Neurobiologie – Une étude très discutée affirme que dans notre espèce, la neurogenèse est indétectable après l’adolescence, bousculant un dogme qui avait lui-même peiné à s’imposer.
Notre cerveau est-il capable de produire de nouveau neurones, au-delà du stock de près de 100 milliards de ces cellules nerveuses constitué dans la prime enfance ? Une étude très discutée, publiée jeudi 8 mars dans la revue Nature, suggère que non, ouvrant un nouveau chapitre dans l’histoire chahutée de la neurogenèse, le mécanisme de formation des cellules nerveuses.
Il y a près d’un siècle, le physiologiste espagnol Santiago Ramon y Cajal (1852-1934) avait posé un dogme : le cerveau adulte, chez les mammifères, ne voyait naître aucun nouveau neurone. Notre encéphale était un mouroir neuronal, notre bagage initial en la matière étant voué à une flétrissure inéluctable. Ces observations ont bien fait l’objet de contestations à partir des années 1960, mais il a fallu attendre 1998 pour que soit démontrée la présence de nouveaux neurones chez l’humain adulte, dans l’hippocampe, cette petite structure cérébrale dévolue notamment à la mémoire.
Mais voilà qu’une équipe dirigée par Arturo Alvarez-Buylla (Université de Californie, San Francisco) vient chambouler à son tour la nouvelle doctrine. « La neurogenèse dans l’hippocampe humain chute brutalement chez l’enfant pour atteindre des niveaux indétectables chez l’adulte. » Tel est le titre on ne peut plus explicite de l’article dans Nature. L’équipe internationale a cherché la présence de jeunes neurones et de cellules nerveuses progénitrices dont ils seraient issus dans 59 échantillons post-mortem et post-opératoires d’hippocampes humains, allant de la période fœtale à 77 ans. Seul un petit nombre de jeunes neurones était observé à 7 et 13 ans, mais aucun dans le cerveau adulte. Cette prolifération neuronale s’assèche de la même façon chez un autre primate, le macaque, montrent aussi les chercheurs. « Si la neurogenèse se poursuit dans l’hippocampe humain adulte, c’est un phénomène rare », concluent Arturo Alvarez-Buyall et ses collègues.
Une conclusion immédiatement mise en doute par plusieurs équipes. Fred Gage, auteur principal de l’étude de 1998 sur la neurogenèse adulte chez l’homme, n’est pas convaincu : « Cet article base essentiellement ses conclusions sur l’absence de caractéristiques morphologiques et sur l’expression de marqueurs de protéines qui sont très sensibles à l’état des tissus post mortem, indique-t-il. Je suis très confiant dans les résultats de mon laboratoire, et de nombreux autres, qui ont utilisé des méthodes étalons pour confirmer de façon répétée que la neurogenèse a bien lieu dans le cerveau adulte. »
Jonas Frisen (Institut Karolinska, Stockholm) est lui aussi sceptique : en 2013, il avait montré qu’en moyenne 700 nouveaux neurones apparaissaient chaque jour dans l’hippocampe adulte. Il avait mis à profit la décroissance radioactive du carbone 14 issus des essais atomiques atmosphériques pour déduire l’âge des neurones.
« Cette nouvelle publication aux données robustes ouvre une série de questions qu’il va falloir trancher », constate Mariana Alonso, spécialiste de la neurogenèse dans le bulbe olfactif de la souris à l’Institut Pasteur. Elle note qu’un débat similaire a déjà eu lieu, précisément à propos du bulbe olfactif : chez les rongeurs, il est le siège d’une intense production de nouveaux neurones tout au long de la vie, et on a souvent considéré qu’il en était de même chez l’homme – avant que des doutes émergent et que l’on constate, autour des années 2010, qu’il n’en était rien. « Le sentiment général est que le phénomène de neurogenèse observé chez les rongeurs, très fort, l’est probablement beaucoup moins chez l’homme », indique-t-elle.
« C’est un des grands mérites de cette étude que d’avoir collecté beaucoup d’échantillons humains », indique Pascale Durbec (Institut de biologie du développement de Marseille, IBDM), qui souligne également l’intérêt d’avoir combiné plusieurs marqueurs pour tenter de détecter des jeunes neurones. Elle souligne que ces résultats ouvrent des questions passionnantes sur la nature de la plasticité cérébrale – « nouveaux neurones ou nouvelles liaisons entre eux ? » –, les mécanismes d’apprentissage et les spécificités du cerveau humain.
L’absence de neurogénèse chez l’homme adulte sonnerait-elle le glas de certaines pistes de recherche visant à la stimuler pour remplacer les neurones détruits dans les maladies neurodégénératives ? « L’article de Nature remet en question l’existence d’une neurogensèse dans l’hippocampe, mais la présence de cellules souches qui pourraient produire des neurones dans le cerveau adulte est toujours valide, répond Harold Cremer, lui aussi chercheur à l’IBDM. L’utilisation de telles cellules souches dans un contexte thérapeutique reste une possibilité qui doit être explorée. »
Arturo Alvarez-Buylla note que la confirmation d’une neurogénèse même fugace chez l’enfant offre déjà des pistes de recherche intéressantes. Concernant la controverse que ses travaux engendrent, il se fait épistémologue : en science, « c’est à travers les désaccords entre collègues ayant des perspectives différentes que des progrès surviennent généralement »…
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