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mercredi 9 novembre 2011


Sibylline raconte l’hôpital psychiatrique

Posté par  le 7 nov 2011 dans À la uneMagazine • Pas de commentaires
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Après l’érotique Premières Fois et le joli conte Le Trop Grand Vide d’Alphonse Tabouret, Sibylline change radicalement de registre. À 33 ans, elle revient sur un des épisodes les plus douloureux de sa vie : ses quelques semaines d’hôpital psychiatrique après une tentative de suicide, à l’âge de 17 ans, une décennie après le propre suicide de sa mère. Magistralement dessiné par Natacha Sicaud, Sous l’entonnoir est tour à tour instructif et flippant, toujours juste et touchant. Rencontre avec une jeune femme qui occupe toujours un poste de standardiste chez Delcourt, et qui ne sent toujours pas scénariste. À tort, ce livre en est la preuve.


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Comment en êtes-vous venue à raconter cette histoire, votre histoire ?
Après Premières Fois et son succès, j’ai ressenti un énormevide. Je me suis dit que je n’y arriverai plus, et dans le même temps, je ressentais le besoin impérieux de faire à nouveau des livres pour le bonheur qu’ils apportent. Mon éditeur, David Chauvel, m’a alors dit : « N’attends pas de pondre Guerre et paix, écris n’importe quoi, mais écris ! »J’ai suivi ses conseils, et comme j’avais déjà vaguement l’idée de parler un peu de mon histoire, j’ai choisi d’évoquer ce mois d’internement à Sainte-Anne. Et rapidement, à ma grande surprise, David Chauvel s’est enthousiasmé pour ce projet.

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À quelles difficultés vous êtes-vous heurtée?
Pour moi, écrire est toujours un acte hyperdouloureux. Je ne sais pas comment faire, je ne connais pas les trucs… et ça me fait peur. Même pour ce livre-là, alors que c’est quand même un peu de la triche, car je connais forcément cette histoire par coeur… D’ailleurs, ce fut sans doute ma plus grosse appréhension durant l’écriture : je ne trouvais pas mon récit intéressant, il m’ennuyait, je me demandais ce que les lecteurs pourraient bien y trouver.

Mise à part votre expérience, le sujet de la psychiatrie vous intéressait-il ?
Pas tellement. Pour moi, l’épisode de Saint-Anne fut comme un bon coup de pied aux fesses, pour me dire qu’il fallait que je fasse en sorte d’aller bien. C’est très loin tout ça… Mais entre temps, je suis devenue amie avec une psychiatre, et discuter des relations entre médecins et patients m’a beaucoup intéressée.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre séjour en hôpital psychiatrique ?
La contention. Le sentiment terrible de comprendre à quel point on perd tout pouvoir décisionnaire et physique et que c’est un inconnu qui va décider à notre place. C’est l’enfer. Et puis, il y a l’ennui. Ces journées qui s’étirent, qui n’en finissent pas… Le silence aussi, et la difficulté de se concentrer sur quoi que ce soit, notamment à cause des médicaments.

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Il y a les autres patients aussi. Dans le livre, on sent un danger planer…
C’est surtout parce que les autres sont imprévisibles et qu’on ne connaît pas leur pathologie. Certains sont dépressifs, d’autres profondément déconnectés de la réalité, et on ne sait pas comment interagir avec eux. Et certains sont grands et forts, et peuvent être impressionnants. C’est comme quand on se promène tard le soir dans un endroit inconnu en se demandant qui on va croiser. Ou quand on est dans la salle d’attente d’un médecin et qu’on se demande s’il vaut mieux s’asseoir à côté de la dame qui a l’air d’avoir une gastro ou du type qui crache ses poumons. Et cela, tous les jours, à chaque instant.

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Votre livre cherche-t-il à dénoncer ce mode de prise en charge ?
Pas du tout, c’est vraiment un livre de souvenirs, et je suis même retournée à Sainte-Anne pour récupérer mon dossier et chercher à légitimer ma démarche. Il y a une grande différence entre le ressenti d’une ado mal dans sa peau qui sort d’un mois d’internement, et mon point de vue aujourd’hui : j’enverrai la Terre entière voir un psy, c’est super utile ! C’est d’ailleurs curieux ce truc honteux, en France, avec les maisons de repos ou les cliniques privées. En Angleterre ou aux États-Unis, on peut annoncer sans honte qu’on part un mois se reposer, en cure, en désintox, car on n’en peut plus. Ici, ça ne se fait pas, c’est dommage.

