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jeudi 20 juin 2019

«Cela me permet de contenir mes douleurs»

Par Charles Delouche, photo Julie Hascoët — 

 Dans la ferme de Jouany Chatoux, à Pigerolles, on se prépare à la légalisation de certains usages du cannabis. Des plants sont sélectionnés dans un conteneur.

Dans la ferme de Jouany Chatoux, à Pigerolles, on se prépare à la légalisation de certains usages du cannabis. Des plants sont sélectionnés dans un conteneur.Photo Julie Hascoët pour Libération

Depuis qu’ils consomment du cannabis, des malades ont retrouvé une qualité de sommeil, l’envie de s’alimenter ou la force de supporter un traitement.

Que faire quand la douleur devient insupportable et que les antalgiques ne marchent pas ou ne font plus d’effet ? Libération publie le témoignage de malades, atteints de pathologies sévères, qui ont trouvé dans le cannabis thérapeutique un remède à leurs souffrances et un moyen de continuer à vivre.

Mado Gilanton, 65 ans, victime de syringomyélie

Cette retraitée, également en proie à une malformation de Chiari de type 1, qui touche la moelle épinière et le cervelet, a découvert sa pathologie en 2013. Elle est depuis présidente de l’association Apaiser S&C et porte-parole d’Espoir impatient pour le cannabis à visée thérapeutique.
«Je souffre depuis l’âge de 50 ans. La découverte de ma maladie a été tardive et j’ai connu les affres d’une certaine errance médicale. Parmi les symptômes, on retrouve les douleurs neuropathiques sévères. C’est comme si on sautait dans un champ d’orties, avec le sentiment qu’on nous arrache les membres et une impression de brûlure. Je souffre aussi d’allodynie, une douleur déclenchée par un stimulus normalement indolore. Un léger effleurement (le souffle du vent ou l’eau de la douche qui s’écoule sur la peau) peut être très douloureux. Certains patients ne peuvent même pas porter de vêtements. Pendant près de cinq ans, j’ai pris les traitements contre les douleurs neuropathiques : antidépresseurs, antiépileptiques et Tramadol aux doses maximales. Lorsque j’avais des crises paroxystiques, quand les symptômes atteignent leur intensité maximale, j’étais obligée de prendre de la morphine. Je suis vite devenue dépendante, alors que les effets antalgiques s’estompaient. J’ai fait des séances d’hypnose pour soulager mes douleurs et reçu un traitement par électrostimulation qui n’a pas été efficace.

«En 2016, plus rien ne fonctionnait. Les douleurs étaient épouvantables. Et puis on m’a donné un pétard. J’avais peur des effets secondaires et une idée très négative du cannabis. Ce jour-là, j’ai fumé quelques taffes sans trop y croire. En moins de quinze minutes, je n’avais plus de douleur. Depuis trois ans, je ne savais plus ce que c’était que de ne pas souffrir. Je consomme du cannabis sous forme de décoction dans du lait. Ça m’évite de le fumer. J’en ai parlé à mon centre antidouleur qui m’a conseillé de continuer cette méthode. C’est sans doute la première fois de ma vie que je suis hors-la-loi. Au début des auditions réalisées par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament), on s’est rendu compte qu’il fallait mettre le patient au centre du dispositif afin d’expliquer à l’opinion publique que nous ne sommes pas des délinquants et qu’il est temps d’arrêter l’hypocrisie autour du cannabis dans le milieu médical. On sait très bien qu’il y a des livraisons dans les services de chimiothérapie. Aucun médecin m’a dit de ne pas en consommer. Concernant l’expérimentation, j’espère que le cannabis à visée médicale ne sera pas prescrit en dernière intention, surtout pas après un traitement opioïde. Maintenant que le cannabis a été reconnu comme efficace dans le traitement de certaines douleurs, il faut que la phase de test ne tarde pas à venir et que les politiques emboîtent le pas.»

