Photo Miguel Medina. AFP
Le président du comité chargé de plancher sur le cannabis à visée médicale vient de rendre son projet. Spécialisé en addictologie, le médecin psychiatre détaille les contours de cette expérimentation.
Le comité d’expert mandaté par l’agence du médicament vient ce mercredi de préciser le cadre de délivrance du cannabis thérapeutique, en rendant public son projet d’expérimentation prévue pour 2020. Une étape décisive même si une dernière audition de patients est prévue le 26 juin. A quels malades le projet sera-t-il destiné ? Sous quelle forme ce cannabis à visée thérapeutique qui n’a rien de récréatif pourra-t-il être prescrit ? Entretien avec Nicolas Authier, président du comité scientifique spécialisé temporaire qui planche sur le cadre à donner à cette expérimentation qui doit durer deux ans. Médecin psychiatre, spécialisé en pharmacologie et addictologie et également président de la Commission des stupéfiants et psychotropes, il détaille les avantages de cette plante et revient sur une année charnière pour la légalisation du cannabis médical.
Quels sont les bienfaits du cannabis à visée thérapeutique ?
La première indication du cannabis concerne les douleurs. Cela va concerner des patients avec des douleurs chroniques réfractaires aux thérapeutiques déjà disponibles. Dans le cadre de la sclérose en plaques, il va permettre de faire effet sur la spasticité (spasmes, raideurs musculaires) douloureuse. Il pourra faire effet chez des personnes avec des atteintes médullaires [de la moelle épinière, ndlr], pour des personnes ayant subi un accident de la route ou bien des personnes paraplégiques ou tétraplégiques. Certaines chimiothérapies anticancéreuses, utilisées parce qu’efficaces, sont toxiques pour le système nerveux. Certains patients peuvent développer des neuropathies induites par les chimiothérapies et on sait très mal traiter ces douleurs qui concernent 7% de la population française. Environ deux-tiers des patients sont mal soulagés. Certains utilisent le cannabis pour soulager des douleurs de type céphalées, comme les migraines, l’algie vasculaire de la face.
Comment l’expérimentation va-t-elle s’organiser ?
Sa mise en place prendra au moins six mois. Nous voulons proposer un système d’accès et s’assurer qu’il est fiable, sécurisé, pertinent et qu’il obtient l’adhésion des professionnels de santé et des patients. Il faudra que certaines modifications réglementaires soient mises en place pour permettre et autoriser l’expérimentation, et notamment mettre en place un registre dans lequel toutes les données des patients seront saisies par les médecins à chaque prescription. Tout le monde ne pourra pas prescrire du cannabis. Il y aura une formation préalable obligatoire pour les médecins volontaires. Les données seront analysées et un rapport sera fait et présenté via l’ANSM (Agence du médicament) au ministère de la Santé. C’est là que se posera la question de pérenniser ou non ce système retenu et on entrera ensuite dans une problématique de légalisation du cannabis thérapeutique.
Quels sont les freins que vous avez pu rencontrer pendant cette année de travail autour de la plante ?
Nous sommes dans une approche médicale pour soulager des patients qui sont dans une souffrance réelle. On n’est pas en train de parler de shit, de résine ou d’herbe mais de médicaments. Ceux qui viennent brouiller volontairement le discours sont malhonnêtes. En mélangeant intentionnellement l’usage récréatif, le bien-être et l’usage thérapeutique, l’académie de pharmacie fait de la désinformation dangereuse. Je les encourage à faire de la médecine, à rencontrer des patients qui souffrent et qui ont été soulagés par du cannabis. Il y a aussi ceux qui mélangent tout pour détruire le projet et ceux qui se dispersent dans leur combat, qui est plus économique que réellement thérapeutique. Autant être franc, le cannabis bien-être, c’est du business. En mêlant tout ça, certaines personnes donnent des arguments à ceux qui sont opposés à l’expérimentation et qui la présente comme le cheval de Troie du cannabis récréatif. C’est incroyable qu’on ose s’opposer de manière dogmatique, sans aucune éthique médicale, en remettant en cause l’existence de données scientifiques et les propositions des sociétés savantes. Aucun autre médicament en France ne sera prescrit avec autant de précautions. Il sera plus compliqué de prescrire du cannabis thérapeutique que de la morphine.
Comment envisagez-vous le développement de la filière de production française ?
Si nous voulons mettre en place les choses dans les six mois qui arrivent, nous ne pourrons pas compter sur une production française. La filière ne sera pas prête à temps. C’est pourquoi, le 15 mai, nous avons auditionné les producteurs étrangers de cannabis, structurés comme des laboratoires pharmaceutiques, pour savoir ce qui se fait ailleurs. On n’est pas du tout dans le fantasme de la fleur de cannabis donnée au patient et qui en fera bien ce qu’il voudra. Nous avons choisi de travailler sur des extraits larges ou complets de cannabis, avec des extractions de la substance de la fleur pour en faire des huiles, des comprimés ou encore des patchs.
Comment avez-vous découvert l’usage thérapeutique du cannabis ?
J’ai un patient que je suis depuis plus de dix ans. Il a une ostéogenèse imparfaite, la maladie des os de verre comme le pianiste Michel Petrucciani. De multiples fractures spontanées et donc des douleurs importantes liées aux nombreuses opérations. Je croyais le connaître par cœur. Je pensais qu’on arriverait jamais à aller plus loin dans le soulagement de sa douleur. Pendant très longtemps, il a consommé des antiépileptiques, des antidouleurs opioïdes. Ça ne lui faisait aucun bien. Puis il a commencé à prendre du cannabis et je ne l’ai jamais vu aussi bien. Lorsqu’il a mis du sens dans son usage en cherchant à savoir quelle variété l’aidait à soulager spécifiquement sa souffrance, il a arrêté de fumer des joints et commencé à consommer des gélules qu’on lui avait préparées ou qu’il achetait sur internet. Aujourd’hui il ne prend plus aucun médicament. Il y a encore trois ans, jamais je n’aurai pensé pouvoir dire ça. J’ai aussi une patiente fibromyalgique qui en consomme car la morphine était devenue inefficace pour sa douleur. Mais cette maladie n’a pas été retenue dans les indications du cannabis thérapeutique. Les patients sont dans une telle détresse vis-à-vis de leur souffrance physique, qui entraîne des complications très importantes sur le plan social, familial et économique. Il y a une précarité importante dans la douleur. Les gens ne travaillent plus, n’ont plus de ressource et sont prêts à tout essayer. Le rôle de la médecine n’est pas de leur dire qu’il n’y a pas de preuve de l’efficacité du cannabis, mais de les aider. Ils sont dans une situation d’illégalité. Médicalement, ce n’est pas éthique d’accepter ça.
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