A Glasgow, en 2012. Photo Jeff J. Mitchell. Getty Images. AFP
La ville écossaise est l’une des plus touchées du Royaume-Uni par la misère infantile, selon un rapport publié fin juillet. Le système défaillant des allocations est notamment pointé du doigt.
Il est à la une des journaux presque quotidiennement. Elle ne l’est plus. Le Brexit a pris toute la place dans la politique britannique et dans les médias, laissant parfois oublier que la vie quotidienne continue pour ceux qui sont loin de Westminster et de ses guéguerres politiques. Ceux qui vivent avec elle : la pauvreté.
Un rapport publié fin juillet révèle que 14,3 millions de personnes au Royaume-Uni vivent dans la pauvreté, dont 4,5 millions dans des situations «extrêmes», soit avec moins de la moitié du seuil nécessaire pour se nourrir. Parmi les populations les plus touchées : les enfants. Dans le pays, plus d’un enfant sur quatre vit dans la pauvreté et les chiffres ont plutôt tendance à augmenter.
En Ecosse, Glasgow fait partie des lieux les plus concernés avec 34 % de sa population infantile vivant dans la précarité. Dans certains quartiers de la ville, ce sont près de 60 % des enfants qui sont touchés. Et il suffit d’un petit tour en voiture en périphérie du centre-ville pour s’en rendre compte. Peu à peu, les bâtiments de style victorien de la ville et ses touristes aoûtiens laissent la place à des routes plus larges. Le chauffeur de taxi, moins à l’aise, demande pourquoi on se rend dans ce quartier-là. Car selon lui, «ici, c’est un endroit où les gens n’ont pas beaucoup d’ambitions dans la vie».
Le fléau des addictions
Ce quartier, c’est Possilpark, dans le nord de Glasgow. Une zone classée l’an dernier comme l’une des plus défavorisées du Royaume-Uni par une étude de l’université de Liverpool. Au bout de la rue principale où se tiennent la plupart des petits commerces, on trouve une étendue d’herbe et un bâtiment un peu décrépi, le Possilpoint Community Center. Ce jour-là, les couloirs du centre sont vides et l’ambiance est plutôt calme. Le programme Holiday Hunger («la faim des vacances») vient de se terminer. L’initiative financée par la municipalité a pour but de s’assurer que les petits Glaswégiens aient à manger dans la journée. Pendant la pause estivale, il n’y a plus de cantine et certaines familles n’ont pas les moyens de nourrir leurs enfants. Mais la rentrée a lieu le lendemain et les seules traces de l’agitation de l’été sont visibles sur un panneau de papier, où la centaine d’enfants accueillis pendant six semaines ont plaqué leurs empreintes de main de toutes les couleurs.
Frank Law travaille pour l’association Young People’s Futures qui s’occupe des jeunes de trois quartiers du nord de Glasgow. L’homme d’une cinquantaine d’années aux bras tatoués et à l’accent écossais marqué s’occupe du programme depuis dix ans. Pour la seconde fois cet été, l’association a participé au Holiday Hunger, distribuant petit-déjeuner, déjeuner et goûter à tous ceux qui passent la porte du centre, «pour être sûr qu’ils aient au moins un repas chaud par jour», explique Frank. Ici, la pauvreté infantile est liée à un autre fléau, celui des addictions. Un cauchemar que connaît bien Frank Law et qui l’a poussé à se reconvertir dans le social après une carrière dans le bâtiment. Ancien accro aux drogues et à l’alcool, il a été interné quatre fois en hôpital psychiatrique avant d’aller en cure de désintoxication. «Je suis passé par là, je comprends les addictions et les problèmes de santé mentale donc je veux aider les autres à faire les bons choix et à sortir du tunnel», explique-t-il.
Le problème des drogues est particulièrement grave en Ecosse. D’après les derniers chiffres officiels, il s’agit du pays avec le taux de décès liés aux drogues le plus élevé en Europe. «A 9 ou 10 ans, les enfants ici n’aspirent pas à aller à la fac mais à devenir dealer. Les parents, eux, font comme si de rien n’était parce qu’ils consomment les produits que vendent leurs enfants.» Selon Frank, les autorités prennent en charge les problèmes trop tard, seulement après coup, une fois qu’il y a eu une crise et qu’un enfant doit par exemple être placé en famille d’accueil.
