Rassemblement pro-PMA place de la République à Paris, le 6 octobre. Photo Lucile Boiron
Examiné depuis trois semaines par les députés, le texte doit être voté ce mardi. Retour sur la stratégie du gouvernement, qui a avancé à pas feutrés pour faire adopter la PMA pour toutes. Quitte à éclipser d’autres mesures.
Trente-quatre articles et quatre-vingts heures de débats dans l’hémicycle pour un texte qui convoque philosophie, science, société, intime et politique, mobilise la raison, le cœur, les tripes… En couveuse depuis les états généraux de la bioéthique de 2018, le projet de révision des lois de bioéthique doit être voté, en première lecture, ce mardi, très probablement à une large majorité des députés. Promesse de campagne du candidat Macron, la PMA pour toutes a pris l’essentiel de la lumière, éclipsant d’autres sujets nettement plus délicats (diagnostic préimplantatoire, recherche sur les cellules-souches embryonnaires) ou plus consensuels (dons croisés d’organes, greffes fécales). Retour en trois lettres sur ce débat pas comme les autres.
P comme prudent
Précautionneux sur la forme, à tâtons sur le fond. Le trio gouvernemental formé par Agnès Buzyn (Santé), Nicole Belloubet (Justice) et Frédérique Vidal (Recherche) a sans cesse veillé à éviter les débordements, avec moult précautions oratoires pour apaiser les esprits qui s’échauffent - «toutes les positions sont respectables», «personne ne peut prétendre détenir la vérité absolue», a-t-on ménagé dans la majorité. «Il n’y a pas d’un côté des tenants de l’ordre moral, qui seraient les partisans rétrogrades d’une société figée, et de l’autre des aventuriers imprudents ou des apprentis sorciers», a nuancé Agnès Buzyn, accrochée à sa stratégie du juste milieu. Quitte à jurer ses grands dieux que la loi bioéthique «n’est pas une loi d’égalité et de non-discrimination, même si l’égalité peut être une conséquence des décisions que nous prenons». Que de circonvolutions pour tenter de n’irriter personne…
En face, pourtant, la petite bande des opposants les plus acharnés (chez LR, Xavier Breton, Patrick Hetzel, Marc Le Fur, Thibault Bazin, Annie Genevard, ainsi que l’ex-LREM Agnès Thill ou encore l’élue d’extrême droite Emmanuelle Ménard) ne s’est pas privée d’entonner la complainte de «l’effacement du père» et de la pulvérisation d’une prétendue vraie famille fondée sur le sacro-saint «lien biologique». Ainsi de Patrick Hetzel qui s’est affolé de ce «bouleversement du mode de filiation inédit dans l’histoire de l’humanité» ou d’Emmanuelle Ménard, qui a accusé : «Vous l’inscrivez dans la loi : exit les pères !»
Les nerfs à toute épreuve, Buzyn a voulu banaliser sa PMA pour toutes : «Nous ne sommes pas face à un changement de civilisation, ces familles existent, les femmes font déjà ce choix.» Tout en restant ferme sur ses convictions : «En rien un donneur de gamètes n’est un père, c’est un donneur de gamètes.»
Il y a bien eu quelques moments musclés, comme lorsque Richard Ferrand, au perchoir de l’Assemblée nationale, a refusé à la droite de recompter un vote très serré aux dépens des opposants sur un amendement fixant comme objectif de la PMA de «répondre à un projet parental», mais la plupart des empoignades sont restées dans le hors-champ des suspensions de séance. «Tout le monde a pu s’entendre, s’écouter. Le gouvernement a abordé cela avec prudence pour ne pas se laisser dépasser par la science et pour éviter de créer des conflits dans la société», se félicite le président du groupe Modem, Patrick Mignola. Coresponsable du projet de loi pour les députés LREM, Aurore Bergé invoque une autre raison de légiférer la main tremblante sur ces sujets : «En matière de bioéthique, on ne peut pas faire marche arrière. Ce n’est pas comme lorsqu’on change un taux de fiscalité. Les majorités qui nous suivront ne reviendront pas sur ce que nous avons voté. Voilà pourquoi nous ne sommes pas sortis de cette ligne de crête.»
