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dimanche 11 février 2024

Théâtre Au festival Les Singulier·es, Tommy Milliot annonce la colère

 

par Laurent Goumarre   publié le 9 février 2024

Le metteur en scène fait retentir la verve de «l’Arbre à sang» et «Qui a besoin du ciel», portraits crus de femmes insoumises dans des dispositifs minimalistes.

Pas de grands gestes de mise en scène, pas de vidéo, pas de micro, Tommy Milliot, nouveau directeur du Centre dramatique national (CDN) Besançon Franche-Comté jette sur le plateau deux textes contemporains, littéralement coup sur coup. En un, l’Arbre à sang, de l’Australien Angus Cerini, en deux Qui a besoin du ciel de l’Américaine Naomi Wallace. Point commun : portrait de femmes au-delà des larmes.

Jouir du massacre

D’abord l’Arbre à sang, dispositif trifrontal pour trois chaises et trois femmes, une mère et ses filles, dans une ferme perdue quelque part en Australie, qui exposent par le menu l’assassinat de leur salaud de père. C’est leur récit de Théramène à elles : Ida lui pète les genoux, Ada la gueule et M’man l’achève à coup de calibre 12 dans la nuque «avec une balle dans le cou ta tête de crétin a l’air bien mieux qu’avant», avant de découper et filer tout ça à bouffer aux poules, et s’il en reste on en fera une soupe. C’est réglé, le calvaire a pris fin, dernier acte après des années de terreur familiale, quand «tout ce temps vous saviez, vous faites quoi vous et les autres hommes ? Vous laissez faire, vous laissez faire ce qu’il fait». Alors ce sont les femmes qui se cognent le sale boulot, trois femmes entre elles qui se racontent avec le sadisme jubilatoire du conte l’histoire de leur revanche. Comment ? en y allant direct, à cru, l’auteur a supprimé les pronoms ; ces femmes n’ont pas le temps de la grammaire.

Ça n’a rien à voir avec leur condition de péquenaudes white trash, mais avec la nécessité sauvage de cracher une langue primitive, où dire «je» n’a plus de sens. Est-ce que les bêtes disent «je» ? «Me demande juste si qu’on va aller en enfer», s’interroge Ida. «Si qu’en enfer on va alors c’est quoi qu’on vivait avant ?» assène la mère. Des phrases courtes, sans sujet, mais avec des verbes – pour passer à l’acte – et pas mal de compléments – pour jouir du massacre –, le tout bourré d’assonances qui créent du sens et du bruit, le texte travaille un rudimentaire poétique, comme la mise en scène qui compte sur ses trois comédiennes Lena Garrel, Dominique Hollier et Aude Rouanet pour faire le boulot. Et elles le font. Jusqu’à nous servir de la soupe en fin de partie. De la soupe populaire ? OUI.

Pause et c’est reparti pour une heure vingt avec Qui a besoin du ciel de Naomi Wallace. Cette fois il y a un décor, enfin, limité à deux murs ocre et une chaise sur laquelle est attachée Wilda Spurlock encore pour quelques jours histoire de décrocher. Wilda est complètement addicte aux opiacés que lui refile depuis des années son docteur. Une fois clean, elle ira faire chanter le patron de l’usine Kentucky Aluminium, elle sait des choses qui pourraient lui rapporter pas mal de fric et peser dans sa décision de fermer l’usine – ce qui plongerait la petite ville ouvrière du Kentucky dans une catastrophe sociale. Arrive sa locataire. C’est Annette Patterson, guide – mais pour combien de temps ? – dans les grottes du parc national de Mammoth Cave, une femme possédée par son sujet dont elle connaît l’histoire invisibilisée : «Ils t’ont appris que le vieux Jules [Verne] avait pas assez d’imagination pour inclure les esclaves qui trimaient tout au fond des grottes pour en extraire les salpêtres du sol ? […] que les premiers guides étaient des esclaves ? C’est eux qui ont ouvert l’âge d’or de la spéléologie !» Et de rappeler les noms de «Stephen Bishop, cet esclave métis qui fut l’un des plus grands explorateurs que Mammoth Cave ait jamais connus […] Will Garvin, Ed Hawkins ! Nick, Matt et Henry Brantford.»

Faire acte de résistance

Qui a besoin du ciel est l’émancipation de ces deux femmes fragilisées mais combattantes des classes populaires qui dévient du «tracé officiel», et embarquent dans leur colère les sept autres personnages tout aussi cassés. Le texte absolument formidable de Noami Wallace travaille à plein régime la métaphore des grottes – ou comment explorer des voies souterraines pour faire acte de résistance – sans jamais céder au kitsch. Mais côté mise en scène, Tommy Milliot pèche par son application, et trouve, une fois encore, sa force dans ses deux actrices impressionnantes Catherine Vinatier et Marie-Sohna Condé, bien au-dessus du reste d’une distribution malheureusement inégale.

L’Arbre à sang d’Angus Cerini. Qui a besoin du ciel de Naomi Wallace. Mises en scène de Tommy Milliot, jusqu’au 10 février au festival Les Singulier-es au Centquatre. Du 3 au 6 avril et du 10 au 12 avril à La Criée Théâtre national de Marseille.


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