Publié le 06 février 2024
TRIBUNE
Un collectif alerte, dans une tribune au « Monde », sur les stéréotypes et les idées fausses associés à la schizophrénie et aux conséquences néfastes pour les personnes concernées. Et appelle à un débat national inclusif pour changer cette terminologie.
Introduit pour la première fois en 1911 par le psychiatre suisse Eugen Bleuler, le terme « schizophrénie » vient du grec schizo (qui signifie « fendre ») et phren (qui fait référence à l’esprit). Le terme est aujourd’hui employé en psychiatrie pour désigner des troubles psychiques sévères et persistants dont les causes sont encore mal comprises. Les représentations sociales négatives et les conséquences de stigmatisation qui y sont attachées sont bien connues et néfastes, à tel point que les personnes concernées sont susceptibles d’en souffrir davantage que du trouble lui-même.
Les stéréotypes et idées fausses qui circulent sur la schizophrénie sont encore trop souvent relayés par les médias, qui associent schizophrénie et dédoublement de personnalité ou duplicité, schizophrénie et violence/criminalité, ou schizophrénie et extrême dangerosité. La société s’est donc construit une représentation sociale des personnes atteintes de ces troubles particulièrement péjorative, éloignée de la réalité et de leur vécu.
Sur la forme, Jim Van Os – professeur de psychiatrie à l’université de Maastricht, aux Pays-Bas – estime qu’il est nécessaire de changer de vocabulaire pour changer la façon de penser la schizophrénie, et nous a invités, dès 2009, à nousdébarrasser de ce terme pour la qualifier. En France, au regard du mésusage outrancier du mot, de l’ignorance de sa définition et de ses conséquences néfastes pour les personnes concernées, une évolution de la terminologie s’impose.
Sur le fond, la fiabilité et la validité scientifique du terme « schizophrénie » font l’objet de vifs débats. En mars 2012, les membres de l’International Society for Psychological and Social Approaches to Psychosis (ISPS) ont voté à une majorité écrasante pour le changement de nom de leur organisation, nommée auparavant International Society for the Psychological Treatments of the Schizophrenias and Other Psychoses. Les deux principales raisons avancées en faveur du changement étaient que le terme « schizophrénie » est stigmatisant et qu’il n’est pas scientifique.
Participation des usagers et des aidants
Le Japon est le pays pionnier de cette démarche. En 2002, le mot « schizophrénie » – seishin bunretsu byo (« maladie déchirée de l’esprit ») – a été officiellement remplacé par togo shitcho sho (« trouble de l’intégration »). Le processus, lancé en 1992 par les familles d’usagers, aura mis dix ans à aboutir. Depuis, la proportion de patients informés de leur diagnostic a doublé, passant de 36 % en 2002 à 70 % en 2004.
Une étude relative à la participation des usagers et des aidants à la relecture de la Classification internationale des maladies dernière version (CIM-11) a été conduite par le centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS), en 2018. Menée dans seize pays, dont la France, elle était la première à consulter les personnes vivant avec un trouble psychique et leurs aidants sur leur compréhension des caractéristiques cliniques de troubles psychiques.
Les résultats montrent que le concept de schizophrénie est très mal compris et non admis. Les taux de compréhension et de reformulation sont apparus hétérogènes entre les pays, et des propositions de reformulation du diagnostic ont été faites dans plus d’un tiers des cas. Ces résultats s’accordent avec la prise de parole récente des personnes concernées qui expriment ne pas se reconnaître dans le diagnostic et réclament que leurs voix se fassent davantage entendre !
Le CCOMS a monté, en 2020, un groupe de travail incluant l’ensemble des parties prenantes. Ses travaux ont fait état de la littérature sur le sujet et ont mené une série de webinaires, donnant respectivement la parole aux usagers, aidants, chercheurs, historiens, philosophes, psychiatres, etc. Chacun était interpellé sur les arguments soutenant ou contredisant l’intérêt d’un changement de nom et de concept, et était invité à étayer des propositions de changement. Celles-ci apparaissaient complexes à élaborer néanmoins, et les débats ont communément adopté une volonté de modification du concept et du nom et identifié la nécessité d’un travail de fond collectif pour y parvenir.
Le dialogue, une piste d’avenir
Aujourd’hui, le débat apparaît inévitable devant l’inconsistance scientifique du concept, la stigmatisation que le terme véhicule et la façon dont il entrave le rétablissement des personnes. Alors que la notion de « rétablissement » est désormais reconnue et promue en psychiatrie, où l’empowerment (« autonomisation ») des usagers et aidants est mis à l’agenda, où les rapports soignants soignés sont en pleine mutation et où le dialogue ouvert et partagé apparaît être une piste d’avenir, la psychiatrie française doit prendre la responsabilité d’une évolution de ses pratiques de soins et supprimer les « troubles schizophréniques » des classifications des troubles psychiques.
Nous appelons ainsi à un débat national inclusif, impliquant la population générale, les décideurs, les professionnels du champ de la santé mentale, les chercheurs, les usagers et les aidants. Il doit viser une contribution commune exigeante et doit être le moteur d’un travail collectif international porteur d’espoirs. Il soutiendra une démarche informative, transparente et collaborative, au service des personnes vivant avec un trouble psychique et de leurs proches aidants.
Premiers signataires :
Deborah Sebbane et Jean-Luc Roelandt, directrice et directeur-adjoint du Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé (CCOMS) pour la recherche et la formation en santé mentale ; Fabienne Blain, présidente du Collectif Schizophrénies ; Aude Caria, directrice de Psycom ; Philippe Guérard, président d’Advovacy France ; Maeva Musso, présidente de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA) ; Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam).
Françoise Askevis-Leherpeux, professeure émérite de psychologie sociale ; Nicolas Belot, Master 2 Celsa et communicant ; Bénédicte Chenu, membre du Collectif Schizophrénies ; Vincent Demassiet, président du Réseau français sur l’entente de voix (REV France) ; Patrice Desmons, philosophe, psychanalyste et consultant au CCOMS ; Nicolas Franck, professeur de psychiatrie, responsable du Centre ressource de réhabilitation psychosociale ; Jean-Yves Giordana, psychiatre, CODES 06 – Coordinateur PTSM 06 ; Hervé Guillemain, professeur d’histoire contemporaine Le Mans Université – Laboratoire TEMOS CNRS 9016 ; Marie Koenig, responsable pédagogique à Alfapsy ; Marine Lardinois, psychiatre, membre du conseil d’administration de l’AJPJA ; Patrick Le Cardinal, psychiatre, chef de service , CHS de la Savoie, à Chambéry ; Laurent Lefebvre, administrateur à l’Unafam ; Henri-Georges Muller, patient et adhérent à Schizo Oui ; Jean Naudin, professeur de psychiatrie, philosophe, chef de service à l’AP-HM, Aix-Marseille-Université ; Corinne Oddoux, membre du Collectif Schizophrénies ; Bernard Pachoud, professeur de psychopathologie, université Paris cité, UFR Institut humanité, sciences et société ; Centre de recherche psychanalyse, médecine et société (CRPMS) ; Daniel Sechter, professeur émérite de psychiatrie, université de Franche-Comté ; Livia Velpry, sociologue, université Paris 8, CERMES 3 ; Jocelyne Viateau, co-présidente du comité scientifique de l’Unafam ; Matthieu de Vilmorin, patient et adhérent à Schizo Oui.
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