Sortir Sous l’entonnoir, quinze ans après les faits, est-ce une façon de tourner définitivement la page ?
Je n’ai pas l’impression d’avoir fermé ou réparé quelque chose avec ce livre, ni même d’avoir réglé des comptes… Mais quand je dis ça, ma copine psy me traite d’hypocrite ! Il y a sans doute un processus à l’oeuvre…

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Comment s’est passé le travail avec Natacha Sicaud ?
Je me suis sentie un peu coupable de lui confier une histoire si peu drôle et si personnelle… Car je voulais qu’elle puisse s’approprier vraiment l’histoire. Et puis elle m’a demandé si je voulais qu’elle donne mes traits à l’héroïne, que j’avais baptisée Aline pour créer une distance. Je lui ai dit de faire comme elle le sentait, et finalement c’est bien moi dans l’album, ça fait bizarre… Ce que j’aime dans le dessin de Natacha, c’est son intelligence des postures et des corps.

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D’où vient ce titre, un peu étrange au premier abord, Sous l’entonnoir ?
Au tout début du projet, le livre devait s’appeler HP. Mais je rencontre alors Lisa Mandel, nous échangeons sur nos projets respectifs et j’apprends qu’elle s’apprête aussi à sortir un livre intitulé HP ! Ensuite, pendant presque deux ans, nous n’avons pas trouvé autre chose. Et puis, quand c’est devenu un petit peu urgent de donner un titre au livre, nous avons commencé à faire des blagues. Nous nous sommes inspirés des classiques de la littérature française. Par exemple : « Longtemps je me suis couché de bonheur, mais ce n’était pas ma faute, c’est parce que je prenais des médicaments. » Bref, nous avons quitté Proust pour Zola, sommes tombés surL’Assommoir… qui a ensuite fait apparaître L’Entonnoir. Et David Chauvel a suggéré Sous l’entonnoir. Au final, j’adore ce titre !

Propos recueillis par Benjamin Roure


Kate Garros, 61 ans, et ses jumeaux John et Alexandra, 7 ans, à Bayville, dans l'Etat de New York. | Wayne Lawrence/INSTITUTE



Des parents d'un certain âge


ENQUÊTE – La procréation après 50 ans ? La médecine sait faire. Aux Etats-Unis, c'est même légal, et de plus en plus de femmes ménopausées concrétisent leur rêve de maternité. Démarche égoïste, évolution normale de notre société... Un article, publié en septembre dans le "New York Magazine", prend la mesure du débat.
Par Lisa Miller / Adaptation Stéphanie Chayet
 
