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mercredi 19 juin 2019

Prévention des drogues à l’école : « On ne peut pas mentir aux élèves, sinon on perd toute crédibilité »

Pour mieux coller à la réalité des consommations, les gendarmes intervenant en classe ne se contentent plus de rappeler la loi. Reportage dans un collège de Loire-Atlantique.
Par   Publié le 18 joint 2019


La maréchale des logis-chef Sonia Verrier, vendredi 24 mai, lors d’une intervention dans une classe de quatrième du collège Saint-Joseph à Savenay (Loire-Atlantique).
La maréchale des logis-chef Sonia Verrier, vendredi 24 mai, lors d’une intervention dans une classe de quatrième du collège Saint-Joseph à Savenay (Loire-Atlantique). JEREMIE LUSSEAU POUR « LE MONDE »

Substances et dépendances. « Cocaïne »« ecstasy »« herbe »… les mots fusent dans la salle de classe. Certains adolescents ricanent. La situation a quelque chose de cocasse : ils sont invités à citer toutes les drogues qu’ils connaissent devant une gendarme de la brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ).
« Qui sait ce que c’est la drogue ? », demande la maréchale des logis-chef Sonia Verrier, vendredi 24 mai, lors d’une intervention dans cette classe de quatrième du collège Saint-Joseph à Savenay (Loire-Atlantique). Plusieurs mains se lèvent. « C’est illégal, certains en prennent pour faire la fête », croit savoir un ado du premier rang, balançant ses Sneaker toutes blanches sous sa chaise. « Mais il y a des médicaments auxquels on peut être addict aussi », lui répond un élève du fond, bien renseigné. « C’est vrai », admet la gendarme, enchaînant sur un rapide sondage : « Qui pense que l’alcool est une drogue ? » Quasiment tous les index sont brandis, plus d’une vingtaine. « C’est en effet une drogue, mais elle reste légale », explique la professeure du jour, avant de développer une définition complète :
« La drogue est un produit naturel ou synthétique, légal ou illégal, qui change le comportement et qui peut entraîner une dépendance. »
Des interventions comme celle-ci, la maréchale des logis-chef Verrier en fera trois dans la même journée. Ce collège propret de la banlieue lointaine de Nantes n’est pourtant pas connu pour ses problèmes de délinquance. Mais, comme chaque année, Pascal Guesdon tenait à inviter les gendarmes nantais dans son collège. En tant que chef d’établissement, seul lui peut prendre la décision de libérer du temps pour la prévention des drogues. Il pense « qu’il n’est jamais inutile aux élèves de se faire rappeler la dangerosité de ces produits ».

« Je ne suis pas là pour prendre les noms »
Malgré l’uniforme et l’arme à sa taille, la gendarme se montre rassurante : « Je ne suis pas là pour prendre les noms de ceux qui s’y connaissent le mieux. » Prévenir et expliquer sans tomber dans la caricature : tel est l’équilibre délicat à trouver lors de ces sessions. Pour sa présentation aux 4es, la BPDJ a choisi d’insister sur les deux principales drogues consommées à l’adolescence. A cet âge, déjà, les chiffres sont lourds : 66,7 % des élèves de 4e (13-14 ans) ont déjà expérimenté l’alcool et 7,7 % ont déjà fumé un joint, relève l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT) dans une récente étude. En 3e, ils passeront à 75,3 % pour l’alcool et doubleront pour le cannabis (16,1 %). Une année charnière. « C’est là qu’il faut intervenir, on ne peut pas attendre qu’ils découvrent d’eux-mêmes », insiste la gendarme. Dans la classe, certains listent les alcools qu’ils connaissent. D’autres, entre deux rires, évoquent le « shit », la « weed » ou la « beuh ». Un vocabulaire qui trahit déjà leurs connaissances naissantes.


Le tableau de la maréchale des logis-chef Verrier durant l’interventation de prévention dans le collège.
Le tableau de la maréchale des logis-chef Verrier durant l’interventation de prévention dans le collège. JEREMIE LUSSEAU POUR « LE MONDE »

Les interventions de prévention données par les forces de l’ordre n’ont pas toujours été si libérées. « Quand je suis rentrée dans la gendarmerie en 2000, on venait dans les classes avec une mallette remplie d’échantillons, on présentait les différentes drogues puis on repartait, se souvient la gendarme, lunettes remontées sur le crâne. On était uniquement sur le côté loi, mais aujourd’hui, on sait qu’il faut aborder tous les risques. » L’époque où l’on pouvait s’entendre dire par un policier qu’un joint menait à l’héroïne semble révolue. « On ne peut pas mentir aux élèves, sinon on perd toute crédibilité », reconnaît-elle.

