Les travaux de l’auteure du blog Allodoxia ont conduit quatre éditeurs scolaires à intégrer en cette rentrée des croquis de l’anatomie complète de l’organe.
Cette réhabilitation bienvenue mais tardive doit beaucoup à Odile Fillod qui, ces dernières années, a entrepris de rendre justice à l’organe jusque-là délaissé par les éditeurs. En 2014, celle qui se définit comme « chercheuse indépendante » a méticuleusement listé « les biais sexistes dans les manuels de SVT », à l’occasion d’un colloque organisé par le centre Hubertine-Auclert, à Paris, et mis en lumière la responsabilité des éditeurs dans la production de stéréotypes de genre.
Deux ans plus tard, la fabrication pour les besoins d’une vidéo d’un modèle du clitoris à taille réelle l’a fait connaître d’un plus large public. L’objet s’est taillé un joli succès dans les médias et auprès des enseignants de SVT après la diffusion du fichier imprimable en 3D en accès libre sur Internet.
Travers de la vulgarisation scientifique
Attablée en cette fin d’été à la terrasse d’un café parisien, elle se réjouit de ces récentes avancées : « Il y a une dimension politique dans le fait de rétablir la taille véritable de l’organe. Cela change la vision de la sexualité et aide à déconstruire le schéma sexuel où l’on a, d’un côté, l’homme actif doté d’un phallus, et de l’autre, la femme passive à qui il manquerait quelque chose. » Mais elle nuance aussitôt les progrès, précisant qu’« il reste des choses accablantes dans les manuels ».
Avec Odile Fillod, chaque mot a son importance, et ce qui peut sembler simple au premier abord se révèle toujours « plus compliqué », une formule qui ponctue souvent ses propos. Depuis une dizaine d’années, cette diplômée de Centrale Paris, titulaire d’un DEA de sciences cognitives, a abandonné sa carrière d’ingénieure pour se consacrer à l’analyse de la diffusion de résultats d’études scientifiques, notamment sur les questions de genre.
On aurait tort de résumer son travail à l’épisode du clitoris. Sur son blog Allodoxia – emprunté au sociologue Pierre Bourdieu, le mot désigne les mécanismes par lesquels des acteurs d’un domaine peuvent s’autoconsacrer –, elle épingle sans pitié et souvent avec une certaine jubilation, les travers de la vulgarisation scientifique et les idées reçues sur les différences entre les cerveaux ou les comportements des femmes et des hommes.
« J’ai commencé à m’intéresser au sujet au milieu des années 1990, quand ont débarqué en France les livres comme celui de John Gray Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus (1992), explique-t-elle, et quand se sont développés la psychologie évolutionniste et d’autres discours de naturalisation des différences psychologiques entre femmes et hommes, prétendant s’appuyer sur des progrès scientifiques, notamment en neurosciences. J’ai voulu comprendre s’il existait un fondement scientifique à ces affirmations qui rencontraient un grand succès auprès du public. »
Depuis, sa méthode de travail n’a pas varié. Dans de longs billets documentés, elle passe au crible les études, vérifie les sources, compare les chiffres, traque les biais et les approximations. A cette démarche pointilleuse et « résolument critique » s’ajoute la volonté de discréditer les personnes qui propagent dans l’espace public des informations qu’elle juge erronées. Des « comptes rendus fantaisistes » du philosophe Luc Ferry en 2012 au « désastre » de la vidéo sur « l’homosexualité expliquée scientifiquement » du youtubeur Max Bird en 2017, Odile Fillod déconstruit mot à mot les discours pour y débusquer les écarts vis-à-vis de ce qui est rapporté dans la littérature scientifique.
Passes d’armes
Dans ce domaine politiquement sensible, les débats sont souvent violents. Ceux qu’elle prend pour cibles l’accusent d’être militante, et les commentaires sur son blog donnent parfois lieu à de véritables passes d’armes. « Ses écrits sont fondés sur une idéologie représentée aujourd’hui par un courant du féminisme qui veut qu’il n’existe pas de différence entre les hommes et les femmes », estime Claudine Junien, professeure émérite de génétique et membre de l’Académie de médecine, dont Allodoxia a épinglé en 2017 la « rhétorique fallacieuse ». « Les différences génétiques entre les sexes existent et entraînent des différences de comportements, même si leur démonstration n’en est qu’à ses balbutiements, car les hommes et les femmes sont également différents les uns des autres à l’intérieur d’un même groupe », poursuit-elle.
Pour la sociologue et démographe Nathalie Bajos, directrice de recherche à l’Inserm, il y a, au contraire, « une vraie rigueur scientifique dans sa démarche qui s’appuie sur des articles publiés dans des revues à comités de lecture. Elle est pertinente quand elle considère que la production scientifique n’est pas neutre du point de vue du genre, et qu’elle interroge le caractère biaisé de cette production ».
Aux critiques, Odile Fillod répond par la méthode. « J’ai évidemment des biais, comme tout le monde, admet-elle, mais la méthode de travail que j’ai mise en place me prémunit assurément de beaucoup d’entre eux. Je remonte systématiquement aux sources primaires, aux données brutes de la recherche, sans me focaliser sur les études contrant les thèses que je mets en doute. Je cherche plutôt, au contraire, toutes les études susceptibles de l’accréditer pour analyser à quel point elles sont solides, prises séparément, et convergent entre elles. »
Indépendante de la recherche académique – elle a abandonné en 2013 la rédaction d’une thèse en sociologie dont le cadre lui paraissait « inadapté à une démarche pluridisciplinaire au carrefour des sciences biomédicales et sociales » –, elle vit principalement, dit-elle, de l’argent mis de côté jusqu’en 2007 lorsqu’elle était ingénieure. Mais cet électron libre de la science est aussi régulièrement invité à intervenir dans des conférences et a participé à l’ouvrage collectif paru en juillet Sexe & Genre (sous la direction de Bérengère Abou et Hugues Berry, éd. Matériologiques, 224 p., 18 €).
Structure familiale sexiste
Derrière l’engagement d’Odile Fillod, il y a le souvenir d’avoir grandi « avec un sentiment d’injustice profonde au sein d’une structure familiale sexiste, entre un père pourvoyeur de ressources, incarnant le pouvoir et la rationalité, et une mère au foyer dénigrée ». Pour autant, elle se revendique « plus antisexiste que féministe » et critique les études de genre, un champ de recherche qu’elle juge « trop souvent mou et idéologisé, où les discours comme le mien sont accueillis trop facilement, sans se préoccuper suffisamment des modalités d’administration de la preuve ».
A la suite de la médiatisation du clitoris imprimable en 3D, Odile Fillod a vu se répandre de nouvelles erreurs sur le sujet dans la presse, et avoue « une certaine lassitude face aux discours fantaisistes, y compris bien intentionnés ». Elle a ouvert en 2017 son propre site d’informations Clit’info où elle consacre une page « Détox » à rectifier les informations erronées. On y apprend que la taille de l’organe au repos n’est pas équivalente à celle du pénis, comme on peut le lire sur le Web.
Quant aux chiffres cités dans un rapport du Haut Conseil à l’égalité (HCE) et repris largement dans la presse, selon lesquels « 83 % des filles de 15 ans ignorent la fonction du clitoris », ils se fondent sur un unique questionnaire distribué en 2009 aux élèves d’un seul collège. Difficile dans ce contexte de généraliser à l’ensemble d’une population. Tout est toujours « plus compliqué ».
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