LORSQU'ILS SE RETROUVÈRENT AU LIT POUR LA PREMIÈRE FOIS, John Ross fit à Ann Maloney un compliment qu'elle prit pour une prophétie : "Tu as le corps d'une jeune fille. Il te faut un bébé." Cette nuit-là, ils avaient respectivement 54 ans et 47 ans. Ann Maloney était sans doute bien conservée, mais son corps ne pouvait pas, objectivement, être celui d'une jeune fille. Le sujet des bébés, rarement abordé le premier soir quel que soit l'âge des protagonistes, aurait pu lui sembler terriblement inadapté au sien. Mais elle n'avait pas encore d'enfant, et elle en voulait désespérément. Lorsqu'elle évoque aujourd'hui, dans un restaurant de l'Upper East Side, à New York, ce moment d'intimité fondateur, sa voix vibre encore du plaisir ressenti à l'époque. Ann Maloney avait attendu pour les raisons habituelles : un premier mariage raté et un changement de carrière (architecte d'intérieur, elle s'était réorientée vers la psychiatrie) qui exigea des années d'études et un déracinement. Quand elle rencontra son futur mari, elle était en train d'asseoir sa clientèle et sa réputation. Elle était prête. Finalement.
John Ross aussi. Psychiatre et divorcé comme elle, il avait le sentiment de ne pas avoir élevé "comme il l'aurait fallu" son fils de 35 ans. "Je voulais réussir une famille", dit-il. Comme souvent à cet âge, les choses allèrent vite. Ils se marièrent moins de dix-huit mois après leur premier rendez-vous. Médecins tous les deux, ils savaient pertinemment que les chances d'une grossesse sans recours à la science sont infimes après 45 ans. S'épargnant de douloureuses années de tentatives, ils se mirent en quête d'une donneuse d'ovule. Avec son sperme à lui, son utérus à elle, et les gamètes d'une femme beaucoup plus jeune, ils construiraient la famille dont ils rêvaient.
Les dons d'ovocytes ont un taux de réussite de 60 %, quel que soit l'âge de la bénéficiaire. Mais les cliniques américaines fixent leurs propres limites et, quand ils commencèrent le processus, Ann Maloney avait 48 ans, l'âge maximum.
L'hôpital de l'université Columbia finit par les accepter. Une donneuse fut trouvée, le sperme de Ross recueilli dans un gobelet stérile. En février 2001, Ann Maloney donna naissance à Isabella, un moment de grand bonheur suivi par une sévère dépression post-partum puis par l'ouragan hormonal de la ménopause. Une maison fut achetée et les deux cabinets médicaux furent déplacés plusieurs fois en fonction de leurs nouvelles priorités. Lily, la deuxième, vint au monde quand sa mère avait 52 ans. Cette fois, Ann Maloney dut subir un traitement hormonal, car elle était ménopausée.
A 60 et 66 ans, Ann Maloney et John Ross partagent aujourd'hui leur maison avec une perruche calopsitte, deux dragons barbus d'Australie, deux chiens, deux chats, un hamster nain, deux aquariums, du personnel et leurs deux filles. Lily et Isabella ont 7 et 10 ans et les activités sportives, les goûters d'anniversaire et les disputes typiques de leur âge. "Vous n'avez aucune idée de notre vitalité, assure John Ross. Nous sommes tous les deux très énergiques et très aimants." L'âge moyen de la première grossesse est en hausse dans l'ensemble du monde occidental. En France, en Italie et en Allemagne, il est de 30 ans. Aux Etats-Unis, il est passé de 21 à 25 ans depuis 1970. Mais parmi les femmes d'âge mûr, la fécondité a explosé. En 2008, dernière année pour laquelle on dispose de statistiques détaillées, environ 8 000 bébés américains sont nés d'une femme de 45 ans ou plus, soit plus du double qu'en 1997. Parmi eux, 541 avaient une mère de 50 ans ou plus, une hausse de 375 %. Et près d'un quart des enfants adoptés avaient des parents de 45 ans ou plus.

John Ross, 66 ans et Ann Maloney, 60 ans, avec leurs deux filles, Lily, 7 ans, et Isabella, 10 ans, à Manhattan.

