qu’il joue pour la centaine de jeunes accueillis. Ils trouvent de quoi se ressourcer après une coupure avec l’école dont l’environnement ne leur est pas toujours, encore, favorable.
Si depuis 2005, l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap dans les établissements ordinaires est théoriquement devenue la norme, celle-ci « avance à pas lent » selon un rapport parlementaire remis le 8 octobre à Jean-Michel Blanquer. Le ministre de l’éducation nationale a fait du sujet l’un des points centraux de la dernière rentrée. Accessibilité limitée des établissements, contenus pédagogiques parfois inadaptés, carences de la formation des enseignants, classes surchargées et, plus généralement, tolérance au handicap aléatoire rendent encore compliquée la scolarité en milieu ordinaire d’élèves en situation de handicap, déjà fragilisés.
Etablissement « passerelle »
A la cité scolaire Elie-Vignal, les élèves souffrent, pêle-mêle, de handicap moteur ou cognitif, de pathologies chroniques nécessitant des hospitalisations, de troubles du comportement ou des apprentissages, de phobie scolaire à la suite de harcèlement… « On est dans ce cocon seulement le temps de se remettre sur pied, commente Manon. On sait qu’il nous faudra nous réadapter ensuite à un lycée normal. » Derrière elle, dans le patio verdoyant central faisant office de cour de récréation intérieure, des écriteaux donnent le ton de la scolarité : « Oser se poser pour mieux se reposer », « convivialité », « joie »…
« Nous sommes un établissement passerelle, résume le chef d’établissement, Bruno Facchi. Notre objectif est de permettre la continuité du parcours scolaire de ces jeunes. De les accueillir en prenant en compte leur fragilité et leur fatigabilité pour qu’ils reprennent des forces, et surtout confiance en eux. » Chaque année, la moitié des élèves quittent l’établissement, et autant y arrivent, avec une moyenne de dix-huit mois sur place.
Ici, les 32 enseignants respectent scrupuleusement les programmes de l’éducation nationale, dont dépend entièrement la cité scolaire. Mais en n’accueillant que des élèves orientés ici par la Maison départementale des personnes handicapées, et en assurant pour eux ce rôle d’établissement alternatif à mi-chemin entre le milieu ordinaire et le milieu spécialisé, Elie Vignal est donc à la fois hors de cette inclusion et en plein dedans.
En déambulant dans l’unique couloir circulaire du bâtiment, on est surpris de voir les portes des salles de la 6e à la terminale ouvertes, même pendant les cours. « Ceux qui en ont besoin peuvent sortir à n’importe quel moment se reposer, ou pour des soins à l’infirmerie », explique Mounire, 13 ans. Sa classe de 4e, comme les autres, n’excède pas 12 élèves. « On a la même quantité de travail qu’ailleurs mais c’est mieux réparti dans la semaine pour ne pas avoir des grosses journées », raconte son camarade Lorenzo. « Les enseignants peuvent prendre le temps de venir nous expliquer individuellement ce qu’on ne comprend pas », complète Chiara, alors que la sonnerie retentit.
« Un regard différent »
A chaque fin de cours, ce sont les enseignants, et pas les élèves, qui changent de classe, comme au primaire. Excepté pour le cours de gymnastique, qui commence dans quelques minutes, et auquel Lorenzo va participer comme Chiara, Mounire et Lina, mais avec son fauteuil roulant.
Au fil de la conversation avec ces quatre jeunes, pour lesquels les handicaps physique ou psychique ne sont pas toujours décelables à première vue, on comprend mieux la « respiration » qu’offre Elie Vignal dans une scolarité ordinaire qui fut parfois difficile. Certes ils ont « découvert le monde du handicap » en arrivant ici, comme dit Lorenzo, mais aussi un regard porté sur eux « différent » de celui dans leur établissement de secteur. « Avant, il y avait des élèves qui n’étaient pas sympas avec moi, ou qui me mettaient de côté. Ici, je me suis fait des copains, on s’aide », explique Chiara, tout sourire.
