L’ouverture annoncée de la procréation assistée à toutes les femmes rouvre la question du donneur de sperme. Qui prend la responsabilité du choix ? Médecin, parents ? Selon quels critères ?
Tribune. Le Premier ministre a donc annoncé que le gouvernement inclurait l’ouverture de la procréation médicale assistée (PMA) aux femmes célibataires et aux couples de femmes dans le projet de loi de bioéthique qui sera présenté à l’été. On sait que cette réforme soulève de nombreuses questions capitales - liées aux notions de genre, hétéronormativité, égalité des familles, etc. Mais il est une autre question qui, bien que largement maintenue sous le boisseau, est pourtant tout aussi redoutable : en quoi ouvrir la PMA pose nécessairement la question des conditions de choix des donneurs de sperme ?
Expliquons. Depuis que la PMA se pratique, et depuis que le législateur s’est attelé à la tâche de l’encadrer en édifiant pas à pas un «modèle français de bioéthique», ce dernier est construit autour des principes de gratuité des dons et d’anonymat des donneurs. Dans le rapport officiel qu’il remit il y a quelques mois dans le cadre de la préparation de la révision de la loi de bioéthique, le Conseil d’Etat insistait sur l’importance de maintenir le principe d’anonymat des donneurs, au risque qu’apparaisse «un marché des produits du corps humain» mais aussi parce que sa levée rendrait incontrôlable et, en fait, non maîtrisable la «tentation de choisir» des couples demandeurs dans le cadre de la PMA (Conseil d’Etat, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain, juillet 2018). Cette dernière observation mérite qu’on s’y attarde. Pour bien comprendre si ce à quoi renvoie le Conseil d’Etat par cette référence à la «tentation de choisir», c’est le spectre d’une pratique qui permettrait aux couples demandeurs de choisir leurs donneurs, il importe de comprendre quelle est la situation actuelle.
Depuis que la PMA est pratiquée en France, l’étape essentielle de l’appariement entre donneurs de gamètes et couples demandeurs échoit aux seuls médecins : c’est à eux qu’il revient d’associer (apparier) à chaque couple candidat à la PMA le sperme d’un donneur anonyme. Or, c’est largement de facto que cette compétence leur est revenue. Elle est aujourd’hui entérinée par quelques textes infra-législatifs (1) mais la question de la légitimité de telles décisions n’a jamais vraiment fait l’objet d’une délibération démocratique : à qui doivent-elles échoir ? Les médecins sont-ils évidemment les plus légitimes ? Quid des couples concernés - les futurs parents ? Mais aussi : quid des critères sur la base desquels il devrait être procédé à de tels appariements ? Viennent aisément en tête les excès, réels comme fictifs, du «catalogue de donneurs» que les candidat·e·s à la PMA feuilletteraient de manière futile, un peu à la manière d’un catalogue d’aspirateurs ou de papiers peints. On sait aussi la force de cette image : mettre en scène des candidat·e·s à la PMA qui choisissent «leur» donneur sur le fondement de la couleur de ses yeux ou de son niveau d’étude, c’est efficacement ériger ce qu’on appelle souvent précipitamment (et sans toujours la rigueur requise) la «marchandisation du vivant» en repoussoir absolu.