Le désir d'enfant est si fort dans cette population qu'il se joue de la récession. Depuis 2008, la natalité est en recul de 4 % aux Etats-Unis, certains couples reportant leur projet d'enfant à cause de la conjoncture économique. Mais chez les femmes de 40 ans et plus, le taux de naissances a augmenté. Chez celles de 45 à 49 ans, la hausse est même de 17 %.
Ce phénomène doit beaucoup à l'avènement de la procréation médicalement assistée (PMA). Aux Etats-Unis, les femmes de 45 ans et plus qui veulent être mères ont majoritairement recours au don d'ovocytes. Certaines pionnières utilisent leurs propres ovules, prélevés et congelés quand elles étaient fertiles, une véritable assurance-maternité qui permet aux prévoyantes de se libérer des échéances désagréables dictées par la nature. Mais ces avancées médicales ne seraient rien sans une culture obsédée par la jeunesse, qui encourage les femmes à se rêver en mères à l'âge où elles se contentaient autrefois de calculer leurs points de retraite. Rien ne rajeunit aussi efficacement qu'un nourrisson. Nés avant les émeutes de Stonewall (New York, 1969), les quinquagénaires gays n'avaient jamais imaginé goûter un jour aux joies de la vie familiale. Grâce à des décennies de militantisme, ils ont désormais la possibilité de choisir, eux aussi, un chemin conventionnel : l'amour, le mariage, le porte-bébé.
L'hiver dernier, les gazettes new-yorkaises révélaient que Stefano Tonchi, le rédacteur en chef du magazine de mode W, âgé de 51 ans, venait d'épouser David Maupin, son partenaire depuis vingt-cinq ans, et qu'ils attendaient des jumelles. A présent que leurs filles sont nées, leur entourage se demande comment le couple, qui vit dans un appartement luxueux, survit aux régurgitations des deux bébés. Quel que soit leur goût pour la décoration, les parents âgés inspirent souvent ce type de jugement : ils ne savent pas ce qui les attend ! Voire : comment peut-on faire une chose pareille ? Si l'arrivée d'un bébé suscite d'ordinaire une bienveillance émerveillée, la démarche est jugée égoïste lorsque ce sont des quinquas qui dégainent le biberon. Elle déclenche même, dans la majorité des cas, une réaction de rejet.
DEMANDEZ AUTOUR DE VOUS. Peut-on avoir un bébé à 50 ans ? Le souci de l'enfant est la principale objection. Les obstétriciens, en privé, sont particulièrement sévères. "Je les vois, à l'hôpital, convulsées par l'hypertension", dit un médecin qui ne souhaite pas être cité. Parfois, le désir d'enfant oblitère toute évaluation raisonnable des dangers. Après 35 ans, le risque d'accouchement prématuré augmente de 20 %, or l'on connaît les conséquences possibles d'une naissance avant terme : problèmes pulmonaires et digestifs, hémorragies cérébrales, complications neurologiques, y compris des retards de développement et des difficultés d'apprentissage.
Après 40 ans, on constate une plus grande incidence de la pré-éclampsie, du diabète gestationnel et de l'hypertension, trois problèmes qui peuvent être fatals au foetus comme à la mère. Le risque d'avoir un enfant autiste augmente de 40 % pour les femmes et de 50 % pour les hommes après 40 ans, avance Lisa Croen, chercheuse pour le consortium hospitalier Kaiser Permanente. L'âge paternel avancé est corrélé à des fausses couches, des cancers infantiles, des maladies auto-immunes et des troubles neuropsychiatriques tels que la schizophrénie."Tout le monde pense que ça n'arrive qu'aux autres", dit Isabel Blumberg, obstétricienne à l'hôpital Mount Sinaï. (En revanche, le risque de trisomie chute après 45 ans puisqu'il s'agit en majorité d'enfants nés d'un don d'ovule, et donc d'un ovule jeune.)
Et ces parents âgés ne sont-ils pas dans le déni de leur déclin ? Chacun sait que, la condition parentale, c'est la découverte perpétuelle qu'il est possible d'être encore plus fatigué. C'est s'accroupir, se relever, se pencher, porter, ramasser, se redresser. C'est changer des couches, être couvert de bave, et ne jamais dormir assez. Quand ils grandissent, les enfants ont besoin de faire du vélo, de courir, de jouer au foot. Comment un papa vieillissant peut-il suivre quand la force physique diminue de 15 % par décennie après 50 ans ? Où une mère de 65 ans puise-t-elle la force de faire respecter un couvre-feu par des adolescents ? Comment les vieux parents y arrivent-ils ? "Les enfants ont droit à au moins un parent dynamique et en bonne santé, avance la psychologue Julianne Zweifel, qui suit des couples stériles dans le Wisconsin. Ce n'est pas parce qu'on est vivant qu'on est dynamique et en bonne santé."
"Maman, il veut pas me le prêter." Le soleil brille sur la piscine découverte de Sea Cliff, une petite ville de Long Island, et les couleurs sont aussi vives que dans un film de Walt Disney. Kate Garros se tient debout dans le petit bain lorsque sa fille de 7 ans nage vers elle pour se plaindre de son frère jumeau. Ses enfants sont nés quand elle avait 53 ans, grâce à un don d'ovule. John et Alexandra s'agrippent à elle avant de s'élancer chacun de leur côté. Elle parle des écoles, des activités sportives et des vacances d'été tandis qu'ils vont et viennent pour lui montrer leurs acrobaties. Alexandra persuade sa mère de former avec ses bras un pont sous lequel plonger. Tout se passe bien la première fois, mais lorsqu'elle saute sur le bord de la piscine pour recommencer, la fillette marche sur le doigt de sa mère par inadvertance. "Ouille, ça fait très mal !" Kate a de l'arthrite, et sa fille a touché un point sensible. Plus tard, sur le parking, John pose une question qui révèle l'abîme qui les sépare."Maman, tu aimes [le chanteur] Cee Lo Green ?"
