Publié le 13 mai 2023
Le magistrat honoraire Alain Blanc répond, dans une tribune au « Monde », à la lecture très critique du film de la réalisatrice Jeanne Herry faite par le président de la Ciivise, Edouard Durand. Et défend la pertinence de la justice restaurative pour les victimes de violences sexuelles.
La tribune d’Edouard Durand, président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), est surprenante au point qu’elle risque même d’affaiblir la cause ô combien légitime de la commission qu’il préside : le magistrat la justifie par « le risque de briser l’adhésion unanime au film Je verrai toujours vos visages », dont il craint qu’elle ne provoque une « minimisation de la gravité des violences sexuelles et de la dangerosité des agresseurs », en se référant à un propos extrait du film traitant d’une affaire d’inceste entre frère et sœur : « C’est tout de même moins grave qu’un cancer. »
Il feint d’ignorer que cette phrase est prononcée par un personnage du film à un moment donné. Et que ce personnage, comme tous les autres, évoluera à ce sujet dans le cadre et grâce à un dispositif de « justice restaurative » ici « fictionnalisé ».
Et que le film rend compte précisément sur ce point – avec énormément de finesse, ce qui contribue à sa qualité, à sa crédibilité – de l’évolution de tous les personnages, qu’il s’agisse des auteurs de violences comme des victimes.En tant que président de la Ciivise, Edouard Durand cible dans sa critique l’ensemble du dispositif de « justice restaurative », et donc bien au-delà du film, à partir du cas qui traverse le film, sans doute le plus complexe et donc le plus riche. C’est en effet l’une des grandes qualités du film, parfaitement illustrée dans cet exemple qui pourrait être un cas d’école. On n’en reste pas au schéma binaire de la victime qui dit toujours vrai, et qu’il faut donc croire en raison de son statut, de son état de victime, et face à elle, la figure de l’agresseur qui est évidemment violent et menteur.
Travail de médiation
Ici, la victime admet avoir menti aux enquêteurs. Pas sur l’essentiel, mais sur des points précis. Et elle explique pourquoi. Et on la comprend : pour être crue sur l’essentiel. Et c’est classique, mais pour cela, pour qu’elle aussi s’en libère, il a fallu ce travail de médiation, dont Edouard Durand conteste par ailleurs le bien-fondé par principe. En ne disant rien de ce qu’il en est ici : ce travail – car c’en est un – est fait dans le cadre d’une méthode, d’un protocole et d’une supervision par des professionnels formés.
Quant à l’auteur des viols, on ne le voit qu’à la fin d’un long, laborieux et douloureux travail avec la victime. Celle-ci veut absolument « avancer » depuis le procès. On comprend qu’elle est « ambivalente » : elle en veut évidemment à son frère des faits qu’il a commis, qu’il a avoués, qui ont été jugés et condamnés ; elle craint de le revoir, mais elle a aussi envie, sans le dire, de cette confrontation « encadrée » dans ce dispositif complexe qu’est celui de la justice restaurative.
Et, surtout, la tribune esquive une part importante de la vérité du film : la « médiation » ne réussit pas vraiment. Elle ne débouche pas comme dans une série B sur un échange de pardons et une réconciliation, qui serait indécente. On n’est donc loin de la « pensée magique » contre laquelle Edouard Durand nous met en garde. Là, le frère et la sœur se séparent, la sœur victime a obtenu de pouvoir faire face à son frère violeur, de l’entendre lui susurrer « oui » à des questions qui ne relevaient pas du procès mais de leur enfance partagée, obtenu qu’il accepte ses conditions sur leur mode de vie respectifs dans cette ville où elle vit et où il revient à sa sortie de prison.
La répression des auteurs
Ce que montre le film, c’est que l’un et l’autre ont avancé. Chacun avec ce qu’il est, avec sa soif de « vérités ». Et on perçoit à quel point c’est énorme, sans doute pour les deux. Mais c’est ouvert. A condition, pour reprendre les propres termes de cette tribune, de « ne pas confondre humanité et indifférence, ni humanité et connivence ». Contrairement à ce dont il se prévaut, Edouard Durand défend moins ici la cause des victimes que celle de la répression des auteurs. Comme si la justice, c’était nécessairement le choix de l’un contre l’autre. Et comme si la justice, ce n’était pas le respect des règles de procédure définies pour l’institution judiciaire dans le code de procédure pénale (impartialité, équilibre entre les droits des parties, etc.) et l’individualisation : chaque situation est singulière, et chacune des parties appelle la même attention, la même écoute, la même humanité.
Et comme si la criminologie n’avait pas démontré, avec la victimologie, qui en fait partie, que la justice restaurative, inscrite dans notre code de procédure pénale depuis 2014 et illustrée ici de manière admirable par ce film, pouvait surtout après un procès être porteuse d’intelligence et de progrès.
Alain Blanc est magistrat honoraire, secrétaire général de l’Association française de criminologie
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