Au-delà du ton feutré, le gouvernement avait, il est vrai, livré une copie délestée des points les plus inflammables. Pour mieux faire voter la PMA sans encombre, le calcul visait à ne pas trop charger le projet de loi. Exit l’insémination post-mortem, l’extension du diagnostic préimplantatoire (DPI, recherche d’une anomalie génétique grave chez un embryon avant de l’implanter dans l’utérus d’une femme ayant recours à une PMA) en cas de fécondation in vitro, sans parler du vade retro sur la gestation pour autrui. «Progressistes sur la PMA, conservateurs sur le reste», résume, ironique, un député LREM. Autant de bombinettes qui sont donc revenues par la fenêtre…
M comme mouvant
En effet, deux logiques s’entrechoquent : la volonté du gouvernement de s’en tenir à sa version, jugée équilibrée, et la liberté de vote accordée exceptionnellement par le groupe LREM à ses ouailles. Dès l’été 2017, le tout nouveau groupe, strict sur les bords, s’était en effet fixé pour règlement une «discipline de vote, hormis sur les questions d’éthique». Certains - qui, une fois n’est pas coutume, ont eu du temps pour travailler sur le texte en amont - y ont donc vu la possibilité de faire émerger leurs propres propositions. A l’image de Jean-Louis Touraine, auteur d’un rapport parlementaire sur la bioéthique début 2019, bien plus épris de libertés que le projet de loi qui vient d’être débattu. C’est par lui, entre-temps devenu l’un des corapporteurs, qu’a déboulé le plus polémique des 2 500 amendements examinés en séance publique. Avec treize autres de ses collègues, l’élu LREM a tenté d’ouvrir la porte à une reconnaissance automatique (transcription des jugements) de la filiation d’enfants nés d’une GPA dans un pays étranger où la pratique est autorisée (certains Etats américains ou provinces canadiennes). «GPA», trois lettres à ne surtout pas prononcer sous peine d’entendre s’épouvanter la droite, convaincue que l’autorisation de recourir à une mère porteuse sera la prochaine étape. Adopté à la surprise générale et à la faveur d’une nuit dépeuplée, l’amendement a aussi sacrément inquiété le gouvernement qui s’est empressé de demander un second vote. Ce qui fut fait avec succès. A la poubelle, l’amendement Touraine. Et une liberté de vote, certes, mais sous contrôle…
Les députés ont pu ouvrir le texte à quelques (rares) dispositions qui n’étaient pas prévues au départ, comme sur la situation des enfants intersexués (dotés de caractéristiques sexuelles féminines et masculines à la naissance), pour permettre leur meilleure prise en charge, informer les familles et les orienter vers des équipes spécialisées. Mais de nombreuses autres tentatives ont été retoquées : PMA pour les hommes transgenres, insémination post-mortem, technique Ropa (dans un couple de femmes, l’une peut recevoir les ovocytes de l’autre), extension du diagnostic préimplantatoire, etc. «Même si l’on n’a pas obtenu grand-chose, on a réussi à amener ces questions dans le débat public, se console Laurence Vanceunebrock-Mialon, l’une des élus LREM les plus allants. Cela aura au moins eu une valeur éducative sur ces situations qui font partie de la société.»
Des questions qui ont souvent donné le vertige aux députés, l’échange forgeant parfois des convictions en direct. «Sur certains sujets, comme le DPI, il n’était plus question de consignes, chacun a voté avec son ventre», raconte Jean-François Eliaou, corapporteur LREM. Conséquence : il a fallu naviguer à vue, sans pouvoir prévoir sur quelles voix compter. Sur l’implantation d’embryons post-mortem (après la mort du conjoint), le gouvernement - qui y était opposé - avait ainsi face à lui un groupe LREM extrêmement partagé (34 voix pour et 34 voix contre) mais a pu compter sur les voix de la droite pour faire trébucher l’amendement… porté (encore) par Jean-Louis Touraine.
Parfois, les députés de gauche sont venus en renfort de LREM pour soutenir «une loi de progrès» après «des siècles d’histoire patriarcale», dixit Clémentine Autain (LFI). De façon générale, les convergences ont fluctué sur les bancs. Avec des députés d’accord sur une disposition et divergeant sur la suivante… Du sable mouvant sous les pieds des ministres et des rapporteurs.
A comme adopté
Que se passera-t-il ce mardi lors du vote solennel du texte ? Misons sur une adoption avec joie et applaudissements, voire petites larmes d’émotion. Si le gouvernement a choisi de jouer profil bas, il a aussi conduit sa réforme sans mégoter. On a pu craindre un temps que les femmes seules soient exclues de la PMA. Elles sont bien là aux côtés des couples d’homosexuelles. Et oui, pour les nouvelles postulantes, la PMA sera bien remboursée par la Sécurité sociale. Et oui, les femmes vont pouvoir retarder leur implacable horloge biologique en congelant leurs ovocytes. Et oui, les enfants nés grâce à un donneur de sperme auront, s’ils le souhaitent, à leur majorité, un accès à leur origine. Les sauts sont de taille.
Comme le confiait Nicole Belloubet à Libération , «si demain nous ouvrons la PMA, avec ou sans envolée lyrique dans l’hémicycle, on aura fait un pas et c’est cela qui est important». En séance, lorsqu’elle a présenté le régime d’établissement de la filiation pour les couples de lesbiennes, la garde des Sceaux a aussi vanté une «révolution tranquille» : soit une reconnaissance conjointe anticipée devant notaire avant la naissance de l’enfant, qui met les deux mères à égalité. Une partie des associations auraient préféré un mode d’établissement de la filiation totalement à l’identique du système en vigueur pour les hétéros. Mais le pas est franchi, n’en déplaise à ceux qui, au Sénat où le texte doit maintenant être débattu et dans les rangs de «la Manif pour tous», vont continuer à s’arracher les cheveux sur l’offense faite aux pères. «On se souviendra de 2019 et de la PMA pour toutes les femmes, cela marquera l’histoire», parie Jean-François Eliaou. «C’est extraordinaire de participer à ça, de penser à ces enfants qui vont naître sans les tracasseries imposées jusqu’alors à leurs mères», ajoute Laurence Vanceunebrock-Mialon. Mère de deux filles nées par PMA, elle a en tête le chemin parcouru, depuis 2013, lorsque, loin alors de la vie parlementaire, elle s’agaçait devant sa télé en voyant les défilés de la Manif pour tous contre la loi Taubira sur le mariage pour les couples homos.
«Taubira», une sorte de contre-modèle pour les ministres portant le texte et la majorité qui jugeaient trop clivante la méthode de l’ex-garde des Sceaux. C’est oublier un peu vite que le mariage pour tous a été le tremplin de cette future loi et qu’elle lui a grandement préparé le terrain dans la société.
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