Selon les prévisions d'espérance de vie publiées par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, les enfants nés de parents de 50 ans perdront leur père à 25 ans et leur mère à 30 ans. Selon la sociologue Monica Morris, ils grandissent avec la conscience aiguë que leurs parents sont plus âgés que les autres, et s'inquiètent plus que leurs pairs de leur future disparition. Pour son livre Last Chance Children ("Les bébés de la dernière chance", Columbia University Press, non traduit), elle a interviewé 22 enfants adultes de parents âgés. L'une se souvient que, petite, elle se glissait hors du lit pour vérifier que sa mère respirait encore, un rituel nocturne habituellement effectué en sens inverse. "Elle était terrifiée à l'idée que sa mère puisse mourir", explique Monica Morris. Ces enfants savent aussi qu'ils ne pourront probablement pas compter sur leurs parents quand l'heure sera venue de réviser des examens, passer des nuits blanches au bureau ou s'occuper de leur propre progéniture en bas âge. Et leurs enfants n'auront peut-être pas de grands-parents.
Nancy London se trouve dans la position inconfortable de devoir se désavouer. En tant que coauteur du célèbre Our Bodies, Ourselves ("Nos corps, nous-mêmes", non traduit) publié en 1973, l'année où la Cour suprême légalisa l'avortement, elle était de ceux qui défendaient de façon convaincante que la biologie n'est pas une fatalité, et que les femmes devaient reprendre le contrôle de leur vie grâce à la contraception. Son livre Hot Flashes, Warm Bottles ("Bouffées de chaleur, biberons tièdes", Celestial Arts, 2001, non traduit), paru en 2001, donne des conseils empathiques aux femmes qui se retrouvent, comme elle lorsqu'elle eut sa fille à 44 ans, à devoir gérer à la fois des enfants en bas âge, des parents vieillissants et les émotions fortes de la ménopause.
MAIS POUR CETTE MILITANTE, PROCRÉER À 50 ANS, C'EST ALLER TROP LOIN. Elle estime désormais que les femmes qui remettent à plus tard la maternité car elles ont d'autres priorités ne vivent pas dans la réalité. Dans les années 1960, les féministes de la deuxième vague voulaient "une carrière, des voyages, des aventures sexuelles, en somme être libres, se souvient-elle. Puis la réalité nous a rattrapées. L'horloge biologique n'est pas une notion patriarcale inventée pour nous domestiquer. Etre mère fait partie de notre nature. Se réveiller à 50 ans en disant, zut, j'ai oublié d'avoir un bébé, montre un défaut de réflexion."
La fertilité a une échéance, la ménopause, qui survient vers 50 ans. "Pourquoi ne pas la respecter ?", demande Nancy London. A la cinquantaine, on fait le point, et on se prépare pour une autre phase de la vie, plus calme, moins dominée par l'ambition personnelle. Normalement, on ne passe pas ses journées à ramasser de la purée. Choisir d'avoir des enfants à 50 ans perturbe la trajectoire naturelle de l'existence. "C'est irresponsable", juge Nancy London. Et si l'on rencontre l'amour de sa vie à 50 ans et que le désir de fonder une famille nous saisit ? On peut toujours adopter, dit-elle. "Ou peut-être faut-il faire ensemble le deuil de ce désir d'enfant, et trouver d'autres moyens de se rendre utile."
Seulement, voilà : tous les arguments avancés jusqu'ici reposent sur le postulat qu'avoir des enfants passé un certain âge est "contre nature". Or, c'est aussi parce que le métissage était jugé "contre nature" que certains Etats américains prohibaient autrefois les unions interraciales. C'est encore au prétexte que l'homosexualité est "contre nature" que les conservateurs s'opposent au mariage gay. Pour les progressistes, cette notion de loi naturelle dissimule le plus souvent des préjugés personnels. Pourtant, les mêmes ne voient aucun problème à utiliser l'âge chronologique pour juger aptes ou inaptes les parents potentiels. Est-ce parce que le racisme antivieux reste la seule aversion acceptable dans la sphère politiquement correcte ?
Campés ostensiblement à la frontière entre la jeunesse et la vieillesse, les quinquas bousculent notre image des parents idéaux (jeunes, beaux et bien coiffés, comme dans les pubs). Ils transgressent et dérangent. Kate Garros l'a souvent ressenti."Les gens ne peuvent pas supporter les mères différentes de l'idée qu'ils s'en font." Les gens s'opposent à ces maternités tardives au nom de l'intérêt de l'enfant pour masquer le malaise moins avouable que leur inspirent les parents eux-mêmes. Mais ces objections sont hypocrites. Selon l'institut Pew Research Center, le nombre de grands-parents américains qui ont la garde de leurs petits-enfants a augmenté de 8 % entre 2000 et 2008, pour atteindre 2,6 millions. Pourtant, ils ne sont pas jugés inaptes. En outre, les études disponibles montrent que les enfants de parents plus âgés s'en tirent très bien.
