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lundi 12 mars 2018

«Dès l’école, le mélange entre filles et garçons n’est pas la norme»

Par Margaux Lacroux — 

Photo prise le 31 août 2009 d'enfants arrivant dans la cour de l'école maternelle et primaire Notre Dame à Caen. (image d'illustration)
Photo prise le 31 août 2009 d'enfants arrivant dans la cour de l'école maternelle et primaire Notre Dame à Caen. (image d'illustration) Photo Mychele Daniau - AFP

La relation entre femmes et hommes se construit aussi à l'école. Au sein des établissements scolaires, la géographe du genre Edith Maruéjouls a observé une répartition inégale des filles et des garçons dans l'espace.

Dans vos travaux de recherche, vous constatez un problème de mixité dès l’école…


Au sein d’un établissement scolaire, dans  la cour de récréation, mais aussi dans la mise en rang, à la cantine, les enfants sont très séparés… Quand on s’immerge, on réalise que le mélange entre filles et garçons n’est pas la norme. Il y a presque une absence de la relation. Dans la cour de récréation, les garçons occupent l’espace central, les filles sont en périphérie. Ce sont des mécanismes qui posent à la fois la question de la relation et de l’aménagement, car la cour de récréation est un micro-espace public.
D’où provient ce partage inégal de l’espace entre fille et garçon dans la cour de récréation ?

Je fais dessiner des cours de récréation aux enfants en classe, ce qui permet de comprendre la façon dont ils la perçoivent. Le terrain sportif, qui est souvent un terrain de foot, occupe un espace central dans la tête des enfants. Même si le terrain est à une extrémité de la cour, les enfants représentent cet espace au centre de leur dessin. C’est vraiment le lieu de toute l’attention dans une cour de récréation. Il est l’objet de tous les désirs, de tous les regards, y compris de ceux qui voudraient jouer et qui ne peuvent pas. C’est le lieu où l’on trouve le plus de garçons, de la mise en scène de la masculinité et de la performance, donc le lieu où il faut être. Même quand on ne peut pas y entrer, on le regarde.

Donc cette répartition est liée à des représentations intégrées très tôt par les enfants…

C’est une construction, par la société et le milieu éducatif, de ce qu’est le monde des filles et le monde des garçons. Ce n’est pas tellement la question des stéréotypes qui pose problème, mais la hiérarchisation qui se cache derrière : le monde des hommes est valorisant et valorisé. Certaines petites filles disent «moi je n’ai pas de problème à aller sur un terrain de foot, si je veux y aller je n’ai qu’à m’imposer», cela montre bien qu’il faut adopter ce type d’attitude pour qu’il y ait un rapport de force, une négociation.
Et du côté des garçons, y a-t-il aussi des interdits implicites ?

Cela est moins visible, mais eux disent qu’ils ne peuvent pas s’autoriser les jeux de filles : «Oui, les filles ne peuvent pas jouer sur le terrain de foot mais moi je ne peux pas danser au milieu de la cour de récréation.» Pour les garçons, aller dans le monde des filles, c’est la honte, c’est décevoir parce que dans le monde des hommes, il y a une exigence de performance.
Le choix d’un équipement sportif tel qu’un terrain de foot a donc une incidence dans la construction des rapports hommes-femmes…

Si les équipements n’ont aucune influence sur la possibilité de vivre ensemble, alors pourquoi ne fait-on pas un espace de danse ? Quand vous prescrivez un usage dans l’espace public, c’est à dire du foot, du skate, vous proscrivez tous les autres, sur cet espace là vous ne pouvez pas faire d’autres jeux. Parce qu’on a créé un terrain de foot, validé et accepté par tous, on ne peut pas faire un autre jeu qui serait plus collaboratif. C’est comme une privatisation de l’espace public. Oui ça exclut des personnes, des femmes, des personnes en surpoids… Or la cour de récréation doit rester un espace de liberté. Quand on discute avec les enfants, on se rend compte qu’il y a des enfants qui veulent mais qui ne peuvent pas. Donc dire que les filles ne veulent pas jouer au foot parce qu’elles n’en ont pas envie est faux.
Vous avez notamment observé que les filles apprennent à ne pas être physiquement dans l’espace, à moins de négocier, elles ne font que le traverser. Tandis que certains garçons n’apprennent pas à renoncer et restent au centre…

