blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

jeudi 17 octobre 2019

Jeremy Rifkin : « La survie de notre espèce dépend de la transformation de nos modes de production

Pour l’économiste américain, dont le nouveau livre « Le New Deal vert mondial » sort mercredi, les marchés seront les alliés de la transition énergétique.
Propos recueillis par   Publié le 16 octobre 2019
L’économiste américain Jeremy Rifkin, à Rome, le 24 mai 2016.
L’économiste américain Jeremy Rifkin, à Rome, le 24 mai 2016. SAMANTHA ZUCCHI / INSIDE / PANORAMIC
Alors que l’accélération du réchauffement climatique incite au pessimisme, il est encore possible d’éviter le pire. Dans son nouvel ouvrage publié le 16 octobre, Le New Deal vert mondial (Les Liens qui libèrent, 304 pages, 21,80 euros), le célèbre économiste américain Jeremy Rifkin décrit comment construire en quelques années une société fonctionnant à 100 % grâce aux énergies renouvelables. A condition que les gouvernements soutiennent plus activement la transition…

Votre nouvel ouvrage affirme que la civilisation fondée sur les énergies fossiles va s’effondrer d’ici à 2028. Pourquoi cette date ?

Nous sommes à l’aube d’une transformation majeure au sein de nos infrastructures, relevant de la « destruction créatrice » décrite par l’économiste Joseph Schumpeter [1883-1950]. Beaucoup n’en ont pas pris encore la mesure, car les énergies solaires et éoliennes ne comptaient que pour 3 % de la capacité énergétique mondiale en 2017. C’est encore peu au regard des énergies fossiles, mais c’est là que se situe désormais la plus forte croissance de la demande, attirant de plus en plus d’investisseurs.
Résultat : ce secteur va grandir jusqu’à atteindre le point de bascule où la transition sera enclenchée pour de bon, marquant l’effondrement de la civilisation fossile, que les investisseurs délaisseront alors en nombre.
Selon Carbon Tracker Initiative, un think tank britannique, ce point de bascule sera atteint lorsque 14 % de l’électricité sera fournie par le soleil et le vent. L’Europe y est déjà. Au niveau mondial, nous devrions l’atteindre autour de 2028.

N’est-ce pas optimiste de penser que les marchés, très imparfaits, porteront cette transition énergétique ?

Je ne pensais pas le dire un jour, mais dans ce cas, je suis convaincu que les marchés seront en effet les alliés de la transition énergétique.
La question est de savoir d’où viendra l’argent qui financera les investissements nécessaires à ce « new deal vert mondial ». La source proviendra, en grande partie, des fonds de pension, qui gèrent l’épargne-retraite de millions de travailleurs dans le monde. Ils pèsent aujourd’hui plus de 37 000 milliards d’euros, dont 22 300 milliards pour les seuls Américains.
Or, ces investisseurs de long terme ont déjà commencé à se détourner des industries fossiles pour miser sur les énergies renouvelables. C’est un levier de transformation et de financement puissant.

Ne sous-estimez-vous pas la résistance des lobbys, sans parler de celle des chefs d’Etat climatosceptiques, comme le président américain Donald Trump ?

C’est un véritable sujet. Certaines industries, comme les technologies de l’information, les transports, ont commencé à se détourner des énergies fossiles. Mais de nombreuses autres, qui en dépendent indirectement, comme la pharmacie ou la chimie, risquent d’enregistrer des pertes énormes liées aux « actifs bloqués », à savoir des actifs qui seront trop vite obsolètes : pipelines condamnés à être abandonnés, centres de stockage, stations-service vieilles générations…
En 2015, la banque Citigroup a évalué le montant de ces « actifs bloqués » à 100 000 milliards de dollars [90 900 milliards d’euros]. Ces pertes potentielles engendreront des résistances.
Ce sera l’un des aspects de l’effondrement de la civilisation fossile que l’on ne pourra pas éviter. Tout l’enjeu est de lancer le « new deal » vert dès maintenant, afin de bâtir les infrastructures soutenant cette transition énergétique avant l’effondrement. Sinon, nous plongerons dans les abysses.

En quoi ce nouveau modèle énergétique sera-t-il facilité par la troisième révolution industrielle qui, selon vous, est sur le point d’advenir ?