En 2008, Brad Van Voorhis, chef du centre d'aide à la procréation de l'université de l'Iowa, décida d'évaluer les capacités intellectuelles des enfants conçus par fécondation in vitro dans l'espoir de dissiper des inquiétudes persistantes au sujet de leurs aptitudes cognitives. Son équipe compara les résultats aux tests standardisés de 463 enfants-éprouvette de 8 à 17 ans à ceux d'autres élèves de leurs classes. Le constat : les enfants issus de FIV avaient de meilleures notes dans chaque catégorie (lecture, maths, expression). Plus la mère était vieille, meilleurs étaient les résultats.
Van Voorhis suppute que ces enfants réussissent mieux car leurs mères, ayant attendu si longtemps pour les avoir, sont plus attentives. C'est une formule gagnante : "Moins d'enfants à la maison donc plus de temps à leur consacrer et plus d'argent pour leur éducation." D'autres recherches corroborent ces résultats. Dans une étude publiée en 2007 dans le journalFertility and Sterility, le directeur du centre d'aide à la procréation de l'université de Californie du Sud, Richard Paulson, avance que les quinquagénaires sont moins stressées que les mères plus jeunes. Incidemment, elles sont moins susceptibles d'employer une nounou. Bref, elles sont plus présentes.
Certaines données suggèrent même qu'avoir des bébés sur le tard prolonge l'espérance de vie. Professeur à l'université de Boston, Thomas Perls étudie les centenaires depuis 1995. Les femmes qui ont donné naissance après 40 ans, dit-il, ont quatre fois plus de chances que les autres de vivre jusqu'à 100 ans. Son étude, qui ne s'intéresse pas aux PMA ou à l'adoption, se contente d'établir un lien entre la bonne santé des fonctions reproductives et la longévité. Mais l'espérance de vie est complexe, et Perls émet l'hypothèse que la vie de parents – l'activité, la responsabilité, les obligations sociales – maintient en bonne santé. Les gens qui ont des enfants en bas âge prennent soin d'eux-mêmes, et prendre soin de soi permet de vivre plus vieux.
SELON PERLS, LA MÉNOPAUSE, qui marque la fin définitive de la fertilité naturelle d'une femme, est une relique de l'évolution. Il y a 10 000 ans, quand mourir à 50 ans était la norme et accoucher était dangereux à tout âge, la ménopause donnait ce que les scientifiques appellent "un avantage de survie". Elle protégeait l'espèce en permettant aux femmes, dans leurs dernières années, de se consacrer à leurs enfants existants sans prendre le risque fatal d'une grossesse. Mais aujourd'hui, l'Américaine moyenne vit jusqu'à 81 ans. A 50 ans, elle est loin d'être enterrée. C'est la première fois dans l'histoire universelle que l'on peut espérer fêter son cinquantième (voire soixantième) anniversaire en compagnie de l'un de ses parents. On trouve normal que trois ou quatre générations cohabitent sur une photo de mariage, mais cet allongement considérable de l'espérance de vie est un véritable luxe : un cadeau de la médecine moderne au monde développé. Perdre un parent à 30 ans n'est pas, à l'échelle de l'humanité, une tragédie.
Quand bien même perdrait-il un parent avant d'atteindre l'âge adulte, un enfant n'est pas condamné au malheur. Pour une étude parue dans la revue Developmental Psychology en 2009, des chercheurs de l'université d'Arizona demandèrent à 91 étudiants de porter des moniteurs mesurant les changements de leur pression artérielle, puis de noter les éventuels facteurs de stress (dispute avec un ami, embouteillage) qui les avaient précédés. La moitié des sujets avaient perdu un parent avant l'âge de 17 ans. Les autres venaient de familles intactes. Les psychologues constatèrent que les orphelins qui étaient proches de leur parent survivant supportaient bien les tracas de la vie quotidienne, alors que ceux qui se sentaient délaissés paniquaient au moindre problème. Plus étonnant, les étudiants dont les deux parents étaient en vie mais appartenaient à la catégorie des "surprotecteurs" se montraient presque aussi déstabilisés par des revers mineurs que les orphelins négligés.
En somme, être trop protégé peut causer plus de dégâts que perdre un parent. Selon ces chercheurs, "les études sur les animaux comme sur les humains montrent que des niveaux modérés de stress dans l'enfance sont associés à une meilleure gestion du stress à l'âge adulte". Dernier argument : qu'ils soient mariés ou non, hétéros ou homos, les parents de 50 ans ont souvent de l'argent. En moyenne, une PMA avec don d'ovule coûte 25 000 dollars, et jusqu'à 35 000 si les ovocytes proviennent d'une diplômée d'une grande université de l'Ivy League. Pour une mère porteuse, il faut compter 110 000 dollars, et ce n'est pas remboursé. Une adoption coûte entre 20 000 et 40 000 dollars.
Les ressources de ces parents âgés donnent à leurs enfants des avantages modestes mais significatifs. Mieux installées dans la vie, les femmes de 50 ans peuvent chaperonner des sorties scolaires sans s'inquiéter de répercussions au travail. Financièrement en sécurité, elles sont en mesure de prolonger leur congé maternité quand arrive le bébé.

