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samedi 17 février 2024

Incidents graves aux urgences : des drames qui questionnent familles et soignants

Par  et    Publié le 14 février 2024 

Faute de remontées systématiques, et donc de chiffres solides, il est difficile de savoir si les défauts de prise en charge, comme les retards ou les erreurs de prescription, augmentent. Mais, dans les hôpitaux, nombreux sont ceux qui déplorent des moyens insuffisants.

Ces derniers mois, plusieurs décès aux urgences ont nourri les pages des journaux et la chronique des défaillances supposées des hôpitaux. Ces drames auraient-ils pu être évités ? C’est l’histoire de Lucas, 25 ans, mort aux urgences d’Hyères (Var), après plusieurs heures passées sur un brancard, fin septembre 2023, et dont les parents portent aujourd’hui l’affaire en justice. Celle d’une patiente âgée, à Nantes, décédée le 2 janvier après quatre heures dans la « file d’attente », alors que d’autres histoires similaires sont remontées de Strasbourg, de Grenoble, de Bordeaux… Dans cette dernière ville, durant l’été 2023, l’émotion a été vive après le parcours chaotique d’une femme enceinte, ballottée de service en service, dont le bébé est mort à l’hôpital.

Ces incidents donnent l’impression de se multiplier, même si rien ne permet de l’affirmer catégoriquement – ni de l’infirmer. Dans le jargon de la santé, on parle d’« événement indésirable grave associé aux soins » pour qualifier un événement inattendu au regard de l’état de santé et de la pathologie du patient, et dont les conséquences sont soit le décès, soit la mise en jeu du pronostic vital, ou encore la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent.

Année après année, les données publiées par la Haute Autorité de santé (HAS) sur le sujet sont certes à la hausse – soit 2 385 incidents en 2022 contre 1 874 événements en 2021 –, mais la HAS le reconnaît elle-même : l’évolution est à mettre au crédit d’une « culture » de la déclaration qui progresse dans les établissements de santé, où ces événements sont loin de remonter systématiquement. Ils sont au contraire largement sous-déclarés, souligne la HAS. Ces chiffres recoupent des situations diverses, allant du défaut ou du retard de prise en charge à l’erreur de diagnostic ou médicamenteuse, de la prescription inadaptée jusqu’aux complications d’un acte thérapeutique.

Un « symptôme » de la crise de l’hôpital

« Il n’y a aucun instrument de mesure solide, confirme Marc Noizet, le patron de SAMU-Urgences de France. Ce qui est certain, c’est que rien ne permet aujourd’hui à ces incidents de diminuer, alors que le nombre de services asphyxiés ne cesse de progresser. » Sans surprise, les urgences, porte d’entrée de l’hôpital, sont bien souvent pointées.

« Les urgences sont par essence un milieu à risque, rappelle Mathias Wargon, chef des urgences à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Parce que les patients, dont on ne connaît pas toujours l’historique, y arrivent très nombreux, que les équipes tournent beaucoup, que les interruptions de tâches sont fréquentes, que chaque soignant peut avoir à suivre dix, douze, quinze patients en même temps, explique l’urgentiste. Et, dans cette course contre la montre engagée pour trouver le bon diagnostic, c’est parfois la maladie qui l’emporte. » D’autres médecins le rappellent : les urgences constituent aussi un lieu de « rupture », voire de « brutalité », car les familles ou les proches ne sont souvent pas admis à l’intérieur de ces services, contrairement à d’autres étages de l’hôpital.

Certains de ces décès sont désormais dénoncés, et pas seulement par les familles des patients, comme un « symptôme » de la crise de l’hôpital et une conséquence d’un défaut de moyens. Le constat sur le terrain fait l’unanimité : les urgences, que le président de la République, Emmanuel Macron, s’est engagé à « désengorger », d’ici à la fin de l’année, sont saturées faute de trouver des « lits d’aval »pour hospitaliser leurs patients.

Pour alerter sur la situation, il y a déjà plus d’un an, SAMU-Urgences de France s’était lancé dans le recensement des « morts inattendues », c’est-à-dire ces décès intervenant dans des conditions jugées indignes, sur un brancard, dans un couloir… Le syndicat a finalement cessé de les dénombrer face à l’émotion suscitée jusqu’aux cercles de soignants. Il était arrivé au chiffre de 43, entre décembre 2022 et janvier 2023, en estimant que ces décès pourraient être trois fois plus nombreux.

Huit heures d’attente sur un brancard

Ces affaires, quand elles sont médiatisées, sont toujours complexes à décrypter. Entre des proches qui, souvent, prennent la parole, des hôpitaux tenus au silence par l’enquête, interne ou judiciaire, ou le secret médical, des syndicats de soignants qui alertent sur des services au bord de l’explosion, et un temps de la procédure administrative et judiciaire nécessairement plus long, il est rarement possible de reconstituer le fil exact de ces drames.