Mais ce faisant, on tend souvent à maintenir un silence efficace sur la manière dont les choses opèrent déjà aujourd’hui - et depuis plusieurs décennies. Cela fait près de quarante ans que les médecins procèdent à cette opération d’appariement sur la base de critères longtemps demeurés opaques, définis essentiellement par eux à l’abri de toute forme de délibération démocratique. Concrètement, les critères qui sont effectivement retenus visent aujourd’hui à garantir au maximum la ressemblance physique entre l’enfant conçu par don de gamètes et son père légal : taille, couleur des yeux et texture des cheveux, couleur de peau - et même, groupe sanguin (2). Le fait que le groupe sanguin soit pris en compte dans l’appariement permet de mesurer que, en cherchant à maximiser la ressemblance entre l’enfant conçu et son père légal, cette pratique de l’appariement a aussi poursuivi l’objectif de permettre aux parents qui le désiraient de maintenir le secret sur les modalités de conception de l’enfant. En effet, apparier le groupe sanguin, c’est éviter que l’enfant apprenne, en une occasion potentiellement accidentelle où son groupe sanguin serait déterminé, que sa sérologie et celle de son père sont incompatibles - hypothèse qui ne pourrait que s’expliquer par le fait que son père (légal) n’est pas son père (génétique). C’est le modèle du «pas vu, pas pris» : par ces critères extensifs d’appariement, il s’agit donc de consolider un modèle où le recours à la PMA peut être dissimulé à l’enfant comme aux tiers (3).
Or, à supposer qu’une telle contribution à l’invisibilisation du recours à la PMA pouvait, tant que cette pratique était réservée aux couples hétérosexuels, apparaître justifiée par le choix de faire de cette procédure un calque de la procréation «naturelle», un tel registre de justification (quoi qu’on en pense) ne tient plus, par hypothèse, lorsqu’est envisagée l’ouverture de la PMA aux femmes seules ou couples de lesbiennes. En effet, il n’y aura plus ici d’illusion d’une procréation «naturelle» à maintenir : une femme seule ou un couple de femmes ne peuvent concevoir sans apport de sperme par un tiers.
Comment (re)lire alors la stigmatisation de la «tentation du choix» que l’on trouve, par exemple, dans le rapport du Conseil d’Etat ? N’importerait-il pas plutôt de saisir effectivement l’occasion pour penser à nouveaux frais la légitimité des critères et des acteurs de l’appariement en matière de la PMA ? N’est-il pas temps de poser la question de savoir à qui devrait revenir le choix des critères de sélection du donneur de sperme ? Est-il évidemment légitime que les futurs parents en soient exclus ? Et, s’il devait y avoir des critères de sélection, quels seraient les critères acceptables ? Quid de la couleur de la peau ? Avant de hurler à l’insigne inacceptabilité d’un tel critère (que l’on aurait tôt fait de qualifier, précipitamment, de raciste), ne pas oublier qu’il est aujourd’hui pris en compte dans la pratique médicale de la PMA - et, que la solution inverse qui tiendrait pour nécessairement illégitime, par exemple, le souhait du couple blanc-noir d’avoir un enfant blanc-noir est probablement plus simpliste que raciste. Sauf à proposer et à défendre l’artificialisme complet de la PMA (ce qui aurait le mérite de rompre la manière dont il s’est toujours calqué sur la procréation naturelle), et à proposer un pur modèle aléatoire - façon loterie -, dans lequel les candidat·e·s à la PMA auraient accès à un pool de dons de sperme qui seraient répartis sur des bases entièrement aléatoires, sans que quiconque soit considéré comme pouvant légitimement choisir. Voilà un débat qui permettrait d’entrer vraiment dans le dur de la discussion éthique.
(1) Voir par exemple les arrêtés du 12 janvier 1999 et du 30 juin 2017 ; pour le recensement et l’analyse de ces textes : Laurie Marguet, le Droit de la procréation en France et en Allemagne : étude sur la normalisation de la vie, thèse pour le doctorat en droit, université Paris-Nanterre, 2018.
(2) Procréation, médecine et don, Pierre Jouannet dir., éd., Lavoisier, 2016 ; PMA et catégories "ethno-raciales" : l’enjeu de la ressemblance, Laurence Brunet ; les Catégories ethno-raciales à l’ère des biotechnologies, Guillaume Canselier, Sonia Desmoulin-Canselier, Société de législation comparée, 2011, p. 135.
(3) Des humains comme les autres. Bioéthique, anonymat et genre du don, Irène Théry, éd. EHESS 2011.
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