Fiona Palin, 49 ans, et sa fille Kiki, 5 mois, vivent en Californie.

Quand ses enfants biologiques quittèrent le nid, l'agent littéraire Molly Friedrich, 59 ans, en adopta deux autres (aujourd'hui 9 et 14 ans) au Vietnam et au Guatemala, parce qu'elle ne trouvait pas "une seule raison de ne pas le faire"."Toutes les décisions que j'ai prises dans ma vie ont été assez impulsives, pour ne pas dire inconscientes, dit-elle. Nous avons de l'espace. Nous avons du temps et beaucoup d'amour à donner. Cela va sembler follement narcissique, mais entre passer vingt ans dans un orphelinat ou vingt ans avec mon mari et moi, il me semble qu'il n'y a pas photo. Ils ont plus de chances de s'épanouir avec nous que là où ils sont nés."L'aisance relative des parents âgés compense certaines de leurs insuffisances. Les démographes du ministère de la santé estiment que l'écart d'espérance de vie entre les Américains les plus riches et les plus pauvres atteint désormais quatre ans et demi (il était de trois ans en 1980). Il y aurait certes beaucoup à dire sur cette injustice, mais en ce qui concerne le bien-être des enfants, la bonne santé qui va avec l'argent est une croix dans la colonne des plus.
Et puis, comme disent les médecins, "il y a quinquagénaire et quinquagénaire". La clinique de Richard Paulson est réputée pour aider les femmes ménopausées à concevoir. Avant d'accepter de les traiter, il soumet ses patientes à une batterie de tests. Une séance de tapis roulant détermine si leur système vasculaire peut encaisser l'augmentation massive de volume sanguin qui accompagne une grossesse. Un électrocardiogramme évalue l'état de leur coeur et un psychologue sonde leurs motivations. Paulson déclenche aussi un cycle menstruel artificiel pour vérifier si l'utérus peut supporter une grossesse. Une fois ces obstacles surmontés, elles obtiennent le feu vert. "Ce sont de très jeunes quinquagénaires, assure-t-il. Vraiment."
Il le faut. Concevoir à 50 ans n'est pas facile. Même les médecins qui gagnent (très bien) leur vie en permettant à des quinquagénaires de procréer mettent en garde contre les illusions créées par les success stories médiatiques. Le traitement, disent-ils, est éprouvant et sans garantie. Le sociologue John Mirowsky, professeur à l'université du Texas, estime que l'âge idéal pour une première maternité est de 30 ans. A ce moment-là, la plupart des femmes ont terminé leurs études et trouvé un partenaire adapté. Elles ont la maturité nécessaire pour être mères et suffisamment de temps devant elles pour avoir d'autres enfants sans se heurter à leurs limites biologiques.
Mais, à 30 ans, une femme ambitieuse vient juste de démarrer dans la vie. Selon les données du recensement, les femmes diplômées qui ont leur premier enfant à 20 ans gagnent 50 000 dollars de moins, par an, que celles qui l'ont eu à 35 ans. Une étude du Families and Work Institute sur l'encadrement de dix grandes entreprises américaines révèle pour sa part que 35 % des femmes cadres retardent le moment d'avoir des enfants, contre 12 % de leurs homologues masculins.
CRUELLEMENT, L'AMBITION DES FEMMES reste souvent assimilée à de l'égoïsme, et celles qui se consacrent d'abord à leur carrière sont donc sommées de renoncer à leurs pulsions maternelles. Même les gays ne sont pas confrontés aux mêmes jugements, immunisés qu'ils sont par la plus grande bienveillance accordée aux paternités tardives. Quand l'acteur Tony Randall a un enfant à 77 ans, cela prête à sourire. Lorsque la photographe Annie Leibovitz devient mère de jumeaux à 56 ans, beaucoup moins. Sur les forums de parents, la caricature a la vie dure : celle d'une femme égocentrique et matérialiste qui un jour se réveille seule dans ses draps en coton égyptien, et se souvient qu'elle a oublié d'avoir un bébé. Elle va alors pleurer chez son médecin. S'il parvient à satisfaire son caprice, elle engage une nounou et retourne travailler.