A Hyères, les derniers SMS que Lucas a écrits à ses parents, et qui ont été diffusés dans la presse, sont glaçants. « Je me plains à tout le monde que j’ai du mal à respirer, mais personne ne fait rien. » Quatre minutes plus tard : « Je sais plus quoi faire, j’ai tellement mal. » Venu pour une douleur à l’abdomen, le jeune homme est mort d’une septicémie après huit heures d’attente sur un brancard dans un couloir, selon Le Parisien.

En face, la direction de l’établissement ne s’exprime pas sur le fond, invoquant la procédure judiciaire ouverte et le secret médical. Elle fait savoir au Monde que, conformément à la procédure des événements indésirables graves, elle a procédé à une déclaration et à une « analyse collective, rétrospective et systémique » de ce qu’il s’est joué cette nuit-là.

Interpellée à la radio sur la mort du jeune homme, la ministre du travail, de la santé et des solidarités, Catherine Vautrin, a avancé une réponse technique, jugée par de nombreux médecins « à côté du sujet ». Après avoir assuré qu’une enquête de l’inspection générale des affaires sociales était ouverte, elle a affirmé qu’« au-delà de ce drame, le service d’accès aux soins est aujourd’hui une [de ses] priorités ». Cette référence au dispositif de coordination entre le SAMU et la médecine de ville, visant à mieux répondre aux demandes de soins non programmés, a semblé déconnectée de l’histoire de Lucas, qui, lui, avait bien été admis aux urgences.

« Ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux. Je dirais même qu’ils sont probablement récurrents, mais ils gagnent en visibilité à chaque période de crise, explique la sociologue Déborah Ridel, qui a soutenu une thèse sur les violences aux urgences. Dans la presse, sur les réseaux sociaux, ce sont souvent les patients que l’on entend s’exprimer, mais, très souvent, derrière ces histoires qui “sortent”, on trouve aussi des soignants mobilisés. »

Une régulation à l’entrée des urgences

En décembre 2018, quelques mois avant l’agression de soignants à l’hôpital parisien Saint-Antoine – l’un des points de départ d’une mobilisation des hospitaliers de près d’un an –, le sort d’une patiente retrouvée morte, à l’hôpital Lariboisière, situé aussi à Paris, après douze heures sur un brancard, avait provoqué une forte émotion. Un événement qui peut apparaître comme un « signal avant-coureur », selon la chercheuse, de la contestation inédite qui a suivi. « Aux urgences, l’objectif professionnel partagé, c’est de sauver les patients en les adressant vers le service adéquat. Ne pas pouvoir le faire parce que le patient décède avant est toujours vécu comme un échec collectif. »

Avec le recul de quelques mois, à Bordeaux, la conclusion de l’enquête interne vient finalement écarter la question de la prise en charge, à propos de cette jeune femme enceinte de sept mois, dont le bébé est décédé, alors qu’un système de régulation à l’entrée des urgences venait d’être mis en place pour tenir au cœur de l’été. « Il ne semble pas que le retard soit responsable de ces suites tragiques. L’organisation estivale n’a pas eu d’impact sur l’évolution de la patiente. Son parcours erratique a complexifié les choses. Il est problématique, mais, au final, elle était au bon endroit au moment de sa prise en charge », rapporte Renaud Jacquemin, chef des urgences de Pellegrin, au CHU de Bordeaux.

Saturé et en sous-effectif, le service bordelais a été l’un des premiers à « fermer » ses portes en passant à une régulation généralisée à l’entrée, dès l’été 2022, renvoyant au 15 pour accéder au service. Un fonctionnement maintenu à l’été 2023, et qui est, depuis quelques semaines, appliqué seulement la nuit et le week-end.

Au-delà de cette sensible question de la régulation, la tension demeure, et les événements indésirables graves ne « diminuent pas », reprend le docteur Jacquemin. En une semaine, fin janvier, il a dû déclarer deux décès intervenus après de longues heures dans son service. « Il y a des patients impossibles à sauver, mais là, ce sont des décès qui interrogent », résume-t-il. Il évoque le cas d’une patiente restée plus de vingt-quatre heures aux urgences, faute de place pour l’hospitaliser, et surtout celui d’un décès intervenu après un délai d’attente pour voir le médecin de quatre heures. Ce dernier patient avait pourtant été « trié » à son arrivée comme de « niveau 2 », c’est-à-dire devant être vu dans les vingt minutes. « On peut se demander, s’il avait été vu plus vite, si cela aurait permis de le sauver », explique le médecin, qui rappelle que ces délais ne sont malheureusement pas du tout exceptionnels.




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