« Quand on est en soirée avec des grands, on fait comme eux »

Autre notion évoquée, celle du consentement. La représentante de la loi les met en garde contre la désinhibition pouvant amener à des situations graves : photos compromettantes lors de fêtes, mais aussi violences sexuelles… Puis vient la question piège : « Si j’ai de quoi me faire juste un joint, est-ce que j’ai le droit d’en avoir sur moi ? » Plusieurs « oui » se font entendre. Elle rit, avant de leur rappeler la loi : l’usage comme la détention de petites quantités de produits stupéfiants est passible de 3 750 euros d’amende et un an de prison. « C’est la peine maximum », rassure-t-elle face à des mines étonnées.


Des interventions comme celle-ci, la maréchale des logis-chef Verrier en fera trois dans la même journée.
Des interventions comme celle-ci, la maréchale des logis-chef Verrier en fera trois dans la même journée. JEREMIE LUSSEAU POUR « LE MONDE »

La sonnerie retentit. L’heure est passée trop vite, il a fallu sauter quelques diapos. Pendant la récréation, un groupe de six garçons discutent. Les timides de 13 ans y côtoient les « grands », ceux qui ont déjà redoublé et ont, sans doute, plus d’expérience. Tous ont déjà essayé l’alcool. « Une bière en soirée, ça va, estime Kylian* dans son large sweat à capuche. Quand on est en soirée avec des gens de 18 ans, on fait comme eux, il y a un effet de groupe, une pression, faut pas le cacher. » Et le shit ? « Je ne touche pas à ça, on est trop jeunes ! », répond un autre, balançant un copain qui se pointe régulièrement avec les yeux rouges.
« Le but, c’est que les élèves se posent des questions après notre départ », remarque le major Michel Esnault de la BPDJ 44. En Loire-Atlantique, c’est lui qui forme depuis 2012 les gendarmes pour qu’ils soient habilités à faire ces interventions en classe. Pendant deux semaines, ces futurs formateurs relais antidrogue (FRAD), assistent aux interventions de psychiatres, d’addictologues, de sociologues, d’associations d’aide aux toxicomanes afin de consolider leurs connaissances sur les drogues. « Ça bouleverse souvent les idées reçues, ça demande de l’ouverture d’esprit sur le sujet », commente le major à quelques mois de la retraite.
« Demander l’intervention choc de la brigade des stupéfiants, avec les chiens, etc., c’est contre-productif »
Si le regard des autorités sur la prévention des drogues a clairement évolué, le pédopsychiatre Olivier Phan regrette qu’il existe encore de grandes disparités selon les établissements. « Certains chefs d’établissement font appel à des professionnels plus par ce qu’ils représentent que par soucis d’efficacité (autorités policières, académiques, médicales…) pour rassurer les parents, faire peur, montrer qu’ils ne sont pas inactifs, s’étonne ce responsable des consultations jeunes consommateurs à la Croix Rouge. Demander l’intervention choc de la brigade des stupéfiants, avec les chiens, etc., c’est contre-productif. Parce que, au contraire, cela peut attirer un adolescent en recherche de rébellion. »
« Il faut donner plus de clés aux chefs d’établissement, adapter l’offre et la rendre plus cohérente », reconnaît Nicolas Prisse, président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), dont le Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 a été dévoilé en janvier.


La maréchale des logis-chef Verrier discute en aparté avec des élèves après son intervention, le 24 mai.
La maréchale des logis-chef Verrier discute en aparté avec des élèves après son intervention, le 24 mai. JEREMIE LUSSEAU POUR « LE MONDE »

La mission interministérielle souhaite aussi que cette prévention se fasse sur le long terme, durant le cursus scolaire, en évoquant, par exemple, les addictions en SVT, etc. « Il faut parler d’addictions au cours d’ateliers ludiques et créatifs, travailler l’estime de soi ou encore l’esprit critique en améliorant les compétences psychosociales des enfants plutôt que par un savoir vertical comme on le faisait avant », ajoute le président de la Mildeca.
Pour Nicolas Prisse, l’exemple à développer pourrait être celui du programme Unplugged testé depuis 2013 auprès des collégiens de 12 à 14 ans dans le Loiret. Par des jeux de rôles, des mises en situation et des débats en classe, ces douze heures d’atelier donnent aux élèves la possibilité de mieux résister à la pression à consommer des substances psychoactives. Responsabiliser, plutôt que réprimer.
* A la demande de l’interlocuteur, le prénom a été changé.

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