Ils sont ici des élèves parmi d’autres. Pas les jeunes dont le handicap met parfois mal à l’aise les camarades de leur collège ou lycée de rattachement, et en difficulté pédagogique leurs enseignants. « Lorsqu’ils arrivent, nous les aidons à travailler sur leur socialisation et leur rapport à l’autre, commente Catherine Fontaine, conseillère principale d’éducation. Ces jeunes sont souvent très à l’aise avec les adultes, qu’ils ont beaucoup côtoyés, notamment parmi les soignants, mais c’est parfois moins facile avec ceux de leur âge. »
Travail collectif
Malgré la loi de 2005 sur le handicap, les conditions d’exercice et le manque de formation au handicap des enseignants français peuvent encore parfois freiner leur investissement au service de l’inclusion scolaire dans d’autres établissements. A Caluire, ces derniers sont recrutés sur profil et sont tous titulaires – ou en voie de l’être – du certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive.
Mais c’est surtout « le travail collectif, au-delà de nos disciplines et de nos métiers, qui est l’une des principales conditions pour que ça marche », commente Nathalie Duponchel, professeure de lettres. Comme pour les autres enseignants, son service est partagé entre la cité scolaire et l’accompagnement de quelque 1 500 élèves hospitalisés dans la métropole lyonnaise. Une mission pour « éviter, là encore, les ruptures des jeunes avec l’école », complète sa collègue Laurence Bossy.
Toutes deux apportent en plus leur expertise d’enseignantes spécialisées au sein de l’équipe pluridisciplinaire du Centre de référence sur les troubles spécifiques des apprentissages des Hospices civils de Lyon. « C’est un autre de ces “espaces d’inter-métiers” qui favorise l’inclusion, commente Laurence Bossy, reprenant un concept développé par le sociologue Serge Thomazet. Car l’inclusion scolaire nécessite de maintenir des échanges permanents entre le jeune, les enseignants, les soignants, les accompagnants, les parents, etc. » Un travail collectif qui ne laisse pas les familles à la porte de l’école et que le milieu ordinaire peine parfois à mettre en œuvre.
« Favoriser l’autonomie »
Au même moment, des enseignants, des accompagnants, des soignants extérieurs, la conseillère principale d’éducation et l’infirmière sont réunis pour discuter d’un élève. Dans ces réunions, la voix des 13 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH, ex-AVS) est plus écoutée qu’ailleurs. « Ici, nous sommes un peu des éducateurs scolaires », résume Salomé Prudot, l’une d’entre eux, afin d’embrasser la diversité de ses missions : accompagnement des élèves dans leur quotidien, leurs apprentissages, leur vie sociale avec les autres jeunes, etc.
A Elie-Vignal, les AESH ne suivent pas un seul jeune en particulier. Une mutualisation mise en place pour éviter « toute fusion » avec « son » élève et « favoriser l’autonomie » en évitant, par exemple, que l’accompagnant ne finisse par faire à sa place les exercices. Là où, dans les établissements scolaires, les auxiliaires individuels ont longtemps été la norme. Du moins jusqu’à la mise en place, en 2019, des pôles inclusifs d’accompagnement localisés qui prévoient d’accroître la mobilité des accompagnants au sein des établissements.
Sur ce sujet, Elie-Vignal a donc aussi été précurseur. D’où le fait que ses personnels sont souvent des ressources pour leurs homologues des établissements ordinaires. Soit lorsque arrive pour les élèves le moment toujours angoissant de revenir au lycée « normal ». Régulièrement, les enseignants ou AESH se déplacent pour rencontrer l’équipe éducative et transmettre quelques bonnes pratiques.
Soit dans le cadre des formations que leur permet aujourd’hui de donner à l’extérieur leur expérience singulière dans cette cité scolaire. Un établissement où le cadre spatio-temporel est réellement aménagé pour inclure ces jeunes, où les frontières physiques, professionnelles ou organisationnelles que l’on voit ailleurs, et qui freinent l’inclusion, s’estompent pour s’adapter aux difficultés des élèves. Et ainsi donner corps, peut-être plus qu’ailleurs, au concept d’inclusion scolaire.
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