- PUBLIÉ LE 19/10/2019
Crédit photo : S. Toubon
Qui sont vraiment les hommes et les femmes qui se cachent derrière leur blouse blanche ? Stéphanie Fugain a tenté de répondre à cette question dans un livre intitulé « Derrière la blouse blanche », paru au mois de septembre (Éditions Flammarion).
L'ex-femme du chanteur Michel Fugain a connu l'hôpital en 2002, lorsque sa fille Laurette, atteinte d'une leucémie, a succombé après 11 mois de combat contre cette maladie. Après cette épreuve, elle a créé l'association « Laurette Fugain » afin de financer la lutte contre les leucémies. À la tête de cette association, elle a fréquenté le milieu de la recherche médicale et le monde hospitalier pendant près de dix-sept ans. À travers ce livre, Stéphanie Fugain rend hommage aux médecins et aux soignants qu'elle a côtoyés durant cette période.
Hématologue, pneumologue réanimateur, pédiatre, neurologue, urgentiste, douze praticiens hospitaliers se sont livrés à cœur ouvert dans une série d’entretiens retranscrits sur près de 300 pages. « On les dit souvent distants voire hautains, on les dit incompréhensibles dans leurs explications », écrit Stéphanie Fugain. Pourtant, ce portrait du médecin froid, voire brutal, s’estompe au fil des témoignages. « Ce qui les anime, c’est l’envie profonde de guérir leurs frères. Pour eux, soigner c’est écouter, accompagner », commente l’auteure.
« Il y a des médecins qui ne sont pas faits pour côtoyer les malades »
Le livre n’est pas pour autant complaisant avec la profession. Certains médecins se montrent hautains, froids, à la limite de la brutalité envers leurs patients, reconnaissent les interviewés. « Il y a de bons médecins qui ne sont pas faits pour côtoyer les malades », témoigne le Dr Emmanuel Rafoux, hématologue à l’hôpital Saint-Denis. « Il y a aussi des médecins qui se croient sortis de la cuisse de Jupiter et qui affichent en permanence un air supérieur », renchérit le Dr Anne Zubicki, anesthésiste-réanimateur à la clinique Ambroise-Paré de Neuilly-sur-Seine (92).
« Cette sensibilité, cet altruisme, vous l’avez ou vous ne l’avez pas », estime le Dr Nathalie Karsenti, neurologue et proche de la famille de Stéphanie Fugain. Pour cette praticienne, la question du manque d’empathie se pose dès la sélection des étudiants en première année de médecine. « Le problème c’est qu’on nous juge sur une technique, une capacité d’apprendre, pas sur un plan humain », explique-t-elle. Le Pr Régis Peffault de Latour, hématologue à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP) va dans le même sens : « Les études ne préparent pas au rapport psychologique avec les patients. On apprend sur le terrain […]. » Avec des limites… L’empathie, on l’a, ou on ne l’a pas, estime le professeur; alors, « si un médecin se sent incapable d’apporter du réconfort à ses patients, autant changer de voie ».
« Se montrer froid, distant, expéditif pour ne pas souffrir, c’est inadmissible »
Le rapport au malade est parfois vécu difficilement par les praticiens. Confrontés à la souffrance quotidiennement, ils sont tentés de s'abriter derrière une carapace. « C’est toujours compliqué d’avoir à faire des annonces de mauvaise nouvelle. Ça ne s’apprend pas dans les manuels de médecine, c’est l’expérience qui vous rode à l’exercice », témoigne le Pr Gérard Saucier, chef du service d‘hématologie-greffe de l’hôpital Saint-Louis (AP-HP).
« Un médecin doit éprouver de l’empathie sans se laisser démolir », estime le Dr Anne Zubicki. Le curseur est parfois difficile à placer. Certains professionnels s’abritent derrière un verbiage, une posture, pour se protéger. Ils « se retranchent derrière un visage fermé en restant le plus technique possible pour éviter de trop s’attacher », justifie le Pr Régis Peffault de Latour.
Le Pr Jean-Hugues Dalle, pédiatre (hôpital Robert-Debré, AP-HP) fixe cependant des limites : « S’il est normal qu’un médecin se protège un tant soit peu, il ne doit pas le faire au détriment de ses patients. Se montrer froid, distant, expéditif pour ne pas souffrir, c’est inadmissible. »
Tous ces praticiens témoignent de leur profond attachement aux patients, même s’il arrive que « les personnalités ne matchent pas », note le Dr Nathalie Karsenti. « Il y a beaucoup de malades qui restent dans ma mémoire », confie le Pr Éliane Gluckman, qui a dirigé jusqu’en 2005 le service d’hématologie, greffe de moelle, à l’hôpital Saint-Louis.
« Toutes ces rencontres, ces retrouvailles ont été de magnifiques découvertes, conclut Stéphanie Fugain. Je ne doutais pas qu’il y ait chez les médecins, les soignants, les scientifiques une belle humanité, un désir de proximité, mais je ne l’imaginais pas à ce point ! »
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