Bertrand Rambaud, 58 ans, lutte contre le VIH

Cet ancien intermittent du spectacle se bat pour un accès au cannabis thérapeutique qui lui permet de supporter son traitement.
«Ça fait trente-cinq ans que je suis séropositif, et autant de temps que je suis intolérant aux antirétroviraux qui me maintiennent en vie. J’en suis à ma 18multithérapie et les effets secondaires sont vite ingérables. Au début de mon traitement, je prenais beaucoup de morphine et d’opioïdes. J’avais des patchs de fentanyl collés en permanence sur le corps. C’était très addictif, et malgré la puissance de la molécule, ça ne me faisait plus aucun effet. J’avais déjà consommé du cannabis de manière récréative. Alors je me suis roulé un joint et, tout de suite, j’ai ressenti l’effet. Les douleurs se sont atténuées, la nausée aussi. J’ai pu retrouver un sommeil convenable et m’alimenter. Ça fait maintenant quinze ans que j’utilise le cannabis pour me soigner. Je ne le fume pas, je vaporise la fleur ou j’utilise des extractions sous la forme d’huile. Je prépare moi-même mes gélules à base de distillat pour qu’elles ne contiennent aucun produit nocif. Le cannabis me permet de contenir mes douleurs dans une certaine limite.
«Depuis 2009, je suis membre fondateur de l’Union francophone pour les cannabinoïdes en médecine. Pendant un temps, mon médecin m’a fait des prescriptions de cannabis à aller récupérer dans des pharmacies néerlandaises. Puis j’ai commencé l’autoproduction. A la maison, j’avais une trentaine de plants et environ 480 grammes secs pour ma consommation. La police a débarqué chez moi et a tout saisi. Entre les sélections de variétés, les croisements qui convenaient à ma maladie, ce sont près de dix ans de travail qui ont été détruits. J’ai été condamné en première instance mais dispensé de peine, car j’avais un dossier médical très important et onze attestations médicales. Après cette première perquisition, faute de cannabis, j’ai dû arrêter de prendre mes médicaments. En trois mois j’ai perdu 25 % de ma masse corporelle. Mon médecin m’a dit que je ne pouvais pas continuer comme ça et il m’a fait de nouvelles prescriptions de cannabis à aller chercher aux Pays-Bas. En octobre dernier, nouvelle perquisition. Les policiers m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Ils ont vu mon dossier et en étaient presque gênés. Malheureusement, je ne suis pas concerné par les indications retenues par le comité nommé par l’Agence du médicament.
«Je regrette que l’expérimentation ne retienne pas les 41 pathologies reconnues par l’Association internationale pour le cannabis médical. J’espère que les poursuites s’arrêteront pour les malades pendant la période d’expérimentation. Ou au moins qu’on puisse suspendre la procédure judiciaire.»

Franck Milone, 27 ans, atteint d’une sclérose en plaques

Après des traitements inefficaces, il a trouvé dans le cannabis le moyen de soulager ses douleurs. Aujourd’hui, il participe à la création d’une filière française et milite au sein du collectif de patients Alternative pour le cannabis à visée thérapeutique (ACT).
«Un soir, à l’âge de 18 ans, j’ai ressenti une violente douleur à la mâchoire qui est montée dans le crâne. A se taper la tête contre les murs. Aux urgences, ils m’ont donné des antidouleurs et ont commencé les examens exploratoires. J’avais des lésions au cerveau et ils ont diagnostiqué une sclérose en plaques. Au pic de la crise, j’ai fait deux semaines d’insomnie. J’ai eu des intolérances à certains traitements. Ça entraînait des plaques rouges et beaucoup de fatigue. Comme j’avais consommé du cannabis de manière récréative dans le passé, j’ai essayé et j’ai enfin pu retrouver le sommeil. La plante agit sur ma spasticité musculaire, la fatigue et mon état de bien-être. Depuis presque deux ans je consomme des fleurs brutes, environ un demi-gramme par jour. En région parisienne, trouver du cannabis n’est pas très compliqué, mais l’herbe illégale qu’on achète dans la rue est fortement chargée en THC (tétrahydrocannabinol) et j’ai besoin d’avoir un cannabis équilibré, chargé aussi en cannabidiol (CBD), un autre principe actif du cannabis.
«Depuis 2014, j’ai investi tout ce que j’avais dans des projets de recherche et développement autour du chanvre. En France, nous sommes très frileux sur le cannabis. Il faut que les agriculteurs comprennent qu’ils peuvent s’emparer du marché du chanvre assez facilement. L’exemple australien est super : en quarante-huit heures, les prescripteurs peuvent s’enregistrer sur Internet et valider leurs prescriptions médicales. Cette première sélection d’indications retenues par le comité d’experts est un bon début, mais c’est encore un peu timide. Aujourd’hui, j’ai la chance que ma maladie n’ait pas évolué. J’arrive à vivre avec les douleurs. Si je me bats depuis des années, c’est parce que j’ai envie que les patients aient une solution. Il faut que cette plante soit accessible aux malades, c’est mon projet de vie.»

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