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jeudi 15 février 2024

Témoignages Rémunération au taux horaire pour les infirmiers libéraux : «Les patients sont mieux soignés»


 


par Solange de Fréminville, correspondance à Montpellier  publié le 13 février 2024

Le dispositif Equilibres, alternative à la décriée tarification à l’acte, rencontre des échos très favorables chez les professionnels l’ayant expérimenté depuis quatre ans. «Libération» en a rencontré trois dans le Gard.

Une organisation qui change tout : 180 infirmières et infirmiers libéraux de trois régions (Ile-de-France, Hauts-de-France et Occitanie) ont expérimenté pendant près de quatre ans un dispositif de rémunération au taux horaire, en lieu et place de la tarification à l’acte habituellement pratiquée, et critiquée par les soignants qui manifestent cette semaine dans plusieurs villes pour protester contre leurs conditions de travail. Les professionnelles (car il s’agit en grande majorité des femmes) ont ainsi le champ libre pour faire, en plus des soins techniques, de l’éducation thérapeutique, du soutien relationnel, et travailler en équipe. Fin décembre, le ministère de la Santé a autorisé au niveau national ce dispositif, baptisé Equilibres, pour une phase transitoire de dix-huit mois, destinée à le généraliser. Deux infirmières et un infirmier du Gard racontent à Libération en quoi ce nouveau système de rémunération, associé à une approche globale de la santé, a changé leur pratique professionnelle et redonné du sens à leur métier.

«Je suis l’infirmière que j’ai envie d’être»

Laurianne Derreux, 46 ans, Vauvert

«Avant, je courais, et c’était frustrant parce que la nomenclature des actes est très restrictive. Pour les cancers, il n’y a presque rien. Avec Equilibres, mon intervention n’est pas limitée aux injections prescrites après une chimiothérapie. J’ai une patiente qui a un cancer du sein. Quand elle m’a contactée, j’ai pu faire une évaluation clinique qui prend tout en compte, le physique, le psychologique, l’environnement et le comportement de la personne vis-à-vis de sa santé. Ensuite, à chaque visite à domicile pour les injections, on prend le temps, elle me dit ses angoisses, on parle des effets secondaires et je soulage ses symptômes, si besoin en demandant au médecin de faire une nouvelle ordonnance.

«Pour un autre patient qui a un diabète, je lui ai appris à mesurer son taux de glycémie et faire des injections d’insuline. Ce qui lui a permis d’être autonome dans les soins, et à moi de redéployer mon temps pour des cas plus complexes, comme cette patiente grabataire atteinte de la maladie d’Alzheimer, qui avait de plus en plus de raideurs, de douleurs, et qui s’opposait aux soins d’hygiène. Avec une stagiaire, on l’a massée de la tête aux pieds avec une crème hydratante, en musique, pendant une heure. Quand on est repassé le soir, elle dormait comme un bébé, et le lendemain matin, pareil. Equilibres nous permet de vivre ça : de l’humanité dans les soins. C’est ce qui me fait vibrer. Pour une autre patiente, j’ai organisé une réunion avec sa fille et son mari et tous les intervenants. Cela a permis d’écouter ce que chacun perçoit, de savoir comment il contribue à la prise en charge, et de faire en sorte que ce soit plus vivable pour elle. Ça soude, chacun se sent considéré, et c’est du temps gagné. Et moi, je suis l’infirmière que j’ai envie d’être.»

«Jamais je ne reviendrai à la tarification à l’acte»

Emilie Etienne, 36 ans, Alès

«J’ai choisi ce métier pour prendre soin des gens. Si je voyais qu’un patient n’allait pas bien, je retournais le voir dans la journée. Si je devais faire un pansement sur sa jambe, mais qu’elle n’était pas propre, je proposais une toilette et je prenais le temps… Tout ce travail, je ne pouvais pas le facturer, alors qu’avec Equilibres, il est valorisé. On est formé à l’éducation thérapeutique : bien écouter et communiquer, faire de la prévention. On peut aussi montrer aux patients comment faire eux-mêmes leur pansement ou une injection, s’assurer qu’ils y arrivent, surveiller… Pour eux, c’est un soulagement, parce qu’ils font le soin quand ça les arrange et, s’ils ont une question, ils nous appellent. Et moi, cela me permet de soigner quelqu’un d’autre. Quand un patient me dit qu’il a mal quelque part pendant la visite, je prends le temps de comprendre d’où vient la douleur et de le soulager. Plus besoin d’aller chez le médecin pour ça si mon intervention a suffi pour qu’il aille mieux.

«L’autre intérêt majeur du dispositif, c’est d’être accompagné par des facilitateurs. Ils nous forment et ensuite nous coachent pour qu’on travaille en équipe autogérée. Mes deux remplaçantes ont leur mot à dire. Par exemple, pour une nouvelle prise en charge, chacune doit donner son accord. On décide ensemble. On a appris à tenir nos réunions, avec un ordre du jour et chacune un rôle : l’une lance les sujets, l’autre gère le temps, une autre prend des notes. Quand il y a un problème au sein de l’équipe, la facilitatrice nous aide à le régler. Tout ça a amélioré ma qualité de vie. Jamais je ne reviendrai à la tarification à l’acte.»

«Je suis moins speed»

Dominique Jakovenko, 60 ans, à Saint-Christol-lez-Alès

«Dans la nomenclature des actes, le forfait de soins le plus élevé est de 28 euros, alors qu’avec Equilibres, on est rémunéré au temps passé, on peut faire de la coordination et de l’éducation thérapeutique. Ça change tout. Nous avons pris en charge un homme âgé à sa sortie d’hôpital. Trachéotomie, oxygène, alimentation par gastrostomie, trois escarres : il avait besoin de quatre heures et quart de soins par jour. En quatre mois, nous l’avons rendu autonome dans les soins et nous avons formé sa femme aux soins d’urgence. J’ai aussi appelé l’assistante sociale de secteur et préparé le dossier de demande de l’allocation personnalisée d’autonomie. Ce qui a permis rapidement de faire venir une auxiliaire de vie six heures par semaine. Pour la femme de ce patient, qui était épuisée, c’était précieux. Elle a pu sortir, s’occuper d’elle… Je peux aussi accompagner des patients chez leur médecin. Ça m’est arrivé pour une dame qui avait des problèmes de tension et de fréquence cardiaque, et qui ne comprenait rien. Le cardiologue était surpris. Mais il a fait une échographie et il a répondu à mes questions. On peut aussi réduire la médication. Si vous saviez le gaspillage, les armoires remplies de médicaments… Comme je suis rémunéré pour la coordination, je prends le temps d’appeler le pharmacien et je ne commande que ce dont le patient a besoin. Je suis moins speed, je ne bouscule plus mes patients. Ce n’est pas seulement que je passe plus de temps avec eux, c’est aussi que je valorise ce qu’ils font par eux-mêmes. Je réponds à leurs questions, à leurs besoins, autant pour la surveillance clinique que pour leur bien-être mental. Les patients sont mieux soignés.»


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