Il existe certes des femmes inconséquentes. Mais la plupart de celles qui retardent la maternité veulent simplement les avantages non négligeables que seule la réussite professionnelle confère : un bon salaire, une assurance-maladie, une place dans la société. Et tout indique que leur nombre va augmenter. Les hommes sont plus frappés par le chômage, laissant la responsabilité des remboursements d'emprunt à leurs épouses. En 2010, près d'un quart des femmes gagnaient plus que leurs maris, contre 4 % en 1970. En somme, l'étau des injonctions contradictoires – faites des bébés ! gagnez de l'argent ! – n'est pas près de se desserrer. "Nous subissons une pression déraisonnable, avance Angel La Liberte, qui gère un site Internet destiné aux mamans matures. Nous sommes censées gérer un foyer, gagner de l'argent, et faire des enfants, le tout avant un certain âge."
A 50 ans, les imprudences n'aboutissent jamais à des grossesses accidentelles. Que ce soit grâce à la médecine ou par adoption, devenir parent implique de passer par une forme ou une autre d'enfer : paperasserie, prises de sang, attente, demandes de visa, sautes d'humeur, tensions conjugales, et un perpétuel recalibrage des attentes. Ces enfants sont les plus désirés qui soient. Leurs parents, diront certains, peuvent leur donner ce que les plus jeunes et plus beaux ne possèdent pas : la sagesse qui vient avec l'âge, et la conscience que la vie est un cadeau précieux.
Fiona Palin commença à essayer de concevoir en 2001, à l'âge de 38 ans. Après six fécondations in vitro et trois fausses couches (la dernière, de triplés), elle décida de renoncer. Elle reprit des études pour devenir consultante. Déprimée, elle essaya de s'occuper.
En août dernier, quand son mari et elle décidèrent d'utiliser leur dernier embryon, congelé depuis 2002, ils n'avaient "plus que leurs larmes", dit-elle. "Je me suis dit, ça ne marchera pas, ne te fais aucune illusion." Fiona apprit qu'elle était enceinte dans les toilettes d'un supermarché de Los Angeles où elle fit un test par acquit de conscience en prévision d'une soirée arrosée. "J'ai hurlé, j'ai pleuré comme une folle. Si on m'avait entendue, le service de sécurité aurait été envoyé. Puis je me suis ressaisie, et je suis allée retrouver Nick. Quand je le lui ai appris, il s'est mis à pleurer lui aussi. On était tous les deux en larmes sur le parking du supermarché." Selon son obstétricien, la grossesse de Fiona fut "sans faille".
Endormie contre la poitrine de son père, Katherine est un bébé rose et duveteux, un miracle des plus ordinaires. L'appartement du couple, près de Lincoln Center, est rempli de livres de puériculture. Un tire-lait repose sur le comptoir de la cuisine."Je n'avais pas de petits-enfants, alors j'ai décidé d'en fabriquer moi-même", plaisante Nick, aujourd'hui 63 ans.
Kiki, comme ils l'ont surnommée, n'aura jamais de frère ou de soeur. Elle ne connaîtra pas ses grands-parents. Le couple est lucide. Fiona, qui a grandi en Australie, songe à envoyer sa fille en pension dans son pays natal quand elle sera adolescente, dans l'espoir de "lui donner des soeurs".
"Si on s'en tient aux statistiques, je ne serai peut-être pas là quand elle aura 30 ans, reconnaît Fiona. C'est la réalité." Mais Nick et elle ne sont pas du genre à avoir des regrets. "Je n'arrête pas de pleurer, dit-elle. Je suis tellement heureuse. Je souhaite à tout le monde d'être aussi heureux."
 

LA FRANCE, PLUS STRICTE

La procréation médicalement assistée, réglementée par la loi de bioéthique, est, en France, strictement encadrée et ne permet pas les fécondations in vitro pour les femmes ménopausées ou les couples homosexuels. Ayant pour objet de "remédier à l'infertilité d'un couple" – qui doit être "médicalement diagnostiquée" –, elle est en effet réservée à un homme et une femme "vivants et en âge de procréer". La révision de cette loi, le 7 juillet 2011, a cependant introduit la possibilité de congeler des ovocytes, qui pourront donc désormais être conservés en vue d'une grossesse tardive.