Soupes populaires
C’est ce qui est arrivé à Pamela. Il y a trois ans, son fils lui a été retiré car elle était accro aux drogues. «Quand j’ai perdu mon fils, je n’ai pas pu gérer ça, j’avais le cœur brisé donc j’ai juste compensé en prenant plus de cachets, j’ai perdu toute notion de temps. Je ne veux jamais retourner à ça, c’est juste horrible.» Pamela décide donc de quitter Aberdeen et de venir s’installer à Glasgow, où elle reçoit de l’aide et commence une cure de désintoxication. Depuis, les visites auprès de son fils se rapprochent de plus en plus. Elle peut maintenant le voir seule et aller se balader avec lui pour une journée entière toutes les deux semaines. La prochaine étape est de travailler, si possible au Possilpoint Community Center, auprès de Frank qui l’a aidée à s’en sortir. Si Pamela est consciente du chemin parcouru et de la chance qu’elle a su saisir, elle réalise que la précarité est partout. «Je vois bien avec mes voisins, la façon dont ils sont vêtus, je vois qu’ils ont faim. Ici les enfants peuvent avoir accès à des activités qu’ils ne peuvent pas faire à la maison et juste être écoutés.»
Le travail de Frank Law consiste aussi à éduquer les parents. Selon lui, tous ces enfants vivent dans des milieux si défavorisés qu’ils ne peuvent pas apprendre les bonnes choses et expérimentent les drogues de plus en plus jeunes. «Avant, ça venait vers 13 ans avec la puberté. Maintenant, on trouve des enfants de 8 ans qui fument de la weed.» Une situation qui a empiré, selon lui, ces dix dernières années. Mais la pauvreté infantile a aussi une facette plus «banale», qui touche des populations moins isolées socialement, notamment les familles monoparentales ou nombreuses.
Selon Suzie Scott, si les addictions jouent un rôle dans la pauvreté, ce n’est pas le facteur principal : «C’est tout simplement que les gens n’ont pas assez d’argent.» Derrière ses lunettes, des petits yeux fatigués par des décennies de missions dans le social. Manager du projet Everyone’s Children financé par le gouvernement écossais et en collaboration avec des associations, Suzie est à l’origine du programme Holiday Hunger. En 2018, ce dernier a permis de nourrir 15 000 enfants à Glasgow. Donner à manger est pour la plupart la base de la responsabilité parentale, mais même dans certains foyers où les parents ont trois emplois, les fins de mois sont difficiles. Un phénomène qui s’intensifie selon Suzie Scott : «La preuve la plus flagrante, c’est l’augmentation du nombre de soupes populaires depuis quatre ou cinq ans. A chaque grand événement comme des matchs de foot par exemple, on demande aux gens d’apporter des denrées alimentaires. Les quartiers les plus pauvres s’appauvrissent encore plus et avoir un emploi ne suffit plus.»
Même dans les familles où les deux parents travaillent, un enfant sur six est en situation de pauvreté. En 2009 à Glasgow, il y avait seulement une banque alimentaire. En 2017, ce chiffre est passé à 52 et ces banques opèrent à travers 119 centres locaux, sans compter les associations de quartier qui proposent aussi parfois de l’aide en urgence. Selon les chiffres du Glasgow Indicators Project, 26 % des personnes qui y ont recours le font à cause de salaires trop bas et 43 % à cause de problèmes liés aux allocations.
Aides moins généreuses
Une augmentation qui coïncide avec la mise en place, fin 2013, du crédit universel, ce système qui regroupe toutes les aides sociales en un seul virement mensuel. Si l’idée était de simplifier les démarches, c’est l’effet inverse qui a été observé, avec des retards de paiements et des aides moins généreuses. Auparavant, par exemple, des aides étaient données pour chaque enfant, maintenant elles sont limitées à deux. Les contrôles sont beaucoup plus fréquents et imposent aux bénéficiaires de se rendre aux rendez-vous même s’ils ont des obligations qui pourraient potentiellement déboucher sur un emploi. Il y a même eu le cas récemment d’une jeune femme qui n’a pas pu se rendre à son rendez-vous car elle avait fait une fausse couche la veille. Ses allocations lui ont été retirées pendant deux cent vingt-neuf jours.
Le système de crédit universel a été mis en place par Westminster et le gouvernement écossais tente de pallier ces carences. Il y a, par exemple, une bourse, la Best Start, qui permet aux jeunes parents de recevoir une boîte avec tout le nécessaire pour l’arrivée d’un bébé ainsi qu’un peu d’argent. Lors du début de la scolarité, ils reçoivent aussi une aide financière. Des efforts insuffisants selon les associations. Si rien n’est fait pour inverser la situation, la pauvreté infantile devrait augmenter à Glasgow de 36 000 à 50 000 enfants d’ici fin 2020.
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