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mercredi 14 février 2024

Soixante-dix ans après l’appel de l’abbé Pierre, des Français se cotisent pour loger des familles sans domicile

Par  (Envoyée spéciale).  Publié le 01 février 2024

Créée en 2010 à Tours, l’association Emmaüs 100 pour 1 accompagne et met à l’abri, sans limitation de durée, des parents et leurs enfants. Soixante-dix collectifs similaires, dont les adhérents versent chacun au moins cinq euros par mois, ont vu le jour en France.

Un employé de la communauté Emmaüs dans un magasin de seconde main d’Emmaüs à Brest, le 30 mai 2023. 

« C’est un jour inoubliable. » Le 27 décembre 2023, Jalila Touadjine et ses quatre enfants ont emménagé au 16e étage d’un HLM du quartier des Rives du Cher, à Tours. Les premiers temps, la cadette, âgée de 2 ans, arpentait le trois-pièces en disant : « notre maison est belle », raconte avec le sourire la mère de famille de 38 ans, elle aussi comblée. « C’est grand, sécurisé, au chaud, calme, stable… » Un havre, dix-huit mois après que cette diplômée d’un master en informatique a quitté l’Algérie, avec un visa de tourisme, parce qu’elle craignait pour la vie de sa fille, née après trois garçons et atteinte d’une grave parasitose.

Elle a choisi Tours parce qu’un médecin, sur le ferry, lui en avait recommandé l’hôpital. L’enfant y a été plusieurs fois hospitalisée. Il a fallu vivre « à droite et à gauche », passer des nuits dans des voitures, une maison abandonnée, à la rue, faute d’obtenir souvent des places en hébergement d’urgence. « Il y a eu des moments durs », confie Jalila Touadjine. Surtout quand elle a compris qu’on risquait de lui retirer la garde de ses enfants.

Elle n’en finit pas de remercier les bénévoles d’Emmaüs 100 pour 1 : « Ils m’ont donné un toit, des meubles, et aussi plus de courage pour continuer. » Cette association a été créée en 2010, à Tours, avec une idée simple : cent personnes s’engagent à verser chacune au moins cinq euros par mois pendant deux ans, afin de procurer un logement à une famille et de l’accompagner jusqu’à ce qu’elle retrouve son autonomie.

Soixante-dix collectifs

Jean-Luc Morigny fut l’un des premiers adhérents : « Nous étions une vingtaine à nous retrouver lors de cercles de silence, en soutien aux sans-papiers, et on se cotisait pour que des familles aillent à l’hôtel. Jeannette et Philippe Garnier ont réfléchi à une solution pérenne, qui fasse aussi vivre la mémoire de l’abbé Pierre. » 100 pour 1 a ainsi intégré Emmaüs, proposant une solution complémentaire aux communautés du même nom, souvent réservées aux personnes isolées.

« Pas grand monde pensait qu’on y arriverait, nous compris », raconte l’ancien bouquiniste, aujourd’hui âgé de 79 ans. Et pourtant… L’association tourangelle compte désormais 700 adhérents. Quatorze familles sont logées et accompagnées par des bénévoles. Une dizaine d’autres n’en ont plus besoin. « Il y a même une famille d’Albanais qui a acheté une maison, et une autre un appartement », salue la présidente, Sophie Jouhet, orthophoniste à la retraite.

L’association 100 pour 1 a aussi réussi à essaimer, partageant conseils et statuts. Environ soixante-dix collectifs se sont constitués à travers la France, mais seulement un en Ile-de-France, où le montant des loyers a découragé les contributeurs potentiels − c’est pourtant là que les personnes à la rue sont les plus nombreuses. Une petite part de ces collectifs s’est affiliée à Emmaüs. « L’important est que cela se développe, que chacun puisse faire quelque chose sur le terrain, alors qu’il y a toujours des personnes à la rueexilées ou non,fait valoir le président d’Emmaüs France, Antoine Sueur. 100 pour 1 est un beau prolongement de l’appel que l’abbé Pierre a lancé il y a tout juste soixante-dix ans. »

« On fait le boulot de l’Etat »

A Tours, Maryline Minière est en train de chercher de nouveaux adhérents pour offrir un toit à un jeune couple d’Arméniens et à ses enfants, rencontrés par l’association Réseau Education sans frontières (RESF), qui défend la régularisation de familles sans-papiers aux enfants scolarisés. Les cotisations permettront de payer, chaque mois, le loyer et les charges auprès d’un bailleur social partenaire et de verser une allocation de 300 euros à la famille. Cette enseignante retraitée n’en revient pas d’avoir obtenu, en seulement un mois et demi, 790 euros de promesses de dons mensuels, auprès d’une trentaine de personnes : « des jeunes qui n’ont pas beaucoup de moyens et ne bénéficient pas des réductions d’impôts sur les dons, des parents d’enfants hyper choyés, des retraités…, raconte-t-elle. Il y a beaucoup de gens de gauche, mais aussi d’autres qui me demandent pourquoi les exilés ne bossent pas. J’explique qu’ils n’en ont pas le droit, je rappelle aussi qu’ils n’ont pas quitté leur pays juste pour profiter de la “Sécu”… Je fais cela par engagement politique ».

La hausse du nombre de familles à la rue pèse sur le moral des adhérents. « On fait le boulot de l’Etat qui a la responsabilité d’héberger tout le monde », remarque Jean-Luc Morigny. « Il n’y a rien de plus difficile que de devoir hiérarchiser les nombreuses demandes d’aide que l’on reçoit », déplore Valérie Capian, bénévole de 64 ans. « Nous sentons un durcissement des régularisations, qui risque de retarder la possibilité pour ceux que l’on accompagne de travailler et de se loger par eux-mêmes ! On est finalement plus inquiets des évolutions législatives que de la supposée xénophobie des gens », confie Sophie Jouhet.

Jalila Touadjine pense déjà à la suite. Elle continue de faire du bénévolat pour quatre associations – Emmaüs 100 pour 1 encourage à s’investir auprès d’une association, mais la mère de famille avait commencé bien avant –, suit une formation à la conduite à vélo et repasse le code de la route, avec l’espoir d’obtenir une régularisation par le travail, probablement en tant qu’auxiliaire de vie. « Je veux libérer le plus tôt possible ma place ici. Et j’ai donné une consigne à mes enfants : n’oubliez jamais la date du 27 décembre, travaillez à l’école et, quand vous serez grands, cotisez à Emmaüs 100 pour 1, pour sauver une famille. »


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