Cette révolution est déjà en cours dans la communication, la mobilité et la production énergétique, et elle va profondément transformer le capitalisme. Grâce au solaire et à l’éolien, il est désormais possible de produire de l’électricité à l’échelle d’un immeuble ou d’un quartier. L’imprimante 3D va transformer la production, qui sera bien plus décentralisée. Le big data et les objets connectés permettront de connaître et de répartir les besoins en énergie en temps direct.
Le business model des entreprises devra évoluer. Ainsi, le rôle des compagnies d’électricité ne sera plus de fournir du courant, mais de gérer les informations et les flux de données permettant les échanges d’électricité entre les petites unités de production délocalisées et les consommateurs. Certaines commencent à le faire.

Bâtir de telles infrastructures nécessitera des investissements considérables. Peut-on compter sur le seul marché pour les financer ?

Non, et il est essentiel que ces infrastructures appartiennent au domaine public. Aujourd’hui, des centaines de villes et quartiers pilotes en Europe testent l’une ou l’autre des technologies favorisant l’autonomie énergétique.
Comment passer à une échelle supérieure, susceptible d’attirer des investisseurs de long terme ? Les Etats ont ici un rôle à jouer, en profitant des taux bas pour investir, ou bien en réorientant une partie de leur budget vers de tels projets.
En France, le gouvernement pourrait s’appuyer sur un système national de banques vertes. Celles-ci pourraient émettre des obligations vertes susceptibles d’être achetées par les fonds de pension, par exemple, et destinées à financer la construction de ces infrastructures, pilotée par les régions.

Un pilotage à l’échelon national n’est-il pas plus pertinent ?

L’Etat devra fixer le cadre réglementaire et les incitations aidant les régions dans cette transition. Mais celles-ci ont une meilleure connaissance du territoire permettant d’identifier les besoins. L’une des leçons de l’expérience que mon équipe et moi menons dans les Hauts-de-France depuis plusieurs années, avec le conseil régional et la chambre de commerce, est que la transition écologique et sociale ne peut fonctionner que si tous les acteurs locaux – élus, entreprises, associations, citoyens – sont impliqués. Nous les avons réunis au sein d’assemblées de pairs, consultées régulièrement et suivant la mise en place des projets. Cela fonctionne, et cela peut être reproduit ailleurs.
Face aux désastres climatiques à répétition qui nous attendent, chaque région devra développer sa résilience, afin d’être en mesure de disposer de sa propre alimentation électrique en cas de catastrophe nationale – ou même, de cyberattaque sur le réseau global d’électricité. Une telle résilience sera facilitée par la production d’énergie décentralisée. L’Etat, lui, devra jouer un rôle de coordinateur. Un tel modèle sera bien sûr plus facile à mettre en place dans les pays fédéraux comme l’Allemagne. Moins dans les nations centralisées telle que la France.

Face à la vitesse du changement climatique, n’est-il pas déjà trop tard ?

Aux Etats-Unis, il a fallu trente ans pour bâtir l’infrastructure de base de la première révolution industrielle – essentiellement le chemin de fer –, entre 1860 et 1890. Puis il a fallu vingt-cinq ans, entre 1908 et 1933, pour bâtir la seconde – en particulier le réseau électrique. Si l’on s’y prend dès maintenant, nous pouvons bâtir l’infrastructure nécessaire à la troisième révolution industrielle aussi rapidement.

La montée des tensions géopolitiques ne risque-t-elle pas de reléguer ces priorités au second plan ?

C’est l’angoisse avec laquelle je me lève chaque matin. Mais nous n’avons pas le choix : si nous ne transformons pas nos modes de production de façon radicale dès maintenant, la survie de notre espèce est en jeu.
Le mouvement des jeunes [Fridays for Future] nés autour de Greta Thunberg [militante environnementaliste suédoise] me donne de l’espoir : nous assistons à la première révolte d’ampleur planétaire.
Cette génération est la première à être consciente que chacun de nos actes, notamment de consommation, à une conséquence sur le reste du globe. C’est puissant. Mais je m’interroge : comment ce mouvement passera-t-il du rôle de prophète et de contestataire à celui d’acteur ? Mon espoir est qu’il investisse son énergie au niveau régional, dans les assemblées de pairs qui aideront à bâtir la transition énergétique.

Aucun commentaire: