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jeudi 26 septembre 2019

Contraception : le pendant masculin à la traîne

Par Juliette Deborde — 
Le «boulocho» (slip chauffant contraceptif) d’Erwan Taverne, qu’il a fabriqué lui-même.
Le «boulocho» (slip chauffant contraceptif) d’Erwan Taverne, qu’il a fabriqué lui-même. Photo Ulrich Lebeuf. Myop pour Libération

Slip chauffant, anneau, vasectomie… Pour la Journée mondiale de la contraception ce jeudi, «Libération» revient sur les méthodes existantes mais peu connues destinées aux hommes qui commencent à admettre l’idée de partager cette charge mentale et physique avec les femmes.

Pilule, stérilet, implant… Alors qu’une dizaine de contraceptifs féminins sont disponibles sur le marché, les hommes qui veulent contrôler leur fertilité ont un choix bien plus limité, la plupart se contentent du préservatif. Encore méconnus, des moyens de contraception dite masculine existent pourtant. En France, ils sont une centaine d’hommes à y avoir recours - sans compter les quelques milliers vasectomisés, une méthode courante dans les pays anglo-saxons mais encore rare dans nos contrées. Erwan Taverne fait partie de cette minorité d’hommes «contraceptés». Le quadragénaire installé en Ariège s’y est converti il y a un peu plus de trois ans après plusieurs accidents de préservatifs. Comme la majorité des hommes qui ont recours à une contraception réversible, celui qui vient de créer une association dédiée à la question, le Groupe d’action et de recherche sur la contraception (Garcon), utilise une méthode thermique : il se fabrique un sous-vêtement troué qui plaque les testicules dans le bas de l’abdomen, augmente leur température et empêche ainsi la production de spermatozoïdes.

Poche scrotale

Ce slip chauffant (surnommé «boulocho»), qui doit être porté quinze heures par jour, est «très confortable», jure son propriétaire. La méthode, réversible, met jusqu’à trois mois (la durée du processus de production des spermatozoïdes) pour devenir efficace ou cesser de l’être. Seul le docteur Roger Mieusset, andrologue au CHU de Toulouse qui a mis au point ce sous-vêtement dans les années 80, en fournit. Autre solution : le confectionner soi-même, notamment grâce aux ateliers organisés par le collectif breton Thomas Bouloù. Si le procédé peut prêter à sourire, il est prescrit par quelques médecins, notamment au Planning familial de Paris, où des consultations réservées aux hommes ont lieu deux fois par mois. Celui d’Orléans (Loiret) suivra début 2020, avec des rendez-vous dédiés tous les trois mois. En 2018, environ 500 femmes et hommes ont sollicité une antenne locale du Planning pour se renseigner sur la contraception masculine. Des hommes veulent prendre le relais de leur partenaire, ou considèrent que ce n’est pas aux femmes de porter seules le poids de la contraception (lire témoignages ci-dessous). Dans le sillage de la crise des pilules de 3e et 4e générations, ils sont aussi un certain nombre à s’inquiéter des effets des contraceptions hormonales sur la santé des femmes. Une défiance qui explique sans doute le manque d’enthousiasme pour son pendant masculin, l’injection hebdomadaire de testostérone, efficace au bout de trois mois : le protocole, validé par l’Organisation mondiale de la santé, est utilisé par une poignée d’hommes.
Les méthodes plus durables séduisent davantage, notamment la jeune génération sensibilisée aux enjeux écolos. C’est l’un des arguments mis en avant par Maxime Labrit, créateur de l’Andro-Switch. Cet infirmier libéral de 36 ans utilise depuis trois ans cet anneau en silicone souple qu’il a fait breveter. Le dispositif, réutilisable, permet de maintenir le pénis et la poche scrotale et d’interrompre la production de spermatozoïdes. Un centre de planification en Isère en a commandé plusieurs modèles, produits par son créateur de manière artisanale. Comme pour le slip chauffant, l’anneau doit être porté environ quinze heures par jour. Pas si contraignant «comparativement à ce qu’on propose aux femmes», estime l’entrepreneur. Faute de moyens pour réaliser des tests préalables, très coûteux, son innovation n’est pas reconnue comme un dispositif médical à visée contraceptive.
D’autres méthodes, comme la pilule masculine, sont en gestation, malgré des décennies de recherche. En cause, la frilosité des labos pharmaceutiques, des institutions, et des exigences en termes d’absences d’effets secondaires très élevées, plus que lors de l’introduction du contraceptif hormonal féminin il y a un demi-siècle. Plusieurs expérimentations sont en cours sur les pilules et sur un gel à base d’hormones à appliquer sur la peau tous les jours, le Nestorone. Son éventuelle mise sur le marché n’aura pas lieu avant au moins dix ans. Pour la pilule version masculine, les spécialistes tablent sur une vingtaine d’années avant une possible commercialisation…

Travail pédagogique

Reste aussi à convaincre les premiers concernés, pas forcément enthousiastes à l’idée d’enfiler un slip chauffant. «La contraception est toujours vue comme une affaire de femmes», explique Marie Mazaudou, conseillère au Planning familial de Niort (Deux-Sèvres) et auteure d’un mémoire sur les résistances à la contraception pour les hommes. D’autant qu’en France, la question du contrôle des naissances ne se pose pas vraiment dans le parcours de soins masculin, ce qui rend compliqué le «recrutement» des potentiels patients. Il faut aussi rassurer les femmes qui peuvent craindre de s’en remettre à leur partenaire ou de se voir retirer la possibilité de maîtriser leur fertilité. Pas question de les priver de cette liberté, répondent les pro-contraception masculine, pour qui les méthodes peuvent être complémentaires. A condition que les hommes s’y mettent. Or il y a chez eux «une peur de la perte de fécondité, ainsi qu’une certaine sacralisation du corps masculin», ajoute Marie Mazaudou. «J’entends régulièrement des réactions du type "je ne veux pas qu’on touche à mon intimité", "j’ai peur que cela atteigne ma libido"», confirme Maxime Labrit, créateur de l’anneau, qui doit aussi rassurer ceux qui craignent que le procédé soit douloureux, alors qu’il est, promet-il, «indolore». Un travail pédagogique que le corps médical n’assure pas toujours, souvent par méconnaissance. «La formation à la contraception est limitée dans les études de médecine classique», regrette Florence Roger, jeune généraliste à Montech (Tarn-et-Garonne), à l’initiative d’une soirée de sensibilisation à destination des praticiens.
En janvier, une vingtaine de médecins ont aussi assisté à une séance de formation sur deux jours, organisée par la Société d’andrologie de langue française (Salf). Le Planning familial planche également sur un annuaire recensant les praticiens ouverts à la prescription de spermogrammes de suivi - qui étudient la concentration de spermatozoïdes dans le sperme -, auxquels certains médecins restent réfractaires. Les militants de la contraception masculines préconisent aussi de s’inspirer des pratiques du Royaume-Uni, où «les généralistes sont tenus de présenter toutes les méthodes existantes, et sont formés à la vasectomie», plus avantageuse financièrement qu’en France, détaille Daniel Aptekier-Gielibter, coprésident de l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (Ardecom). Autre exemple à suivre, le Québec, où la vasectomie est totalement démocratisée, et la contraception davantage considérée comme une affaire de couple, partagée tout au long de la vie. Pour les militants, «dégenrer la contraception» peut contribuer, à terme, à changer les rapports entre les hommes et les femmes.

Matthieu, 31 ans, ouvrier agricole, région nantaise
«Nous ne sommes ni sensibilisés ni éduqués sur cette question»

«Depuis moins d’un an, j’utilise le slip chauffant, que j’ai fabriqué moi-même avec le collectif breton Thomas Bouloù [un groupe d’hommes qui militent pour la contraception masculine, ndlr]. J’ai fait un premier spermogramme de référence en juin, puis un second trois mois plus tard pour confirmer son efficacité. Ça fonctionne merveilleusement bien : j’ai quasiment atteint un taux zéro de spermatozoïdes. Lorsque j’ai commencé la démarche, j’étais célibataire. Pour moi, la prise en charge de ma contraception était l’occasion de venir interroger l’égalité entre les femmes et les hommes, ce que ma famille m’a toujours poussé à faire. Il était temps que je prenne mes responsabilités. Je trouve ça injuste et incorrect que les femmes, dès l’adolescence, soient systématiquement seules dans la prise en charge de la contraception. Personne ne dit jamais aux hommes qu’il va falloir qu’ils gèrent leur fertilité. Nous ne sommes ni sensibilisés ni éduqués sur cette question. Nous partons de zéro. Cela nous infantilise, et cela fait peser une énorme charge mentale sur les femmes. Je voulais me «contracepter» pour prouver que cette responsabilité peut et doit être partagée.»

Pablo, 37 ans, professeur de mathématiques, Toulouse
«Je veux pouvoir assumer pleinement ma volonté de ne plus avoir d’enfants»

«Je cherche à me "contracepter" depuis décembre par la méthode thermique, mais je n’ai pas encore trouvé le bon modèle. Ni le slip ni l’anneau ne fonctionnent parfaitement sur moiOn ne sait pas à quel point ma physionomie est particulière, alors on continue à chercher les bons réglages. Je compte bien y arriver. Je suis en couple depuis sept ans, papa de deux enfants et je veux pouvoir assumer pleinement ma volonté de ne plus en avoir. Au départ, j’étais surtout dans une démarche de couple. Ma compagne ne trouvait plus de contraception qui lui convenait, il me paraissait naturel d’endosser cette charge contraceptive. J’ai été élevé par deux mères et une sœur féministes qui m’ont appris à me soucier de cette problématique. Dès mon adolescence, je savais comment fonctionnait le cycle des règles, je m’intéressais aux méthodes de contraception féminines, je partageais les frais des plaquettes de pilules de mes copines… Mais jamais, à la maison, on ne m’avait parlé de la contraception masculine. C’est une révélation. Depuis que je suis engagé dans ce processus, la démarche s’est de plus en plus transformée en cheminement personnel qui me permet de questionner le rapport à mon propre corps.»

Robin, 30 ans, ingénieur, Blagnac (Haute-Garonne)
«Cette vasectomie est une manière de tendre vers l’égalité dans mon couple»

«J’ai fait ma vasectomie [ligature des canaux qui véhiculent les spermatozoïdes, ndlr] en juin et je suis très heureux de ma décision. Je suis avec ma femme depuis neuf ans. Les premières années, c’est elle qui a porté seule la responsabilité de la contraception. Après plusieurs pilules, qu’elle n’a jamais vraiment bien supportées, on avait décidé d’opter pour le préservatif, avant que j’envisage la possibilité d’une vasectomie. A l’époque, nous vivions aux Etats-Unis, où la pratique est plus répandue et moins taboue. Et nous savions déjà que nous ne voudrions pas d’enfant naturel. A mon retour en France, j’ai acté la décision de me faire opérer. Je me considère féministe et j’étais mal à l’aise avec l’idée que les histoires de contraception reposent exclusivement sur les épaules des femmes. Cette vasectomie est une manière de tendre vers l’égalité dans notre couple. Elle m’a libéré d’une culpabilité pesante. L’acte chirurgical, en anesthésie locale, a duré quinze minutes et m’a coûté 176 euros - j’étais dans une clinique privée, dans le public c’est 76 euros. Je m’étais lancé dans la procédure cinq mois plus tôt en allant voir un généraliste. Après la première consultation, la loi française m’imposait quatre mois de «réflexion» avant de pouvoir me faire opérer. Un délai qui n’existe nulle part ailleurs !»
Témoignages recueillis par Anaïs Moran.

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