Les garçons se sentent légitimes dans l’espace public, les femmes beaucoup moins. Et quand vous ne vous sentez pas légitime, c’est beaucoup plus compliqué de négocier. Cela soulève la question de l’égalité dans la relation. Vous êtes dans un espace parce que vous avez le droit d’y être. Le partager, c’est avoir une part égale du même gâteau, il n’y a pas un couloir pour les femmes et un autre pour les hommes. C’est pourquoi la question de la négociation et du renoncement est importante. Je dis souvent que les filles mésaprennent la négociation et que les garçons n’apprennent pas le renoncement.
Comment concevoir une meilleure mixité dans ce type d’espace ?

Tout commence par le questionnement. Est-ce que j’ai le droit de jouer mais je ne le fais pas ? Est-ce que je joue au foot alors que je suis une fille ? Il faut discuter avec les enfants, qu’ils aient la possibilité de prendre conscience de cela, de s’exprimer dans un endroit où il y a un adulte. Cela peut se résumer à une heure de débat en classe. Il faut que ceux qui sont de l’autre côté de la ligne puissent dire à ceux qui sont à l’intérieur qu’il y a un problème. Nous devons changer les règles de la relation. Il faut penser à la façon de faire des jeux mixtes dans la cour de récréation, je leur fais aussi redessiner leur cour. Aborder ce sujet avec les enfants permet de proposer une alternative, de manière à ce qu’ils aient un argumentaire sur la question, pour pouvoir négocier entre eux.
Vous dites aussi que le sexisme, en hiérarchisant les hommes et les femmes, participe à créer les phobies envers les homosexuels, les trans, les lesbiennes…

La question de l’égalité femme-homme comprend la question de l’égalité entre tous les êtres humains. Or la distinction entre ces deux groupes d’êtres humains est très forte. Nous avons construit un vêtement social sur ce qu’est être une femme, une petite fille, un mère, un métier de femme… Qu’est ce qui est gênant dans le fait que deux hommes soient ensemble ? C’est l’idée qu’être perméable à la place que doivent en théorie occuper les femmes est problématique. D’ailleurs cela ressort quand on en parle avec des enfants et des ados. Les garçons disent qu’ils ne veulent pas danser dans la cour de récréation non pas parce que faire «un truc de fille», c’est neuneu ou que c’est nul, mais parce qu’ils ont peur d’être traités d’homosexuels. Lutter contre cela est très compliqué.
Dans les loisirs non plus, la mixité n’est pas au rendez-vous…

Les cours d’EPS sont presque le seul lieu où il y a une pratique sportive mixte en France. Tout le financement public finance la séparation des filles et des garçons, et ce dès l’école élémentaire. Quand vous décidez de ne pas mélanger filles et garçons pour la pratique sportive, vous doublez la dépense, en termes d’équipements et d’animateurs. Il y a l’idée que ce ne serait pas juste de les mettre ensemble, pas compétitif. Il y a l’idée que tous les garçons entre eux sont à équivalence de performance, ce qui est totalement faux, ça ne fonctionne pas. C’est pour cela qu’il faut travailler sur toute la chaîne, de la cour de la récréation, jusqu’à l’espace public, en passant pas le loisir des jeunes.
Les pouvoirs publics en ont-ils pris conscience ?

ll y a un manque d’argent pour régler ces problèmes, pour financer des interventions dans les classes, des formations des enseignants. Certaines collectivités et écoles s’en préoccupent mais ça n’a pas une grande ampleur. Les urbanistes aussi doivent réfléchir à la mixité hommes-femmes. Mais attention, il faut travailler sur le projet, parce qu’on peut très bien produire des inégalités dans le mélange. Les valeurs humaines, du vivre-ensemble, doivent reprendre le pas sur la norme de genre qui nous sépare.

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